E-MED : Mondialisation du commerce
Bonjour,
Nous avons d�cid� de vous livrer cet article qui est publi� dans le n�19 du
journal de ReMeD.
En effet, ce sujet sera d�battu lors de la 50�me Assembl�e Mondiale de la
Sant� et il est important que vous soyez inform�s.
C.B., ReMeD
Afrique du Sud : une loi pharmaceutique qui fait des remous
Le parlement sud-africain a vot� en d�cembre 1997 une loi sur les
m�dicaments qui cr�e des remous dans la presse nationale et internationale
et des pressions internationales pour la faire retirer.
Trois mesures sont vis�es: la limitation des droits des d�tenteurs de
brevets en mati�re de m�dicaments en autorisant les importations
parall�les, les encouragement des m�dicaments g�n�riques et la modification
du syst�me d�enregistrement des m�dicaments.
Ces mesures sont accus�es de violer les r�gles de l�Organisation Mondiale
du Commerce (OMC) et de faire courir des risques sur la qualit� des
m�dicaments et la s�curit� des approvisionnements pharmaceutiques. En
effet, la cr�ation de l�OMC en 1994 a �tabli des r�gles internationales
concernant la propri�t� industrielle (Accords ADPIC) qui d�finissent des
minimum en mati�re de l�gislation sur les brevets et sur les noms de
marque. L�encouragement des m�dicaments g�n�riques est accus� de violer les
r�gles sur les marques, dans la mesure o� il limite les droits des
propri�taires des noms de marque. Les importations parall�les sont accus�es
de violer les r�gles sur les brevets, dans la mesure o� l�Afrique du Sud
pourrait importer un m�dicament brevet� sans l�accord de la filiale
sud-africaine du titulaire du brevet.
Des accusations sans fondement
- Autorisation des importations parall�les
Pour rendre les m�dicaments plus accessibles et prot�ger la sant� publique,
le ministre peut (Article 15C du texte de la loi sud-africaine) :
� (a) nonobstant la loi sur les brevets (Act N� 57 de 1978), d�terminer que
les droits pour tout m�dicament ayant un brevet d�livr� dans la R�publique,
ne s��tendront pas � des actions concernant ce m�dicament qui a �t� mis sur
le march� par le propri�taire, ou avec son consentement.
(b) d�finir les conditions selon lesquelles peut �tre import� tout
m�dicament identique en composition remplissant les m�mes normes de qualit�
et ayant le m�me nom de marque qu�un autre m�dicament d�j� enregistr� dans
la R�publique, mais import� par une personne autre que celld�tentrice du
certificat d�enregistrement du m�dicament d�j� enregistr� et provenant d�un
site de fabrication du producteur original, et les conditions selon
lesquelles ce m�dicament peut-�tre approuv� par le Medicines Control
Council selon les r�gles prescrites.
(c) prescrire les proc�dures d�enregistrement et l�usage des m�dicaments
en r�f�rence au paragraphe (b) �
Cette loi ne viole pas les r�gles de l�OMC.
D�une part, il ne s�agit pas d�importer des copies de m�dicaments pour
lesquels il existe un brevet, par exemple achet�s � un producteur local en
Inde, mais des m�dicaments fabriqu�s par le d�tenteur du brevet. Les r�gles
de l�OMC autorisent bien l�Inde � copier des m�dicaments jusqu�en 2005,
sans payer de royalties au d�tenteur du brevet, mais n�autorisent pas
l�Afrique du Sud � en importer, car, en 1994, la loi sud-africaine des
brevets l�interdisait d�j� et les r�gles de l�OMC interdisent de rendre les
lois sur les brevets moins compatibles avec l�accord pendant la p�riode
transitoire (art 65-5). Dans ce cadre, les pays de l�Union Europ�enne ont
le droit, pour une p�riode transitoire, d�importer des m�dicaments copi�s
sans respect des brevets depuis l�Espagne ou le Portugal, et l�Union
Europ�enne les y autorise (arr�t Merck - Beecham contre Primecrown &
Europharm du 5/12/96 de la cour europ�enne de justice).
D�autre part, l�article 6 des Accords ADPIC dit clairement que l�Accord
ADPIC ne peut �tre utilis� pour trancher cette question.
Il en r�sulte que, si une firme multinationale vend un produit dans un pays
donn�, elle ne peut pas ensuite s�appuyer sur l�accord ADPIC pour emp�cher
un pays tiers de venir s�approvisionner dans le premier pays. En effet, les
firmes multinationales pratiquent des discriminations de prix, c�est � dire
des prix diff�rents dans les diff�rents pays, en fonction des circonstances
locales du march� : pouvoir d�achat, concurrence, etc. Cette m�thode leur
permet de maximiser leur profit global. Les importations parall�les
menacent cette politique des firmes, car un m�dicament d�une multinationale
peut se retrouver ainsi sur le march� -par exemple en Afrique du Sud- � un
prix inf�rieur au prix d�cid� par l�entreprise pour ce march�. De nombreux
pays autorisent les importations parall�les de ce type : un r�cent arr�t de
la cour supr�me des �tats-Unis a autoris� les importations parall�les aux
�tats-Unis : il s�agissait de shampooings r�import�s aux �tats-Unis depuis
Malte .
Il est clair que l�int�r�t des consommateurs est dans l�autorisation des
importations parall�les en particulier lorsque la concurrence est peu
pr�sente, comme dans les petits pays. En Afrique du Sud les prix dans le
secteur priv� sont parmi les plus �lev�s du monde, jusqu�� 2 fois les prix
aux �tats-Unis . Dans ce pays, les firmes multinationales ne visent que le
march� de la partie ais�e (blanche) de la population en ignorant la partie
pauvre (noire). Le syst�me des importations parall�les permettra au pays
d�acheter les produits de marque, dans d�autres pays, � des prix inf�rieurs
� ceux pratiqu�s par les fabricants en Afrique du Sud, en favorisant ainsi
l�accessibilit� aux m�dicaments de marque pour la partie la plus pauvre de
la population. La loi sud-africaine limite les droits des d�tenteurs de
brevets, ce que permettent les accords de l�OMC, et en aucune fa�on elle ne
supprime tous ces droits.
Autorisation des substitutions par des g�n�riques
La loi sud-africaine autorise les substitutions de g�n�riques dans les
conditions suivantes (article 22F) :
� (1) (...) un pharmacien doit :
(a) informer toutes les personnes qui viennent dans sa pharmacie avec une
ordonnance, des avantages de la substitution d�un m�dicament de marque par
un m�dicament g�n�rique substituable ; et
(b) dispenser un m�dicament g�n�rique substituable � la place du m�dicament
prescrit (...), sauf si le patient l�interdit express�ment.
(2) Si le patient interdit la substitution au pharmacien selon la section
(1)(b), ce fait doit �tre not� sur l�ordonnance.
(3) Quant un m�dicament substituable est dispens� par un pharmacien,
celui-ci doit noter sur le registre des ordonnances le nom de marque, ou
s�il n�y en a pas, le nom du fabricant du m�dicament d�livr�.
(4) un pharmacien ne doit pas vendre un m�dicament substituable :
(a) si le prescripteur a �crit de sa propre main les mots �pas de
substitution� � c�t� de l�item prescrit; ou
(b) si le prix de d�tail en est plus �lev� que celui du m�dicament
prescrit;
(c) si le m�dicament a �t� d�clar� non substituable (...) �.
Les r�gles de l�OMC sur les marques obligent les pays � enregistrer les
marques (article 15 de l�accord ADPIC) et conf�rent seulement comme droit
minimum au titulaire d�une marque (article 16) celui � d�emp�cher tous les
tiers agissant sans son consentement de faire usage au cours d�op�rations
commerciales de signes identiques ou similaires pour des produits ou des
services identiques ou similaires � ceux pour lesquels la marque de
fabrique ou de commerce est enregistr�e dans les cas o� un tel usage
entra�nerait un risque de confusion. �
En Afrique du Sud, l�emploi de g�n�riques est encore peu d�velopp� (environ
20 % dans le secteur priv�). La substitution de g�n�riques instaur�e par la
loi est soumise � des conditions tr�s pr�cises qui ne consistent pas du
tout � la rendre obligatoire ; le patient et le prescripteur peuvent assez
facilement s�y opposer et l�existence de m�dicaments de marque est
reconnue.
La loi n�aboutit absolument pas � supprimer les noms de marque mais �
promouvoir les g�n�riques. Tous les pays d�velopp�s ont �tabli des r�gles
de ce genre, les �tats-Unis en premier, o� en 1996, plus de la moiti� des
prescriptions se font sous forme de g�n�rique. Dans ce pays, les firmes
multinationales n�ont pas attaqu� les lois qui le permettent au nom
qu�elles violeraient les r�gles de l�OMC.
- Modification du syst�me d�enregistrement des m�dicaments
Ces mesures, cit�s plus haut, �tablissent un syst�me d�approbation pour les
importations parall�les, et le ministre d�finira les proc�dures � suivre
(il s�agit de m�dicaments d�j� enregistr�s, mais fabriqu�s ailleurs). Ce
point est conflictuel, car jusqu�� maintenant, le Medicines Control Council
d�finissait lui-m�me les r�gles qu�il est ensuite charg� d��tablir. Le MCC
perd une partie de son pouvoir. Le 24 mars 1998, le minist�re a publi� un
rapport d�un comit� pr�sid� par le Pr Dukes (Pays-Bas) sur le syst�me de
contr�le des m�dicaments en Afrique du Sud qui critique fortement
l�organisation du MCC : il est d�pass� par le nombre de m�dicaments �
enregistrer, son syst�me de d�cision ne garantit pas contre les conflits
d�int�r�ts et il repose sur un nombre excessivement limit� de personnes. Le
rapport propose de remplacer le MCC par un autre organisme dont les
fonctions seraient limit�es aux aspects techniques de l��valuation des
m�dicaments. Madame ZUMA, ministre de la sant�, a d�clar� vouloir suivre
les recommandations du rapport, qui ont aussi �t� formellement approuv�es
par la direction du MCC, qui a �t� remplac�e � titre transitoire.
Toute une s�rie d�autres mesures ont �t� prises : par exemple l�obligation
d�afficher les prix, l�interdiction de faire des rabais incitatifs, des
changements sur les marges de distribution, l�interdiction de donner des
�chantillons, etc.. Elles font l�objet d�hostilit� de l�industrie
pharmaceutique, mais elles ne sont pas critiqu�es aussi ouvertement, car
elles rel�vent de l�autonomie de d�cision de l��tat.
Une campagne internationale des firmes pharmaceutiques fait suspendre
l�application de la loi pharmaceutique
Les firmes pharmaceutique multinationales ont men� une campagne de lobbying
intense pour emp�cher que cette loi soit vot�e, et depuis pour la faire
retirer. Lors du voyage du Pr�sident Clinton en Afrique du Sud, son
secr�taire d��tat au commerce, William D Daley a essay� de convaincre
Madame Zuma de r�former la loi. Les �tats-Unis ont d�clar� que la loi
sud-africaine viole les r�gles commerciales internationales, ce qui, en
droit am�ricain permet des repr�sailles contre l�Afrique du Sud. A
Washington 47 membres du Congr�s on sign� une lettre demandant au
repr�sentant au commerce de �poursuivre toute action appropri�e� contre la
loi. Le laboratoire am�ricain Merck & Co aurait abandonn� un projet
d�investissement de 10 millions de dollars, le laboratoire anglais
Smith-Kline-Beecham a dit reconsid�rer l�extension de ses usines, d�autres
ont ferm� leurs usines : Bristol Myers-Squibb, Pharmacia & Upjohn,
Eli-Lilly, d�cisions accompagn�es chaque fois d�une critique de la loi. Des
laboratoires font ouvertement allusion � un refus de vendre leurs futurs
m�dicaments contre le cancer ou le SIDA. Mais le Pr�sident Mandela soutient
fermement Madame Zuma et a rejet� les appels r�p�t�s de la presse et de
l�opposition demandant la d�mission de celle-ci . Pour l�instant
l�application de la loi est suspendue � un recours en justice.
Les menaces internationales semblent tout � fait disproportionn�es si on
compare la politique sud-africaine avec les mesures comparables prises dans
les pays d�velopp�s. Les laboratoires ont peur que d�autres pays en
d�veloppement suivent l�exemple de l�Afrique du Sud. On retrouve la vieille
politique du b�ton, pour sanctionner les pays qui ne suivent pas toutes les
�recommandations� des pays puissants, m�me si ces politiques ne font que
copier ce que font ces pays puissants, par exemple favoriser les
m�dicaments g�n�riques, chercher � rendre les m�dicaments accessibles. Les
lobbies ont apparemment beaucoup plus d�influence sur les politiques
ext�rieures que sur les politiques int�rieures o� ils sont contr�s, avec
plus ou moins de succ�s, par d�autres forces. Dans tous les pays, les
droits de propri�t� intellectuelle sont limit�s, afin de garantir les
droits des concurrents et les droits des consommateurs. Par exemple aux
�tats-Unis, l�organisme de contr�le de la concurrence a interdit � Novartis
d�utiliser certains brevets et � confi� � Rh�ne-Poulenc-Rorer leur
exploitation. Si les droits de propri�t� intellectuelle n��taient pas
limit�s, il faudrait par exemple payer ind�finiment des droits � tous les
inventeurs ou � leurs h�ritiers, ce qui ferait certes l�affaire des
descendants de Gutemberg, d�Amp�re, etc. Il faudrait aussi supprimer toutes
les mesures qui favorisent les m�dicaments g�n�riques ! Aucun pays ne peut
accepter cela. Limiter des droits ne veut pas dire supprimer ces droits.
Quelles d�cisions de l�Organisation Mondiale du Commerce ?
L�Afrique du Sud peut-elle �tre condamn�e par un panel de l�OMC ? A priori,
l�examen des textes semble montrer que non. Mais le syst�me juridique de
l�OMC est tr�s complexe et on peut rarement �tre certain a priori d�une
d�cision de type judiciaire. Il faudrait d�abord qu�une plainte soit port�e
� l�OMC contre l�Afrique du Sud. Ce n�est pas encore fait, probablement
parce que les pays d�velopp�s consid�rent que cette plainte �chouerait et
ils pr�f�rent agir par des voies diff�rentes.
Les strat�gies des pays d�velopp�s vis � vis de l�OMC sont en effet
variables : l�Inde a �t� condamn�e par l�OMC sur plainte des �tats-Unis et
de l�Union Europ�enne pour n�avoir pas mis en place un syst�me
juridiquement solide de d�p�ts de demandes de brevets . Autre cas, autre
strat�gie : l�Union Europ�enne avait d�pos� plainte contre les �tats-Unis
pour les lois Helms-Burton et d�Amato permettant des sanctions contre des
entreprises de pays tiers ne respectant pas l�embargo am�ricain contre
Cuba, la Libye et l�Iran. En avril 1998, la plainte a �t� retir�e � la
suite de n�gociations avec les �tats-Unis, mais la contrepartie est
inconnue . Ces lois am�ricaines sont manifestement contraires aux r�gles de
l�OMC qui obligent tous les pays ayant des diff�rends commerciaux � les
r�gler selon les proc�dures sp�cifiques � l�OMC, et interdit les sanctions
unilat�rales.
Quelle r�solution � la prochaine Assembl�e Mondiale de la Sant� ?
A l�Assembl�e Mondiale de la Sant� de mai 1998, une r�solution propos�e par
le Comit� ex�cutif va relancer le d�bat (Point 9 de l�ordre du jour :
Strat�gie pharmaceutique r�vis�e) :
� La 51� Assembl�e mondiale de la sant�, (...) Constatant avec inqui�tude
qu�un tiers de la population mondiale n�a aucune garantie d�acc�s aux
m�dicaments essentiels, que les nouveaux accords de commerce international
peuvent avoir des r�percussions n�gatives sur la capacit� de production
locale, sur l�acc�s aux produits pharmaceutiques et sur leurs prix dans les
pays en d�veloppement, (...) prie instamment les �tats membres : (...) 2)
de faire en sorte que les consid�rations de sant� publique l�emportent sur
les int�r�ts commerciaux dans les politiques pharmaceutiques et sanitaires
et de faire des choix aux termes de l�Accord sur les aspects des droits de
propri�t� intellectuelle qui touchent au commerce de fa�on � garantir
l�acc�s aux m�dicaments essentiels. (...) prie le Directeur G�n�ral : (...)
6) d�aider les �tats membres � analyser les cons�quences sur le secteur
pharmaceutique et sur la sant� publique des accords plac�s sous la
responsabilit� de l�Organisation mondiale du Commerce et d�adopter les
politiques et mesures r�glementaires appropri�es; �
On voit que cette r�solution consiste � chercher � orienter l�application
de l�accord ADPIC, mais sans le remettre en cause (quoique la formulation
ne soit pas tr�s claire, elle peut supposer que l�accord soit ren�goci�).
Si l�Assembl�e Mondiale reconna�t que les accords de l�OMC peuvent avoir
des effets n�gatifs pour la sant�, et que les int�r�ts commerciaux ne vont
pas toujours dans le sens de la sant� publique, ce pourrait �tre un premier
pas pour chercher � limiter ces effets n�gatifs. Les d�bats seront chauds �
Gen�ve en mai 1998. La r�solution a �t� d�pos�e par le Zimbabwe,
l�Argentine et l�Egypte. L�association de l�industrie pharmaceutique
am�ricaine (IFPMRA) a demand� au gouvernement am�ricain de s�opposer �
cette r�solution. La F�d�ration Internationale de l�Industrie du
M�dicament, bas�e � Gen�ve, va �galement essayer de bloquer cette
r�solution . La r�cente loi pharmaceutique sud-africaine pourrait bien �tre
un test pour toutes les politiques pharmaceutiques d�Afrique.
Jerome Dumoulin
Institut de Recherche Economique sur la Production et le D�veloppement
Universit� Pierre Mend�s France
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