[e-med] Pas de véritable "après Mediator" sans une expertise sanitaire indépendante (France)

Pas de véritable "après Mediator" sans une expertise sanitaire indépendante
Point de vue | LEMONDE.FR | 08.12.11 | 10h43
par François Autain, Philippe Foucras et Philippe Nicot
http://www.lemonde.fr/idees/article/2011/12/08/pas-de-veritable-apres-mediat
or-sans-une-expertise-sanitaire-independante_1614527_3232.html

Dans le prolongement des enquêtes et des propositions de réforme qu'avait
suscité le scandale du Mediator, des événements récents ont attiré
l'attention sur le rôle des experts sanitaires dans les décisions de santé
publique.

C'est d'abord la réévaluation à la baisse de l'efficacité des médicaments
anti-alzheimer par la haute autorité de santé. Contrairement à la première
évaluation en 2007, cette réévaluation a été menée sur la base de travaux
d'experts choisis sans liens d'intérêts avec les firmes commercialisant ces
médicaments. Avec des experts indépendants des firmes, le service médical
rendu (SMR) par ces médicaments, d'important est devenu faible. Mais cette
avancée a reposé sur l'engagement exceptionnel de quelques experts
"militants". Tout sauf une solution durable.

C'est ensuite la nomination, révélée par Le Figaro, à un poste de direction
à l'Afssaps, après avis d'un cabinet de recrutement, d'un "expert" qui avait
été en charge du dossier du Mediator à l'Afssaps, après avoir travaillé pour
Servier au développement d'un produit similaire, l'Isoméride. Le ministre a
rapidement mis fin à cette nouvelle "boulette" de l'Afssaps, mais la
question reste posée de la meilleure façon de nommer des experts : les
"cabinets de recrutements", au service de la rentabilité des entreprises,
sont-ils l'outil adapté ?

C'est enfin la mise en ligne par Libération de l'enregistrement audio d'une
réunion de cadres de la firme MSD s'inquiétant du fait que la Haute autorité
de santé exige maintenant de connaître les noms des médecins leaders
d'opinions qu'ils emploient, afin d'éviter comme experts. Cette nouvelle
attitude encourageante de la HAS est directement liée à l'action du
Formindep qui a amené le Conseil d'Etat à demander à la HAS d'abroger des
recommandations élaborées par des experts sous influences industrielles. Et
ces cadres de la firme MSD de suggérer avec humour d'acheter les leaders
d'opinion des autres firmes, afin de les rendre dépendants et de les
empêcher de siéger comme experts à la HAS. Les experts actuels seraient donc
potentiellement vénaux…

Ces trois événements le démontrent avec force : seule une expertise publique
de haut niveau et qui aura totalement coupé les liens avec l'industrie,
permettra des décisions sanitaires dans le seul intérêt de la population.

REFONDER UNE EXPERTISE PUBLIQUE DE HAUTE QUALITÉ

C'est sous ce titre que le Sénat, dans son rapport sur l'après-Médiator,
reprenait une des propositions du Formindep de créer un corps d'état
d'experts sanitaires publics de haut niveau et indépendants.

Ces experts recevraient une formation spécifique à l'université ou à l'Ecole
de santé publique. En effet, être expert pour l'industrie ou expert pour la
santé publique ce n'est pas le même métier. Cette formation serait ouverte
aux experts actuels mais également à d'autres professionnels de santé, voire
à des scientifiques non médecins. Pour les experts venant de l'industrie,
cette formation permettrait le "sevrage" nécessaire pour se couper des
influences et mettre leurs compétences au service de l'intérêt général seul.
Cette expertise serait valorisée à travers une rémunération et un plan de
carrière. Ces experts seraient mis à la disposition pour un mandat et une
durée spécifiques des diverses agences sanitaires nationales, mais aussi
européennes, comme l'Agence européenne du médicament.

Actuellement, et malgré les victimes du Médiator, les principaux experts
français au sein de l'agence européenne du médicament, comme à l'Afssaps,
restent les mêmes leaders d'opinions relais des intérêts industriels. C'est
inacceptable.

Lors du vote du projet de loi sur la réforme du médicament, le "nouveau"
sénat a introduit un amendement demandant au gouvernement la remise d'un
rapport sur la création de ce corps public d'experts sanitaires. Le rapport
du sénat conclut : "Deux critères doivent présider au choix des experts
permanents : la compétence et l'absence de liens d'intérêts."

Cette expertise sanitaire nouvelle, libérée des intérêts commerciaux,
réellement au service de la santé publique, et uniquement de la santé
publique, doit exister rapidement, si on veut que l'"après-Mediator" ait un
sens et ne soit pas qu'une incantation à visée électorale.