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Prescrire maintient ses 5 plaintes auprès du Médiateur européen suite aux
réponses de l'Agence européenne du médicament (EMA)
Prescrire a porté plainte auprès du Médiateur européen le 30 août 2010,
citant les refus répétés de l'Agence européenne du médicament de fournir
documents et informations, en particulier sur des médicaments à balance
bénéfices-risques défavorable. Face à la réponse faite par l'EMA en janvier
2011, Prescrire a décidé de maintenir ses 5 plaintes.
Prescrire est une source d'information indépendante sur les médicaments.
Au cours des dernières décennies, plusieurs affaires ayant impliqué des
médicaments ont fait des ravages en matière de protection des populations
tel le rofécoxib - Vioxx° ou le benfluorex - Mediator°.
D'autres médicaments ont été retirés du marché après quelques années de
commercialisation, tel le rimonabant - Acomplia° ou le buflomédil -
Fonzylane°. Durant leur commercialisation, ces médicaments ont provoqué des
effets indésirables graves chez des milliers de patients. Ils ont pourtant
tous été autorisés par des agences du médicament, dont l'EMA.
Ces affaires ont en outre montré que l'information sur les médicaments est
difficile d'accès, notamment celle détenue par les Agences, confirmant le
besoin de transparence affirmé en 1996 par la Déclaration internationale d'Uppsala
avec l'International Society of Drug bulletins (ISDB). Ces affaires ont
aussi montré qu'il fallait interroger, recouper, croiser les multiples
sources d'information pour évaluer un médicament. Pour cette raison, depuis
des décennies, Prescrire interroge les diverses sources incontournables d'information
sur les médicaments : les revues de publication et ouvrages de référence,
les autres équipes indépendantes d'évaluation des médicaments, les firmes
pharmaceutiques et les agences du médicament.
Nous avons bien conscience qu'interroger régulièrement les agences du
médicament, notamment l'Agence européenne, implique du travail pour leur
personnel. Cette pratique est d'autant plus justifiée que les informations
rendues publiques sont maigres au regard de ce que les agences détiennent.
Les processus administratifs de l'Agence européenne, notamment ceux de
réévaluations à la suite de la suspicion d'un risque d'effet indésirable
grave, sont trop longs face aux besoins de protection des patients et des
populations. Les firmes qui commercialisent les médicaments en question
profitent de ces délais. Mais ceux-ci retardent le partage des connaissances
sur les effets indésirables de ces médicaments et leur prise en compte par
les soignants et les patients.
Au fil de nos demandes, l'EMA a régulièrement manifesté sa conception de la
protection des intérêts commerciaux, qui donne à cette protection la
priorité sur la transparence en matière de données cliniques.
L'Agence européenne du médicament est au service de la protection des
patients et des populations. Les données cliniques qu'elle détient sont un
bien commun d'intérêt général. Ces données contribuent à la connaissance sur
les médicaments, notamment leurs effets indésirables. Elles n'appartiennent
pas plus aux firmes pharmaceutiques qu'à l'ensemble de la communauté. En
toute circonstance, l'intérêt en termes de Santé publique de leur diffusion
surpasse celui de la protection commerciale.
. . .
La plupart des demandes citées dans nos plaintes reflètent des pratiques de
maladministration de l'EMA qui dépassent sans doute les demandes factuelles
de Prescrire :
* des retards inacceptables dans la diffusion des informations notamment d'effets
indésirables ;
* des réponses peu explicites qui permettent rarement de réajuster nos
demandes ;
* des refus de documentation flagrants.
Que la divulgation des documents de l'EMA soit assujettie à la Décision de
la Commission européenne constitue un nième motif de refus de transparence.
Si l'Union européenne accepte une telle pratique, ce sera un revers
important pour la transparence. La Société civile saura quelles priorités
auront choisi les administrations communautaires.
Nous avons étudié les nouvelles règles de transparence de l'EMA de novembre
2010. Nous observerons leur application et leurs limites. Car même si ces
règles devraient lever le voile sur certains types de documents jusqu'alors
cachés par l'EMA, elles concernent toujours une liste restrictive de
documents produits et détenus par l'EMA et relèvent donc d'une
interprétation réduite du Règlement CE n° 1049/2001 d'accès aux documents
administratifs.
Nous demandons à l'EMA de rendre public sur son site internet un registre
des tous les documents qu'elle détient : tous ceux qu'elle produit et tous
ceux qu'elle reçoit.
Les informations sur les effets indésirables sont scientifiques. L'EMA n'a
pas à en refuser l'accès à des équipes de soignants comme Prescrire, sous
prétexte d'une confidentialité commerciale ou du fait qu'une procédure
administrative (celle de l'EMA et de la Commission) n'est pas terminée.
Nous demandons à l'EMA :
* de rendre publics sur son site internet sans délais tous les documents
détenus à l'appui de ses recommandations.
* de rendre public l'accès à ses bases de données brutes, notamment
EudraVigilance.
* de remplir rapidement l'ensemble de ses obligations en termes de
transparence. Par exemple, l'absence d'ordre du jour détaillé des
Commissions n'a que trop duré.
* de rendre publics rapidement les comptes rendus, les avis scientifiques de
tous ses comités, groupes de travail et autres groupes.
* de rendre publiques rapidement sur son site les Déclarations de liens d'intérêts
de tous ses experts et de tous les participants à ses comités, groupes de
travail et autres groupes.
* de rendre plus constructives ses réponses aux administrés et de les aider
à mieux cerner la manière d'exprimer leurs demandes le cas échéant.
Autoriser des médicaments à balances bénéfices-risques défavorables ou ne
pas suspendre les AMM lorsqu'un médicament est suspecté d'un grave danger,
relève déjà d'un acte grave de maladministration. Les firmes pharmaceutiques
en tirent profit au détriment des patients qui restent exposés à ces
risques. L'EMA persiste à limiter l'accès à l'information comme le montrent
nos demandes. On peut craindre que ce soit un aspect de la priorité donnée
par l'Agence aux intérêts des titulaires d'AMM.
Cette politique nuit gravement à la Santé publique. Au contraire, d'une
politique orientée sans équivoque vers la Santé publique, il découlera une
transparence sur toutes les données cliniques notamment celles relatives aux
effets indésirables.
©Prescrire 6 avril 2011