Mediator : des médecins s'attaquent à l'Afssaps
Par Anne Jouan
12/05/2011 | Mise à jour : 20:31
Le Mediator a été commercialisé par le laboratoire Servier de 1976 à 2009.
http://www.lefigaro.fr/sciences/2011/05/12/01008-20110512ARTFIG00694-mediato
r-des-medecins-s-attaquent-a-l-afssaps.php
Qui va finalement indemniser les personnes ayant pris du Mediator et
souffrant de troubles cardiaques? Le débat fait rage. «Quand j'ai vu le
barouf du week-end autour des médecins prescripteurs qui ne seraient pas les
payeurs et la vigueur avec laquelle le ministre de la Santé tentait de les
rassurer, j'ai compris que c'était nous qui allions porter le chapeau!»
confie un médecin.
Son point de vue résume le sentiment qui habite en ce moment la profession.
Si la grogne montait ces dernières semaines dans les rangs des praticiens,
la polémique a véritablement éclaté avec la publication du texte créant le
Fonds d'indemnisation pour les victimes du Mediator. Dimanche soir, dans
l'émission «C politique» sur France 5, Xavier Bertrand avait pourtant
martelé: «Les médecins ne seront pas les payeurs. Je le dis très
clairement.»
L'Afssaps a manqué à son devoir
C'est dans ce contexte que, selon nos informations, un syndicat de médecins
doit déposer vendredi une requête préalable à l'Agence française de sécurité
sanitaire des produits de santé (Afssaps). Cette dernière a deux mois pour
répondre, mais l'avocat du syndicat confie au Figaro qu'il n'attendra pas et
qu'il saisira le tribunal administratif de Paris pour manquement à
l'obligation d'information. La loi est claire: le simple fait d'avoir exposé
des patients à un risque engage la responsabilité des médecins.
Ces derniers rappellent que le travail d'une agence sanitaire consiste à
gérer la pharmacovigilance. Or l'Afssaps ayant manqué à ce devoir, les
médecins ont continué à prescrire du Mediator.
Le fonds d'indemnisation public
<http://www.lefigaro.fr/actualite-france/2011/05/10/01016-20110510ARTFIG0068
1-mediatorla-bataille-de-l-indemnisation-a-commence.php> qui entrera en
vigueur après l'été sera géré par l'Office national d'indemnisation des
accidents médicaux (Oniam). C'est lui qui déterminera les responsabilités
pour savoir qui devra indemniser les victimes. L'État mettra
«systématiquement» en cause le laboratoire Servier, qui a commercialisé en
France le Mediator de 1976 à 2009, mais la loi n'empêche pas Servier et/ou
les victimes de se retourner contre les prescripteurs. Une fois le ou les
«payeur(s)» désigné(s), et au cas où celui-ci ne ferait pas d'offre à la
victime, cette dernière pourra se tourner vers l'Oniam. Dans ce cas,
l'Office sera amené à intervenir en substitution. L'Oniam devra alors payer
avant que le juge tranche. Une pénalité de 30% sera demandée au payeur.
«L'article L. 1142-24-2 précise que le demandeur indique le ou les
exploitant(s) dont il entend rechercher la responsabilité. Le demandeur et
les exploitants indiquent les autres acteurs de santé visés à l'article L.
1142-2 du Code de la santé publique à qui ils entendent rendre la procédure
opposable», note le texte présenté mercredi en Conseil des ministres. Qui
sont ces «acteurs de santé»? Les médecins, les pharmaciens, mais pas les
autorités sanitaires telles que l'Afssaps. C'est la loi Kouchner de 2002 qui
les en exclut. Autrement dit, dans le cadre de ce fonds, ni Servier ni les
victimes (ou leurs ayants droit) ne pourront mettre en cause l'Afssaps.
«Nous sommes persuadés que des patients se retourneront contre nous ,
observe Michel Chassang, président de la Confédération des syndicats
médicaux français (CSMF), le plus important syndicat de la profession. Nous
ne nous laisserons pas bercer par des déclarations ministérielles. Le
ministre dit que nous ne devrons pas payer. C'est faux!» Une inquiétude
partagée par Jean-Paul Hamon, président de la Fédération des médecins de
France (FMF): «Dire que nous ne payerons pas, ce sont juste des paroles en
l'air! Si un patient met en cause un médecin, que ce soit en justice ou dans
le cadre du fonds d'indemnisation, ce dernier sera condamnable et il pourra
en être de sa poche.» Et de rappeler que le Vidal de 2009 ne faisait
nullement mention de problèmes cardiaques dans la liste des effets
secondaires du Mediator.
«Un système mafieux»
«Pourquoi l'Afssaps sortirait-elle indemne de cette histoire?» interroge
Claude Leicher, président du syndicat des médecins généralistes (MG France),
qui dénonce «un système mafieux». Pour lui, les médecins ont été trompés
plusieurs fois, pour commencer sur la nature du produit («on nous a dit
qu'il s'agissait d'un antidiabétique alors que c'était un anorexigène»,
estime-t-il). Le système de surveillance des effets secondaires n'a pas
fonctionné en dépit de signaux. Par ailleurs, les médecins qui ont écrit à
Servier pour poser des questions au laboratoire concernant le Mediator
recevaient des réponses les assurant de la bonne sécurité du médicament.
Enfin, «dans quelle mesure peut-on être certain du produit que nous
prescrivons, interroge encore Claude Leicher, puisque nous avons compris que
les discours des experts n'étaient pas sérieux».
D'un point de vue légal, les médecins ne sont pas uniquement inquiets pour
les prescriptions en dehors des indications, autrement dit quand le Mediator
a été prescrit non pas comme antidiabétique mais comme médicament pouvant
faire perdre du poids. Ils ont en mémoire la jurisprudence du 14 octobre
2010 à propos de la catalgine (une aspirine). Dans une affaire de
prescription d'un médecin à un enfant fiévreux, des parents achètent de la
catalgine à la pharmacie mais l'apothicaire se trompe de dosage et l'enfant
sombre dans le coma.
Or les juges ont estimé que le médecin était en tort. Il ne pouvait pas
ignorer que la catalgine n'est plus une référence depuis plusieurs années en
matière de fièvre. Pis, les juges ont estimé qu'il aurait dû prescrire du
paracétamol. Le médecin a été condamné, ainsi que le pharmacien, à
indemniser les parents