Mainmise des firmes sur l'information-santé : une mascarade européenne
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La Revue Prescrire
Article en Une
Numéro 283, mai 2007
La Commission européenne soutient la volonté des firmes de faire de la
publicité directement auprès du public, y compris pour les médicaments
soumis à prescription médicale. Une consultation biaisée a été orchestrée au
niveau européen en vue de préparer des modifications du cadre législatif
communautaire. Le Collectif Europe et Médicament adresse une lettre ouverte
destinée aux Commissaires européens en charge du dossier.
Mi-mars 2007, le groupe de travail sur l'information-patient du Forum
pharmaceutique européen a mis en consultation publique deux documents : une
liste de "critères de qualité" et un "modèle" d'information-patient sur le
diabète.
Nous considérons que les questions accompagnant cette consultation
pré-orientent les réponses et ne permettent pas de débat démocratique. Elles
font de cette consultation un faux-semblant parmi d'autres destiné à
justifier un projet législatif, préparé de longue date, de dérégulation de
la communication des firmes pharmaceutiques avec le public.
Le Collectif Europe et Médicament ne peut en conscience participer à cette
consultation. Faisant partie des acteurs incontournables sur cette question,
il souhaite toutefois assumer ses responsabilités en apportant, par cette
lettre ouverte, sa contribution en faveur d'un débat honnête et équilibré.
Health Action International* (HAI) Europe et l'International Society of Drug
Bulletins** (ISDB) s'associent à cette démarche et partagent les
préoccupations exprimées par le Collectif Europe et Médicament.
L'opacité et l'absence de méthode du Forum pharmaceutique restent
inadmissibles
Le Collectif Europe et Médicament, avec HAI et l'ISDB, déplore que le Forum
pharmaceutique fonctionne depuis sa création dans une opacité quasi totale
(1). Cette consultation en est une preuve supplémentaire : deux documents
sont soumis à consultation publique sans que leur méthode d'élaboration soit
explicitée, ni que les auteurs et leurs conflits d'intérêts éventuels soient
connus. À écouter les témoignages de nombreux participants au Forum
pharmaceutique, il n'y a même pas eu de méthode d'élaboration digne de ce
nom, ce qui est encore plus grave. On comprend dans ce contexte l'indigence
du résultat.
Les critères de qualité proposés sont flous et loin des patients
La liste de critères proposée est longue, utilisant des termes suffisamment
flous pour être interprétés de manière "flexible". Et surtout, son titre
tend à créer une confusion entre "information-santé" et "information sur les
maladies et les médicaments".
Rappeler ici le but unique de l'information des patients n'est peut-être pas
inutile. L'information attendue par les patients doit leur permettre de
répondre aux questions qu'ils se posent. Elle doit les aider à analyser ce
qui les préoccupe, leur donner une idée réaliste de l'évolution de leur état
de santé, les aider à comprendre les investigations et les traitements, les
résultats qu'ils peuvent en attendre, les choix parmi les options et les
services disponibles. Elle doit les aider à supporter l'épreuve de la
maladie, à obtenir de l'aide (2).
Pour prendre une décision éclairée, il faut disposer d'informations
comparatives, qui présentent l'ensemble des options existantes et, pour
chacune des options, les bénéfices attendus, mais aussi les risques
encourus. Les dramatiques affaires récentes, telles l'affaire Vioxx° ou
l'actuelle affaire Zyprexa°, rappellent que les effets indésirables sont
souvent minimisés voire dissimulés par les firmes pharmaceutiques.
L'information-santé doit répondre avant tout à trois critères très simples
Elle doit être :
- fiable : étayée par des données probantes (mentionnant les sources de
données au niveau de chaque assertion) ; totalement transparente sur les
auteurs et leurs conflits d'intérêts; mise à jour ;
- comparative : présentant les bénéfices et les risques de l'ensemble des
options thérapeutiques existantes (y compris, le cas échéant, celle de ne
pas traiter) et expliquant l'évolution naturelle de la maladie ou du
symptôme ;
- adaptée aux utilisateurs : compréhensible, adaptée au contexte social,
linguistique et culturel du patient, et facile d'accès.
Dans un environnement très concurrentiel, les firmes pharmaceutiques sont
logiquement responsables devant leurs actionnaires des profits engendrés par
les ventes. Elles sont donc tenues de défendre leurs médicaments au
détriment des autres moyens préventifs ou curatifs. Cela les rend totalement
incapables de délivrer l'information comparative fiable dont les patients
ont besoin.
Le "modèle" diabète est un contre exemple d'information-patient
Les acteurs du système de santé (professionnels de santé, associations de
consommateurs et de patients indépendantes des firmes, autorités de santé et
organismes payeurs) n'ont pas attendu que les firmes s'intéressent à
l'"information-patient" pour produire de l'information pertinente pour les
patients.
Beaucoup de sources d'information de qualité sont d'ores et déjà à la
disposition du public, en Europe et dans le monde (2). Certes, des progrès
restent à faire, en particulier pour aider le public à aborder de manière
critique le volume d'information qui ne cesse d'augmenter, et à faire le tri
(a).
Avec le "modèle" d'information-patient sur le diabète, le Forum
pharmaceutique demande aux citoyens de se prononcer sur un document dont on
ne sait pas comment il a été élaboré. La transparence sur les modalités
d'élaboration est un préalable indispensable, si on considère ceux à qui on
demande leur avis de façon respectable et responsable.
Nous avons toutefois pris la peine de lire le document et sommes obligés de
constater l'indigence de son contenu. Il ne répond pas aux questions
basiques que se posent les patients, ne hiérarchise pas les informations, ne
compare pas les options thérapeutiques existantes au regard de leur
évaluation et du recul d'utilisation, ne référence pas ses assertions, etc.
C'est l'ensemble de ce document qui serait à reprendre s'il voulait
effectivement répondre à un besoin des patients, ce qui n'est manifestement
pas le cas.
Ce "modèle" démontre, s'il en était besoin, qu'une "information" standard
élaborée au niveau européen, dans le contexte d'un partenariat privé-public,
sans méthode documentaire et rédactionnelle rigoureuse, n'est d'aucun
service aux patients.
Nous voulons croire, Messieurs les Commissaires, que la Commission
européenne saura remettre ce processus en question, et renoncera à financer
ce type de projets, inadaptés aux réalités des citoyens européens.
Nous demandons que cesse la confusion des rôles savamment entretenue
Au prétexte de défendre le droit des patients à l'information, quelques
députés s'efforcent depuis plusieurs mois, à grand renfort de communications
en tous genres (séminaires, animation de workshops, conférences de
think-tanks opportunément créés) de désinformer l'opinion en laissant croire
que l'Europe serait un désert en termes d'information de qualité sur la
santé, et que seules les firmes pharmaceutiques seraient en mesure de
remédier à cette situation.
Le Collectif Europe et Médicament, avec HAI et l'ISDB, rappelle à nouveau
que les "informations" que sont à même de fournir les firmes pharmaceutiques
sont par nature promotionnelles, et que l'emploi du terme "information" dans
ce contexte relève d'une utilisation abusive, pour qualifier ce qui n'est in
fine que publicité. La capacité des patients-citoyens à décider de leurs
soins doit être d'autant plus protégée de l'influence de la publicité
déguisée en "information", qu'ils sont affaiblis par la maladie.
Les besoins en information sont complexes, diffèrent et évoluent selon les
personnes. Les différences de capacités physiques et/ou mentales, de niveau
de formation et de moyens économiques déterminent le type d'information
attendue par les patients et la façon dont ils vont l'utiliser. Informer les
patients, en s'adaptant au plus près de leurs attentes, implique une
relation de confiance qui s'inscrit dans le travail quotidien des
professionnels de santé, des associations de malades indépendantes, de
l'entourage du patient et dans la mission des bulletins indépendants
destinés au public (2).
Les firmes pharmaceutiques ont un rôle différent à jouer, bien spécifique :
la législation les oblige à fournir des médicaments correctement étiquetés
et accompagnés d'une notice informative à l'intention des patients. La
Directive 2004/27/CE exige que ces notices soient évaluées par les patients
(3). Cette disposition importante faisait cruellement défaut. La mise au
point, par les firmes, de conditionnements informatifs et sécurisés, et de
notices pertinentes peut contribuer à un meilleur usage des médicaments et à
la prévention des erreurs médicamenteuses (4). Il y a beaucoup de progrès à
faire dans ce domaine, et certaines firmes semblent s'engager dans cette
voie.
Toute confusion des rôles de ces différents acteurs expose au risque de
nuire à la qualité des soins et à la liberté pour chacun de choisir au mieux
selon ses besoins.
Nous vous rappelons votre mission de protection de la santé publique
Après un premier échec législatif en 2002 par le rejet massif par le
Parlement de l'introduction de la communication directe des firmes avec le
public, il semble que la Commission européenne et les firmes, avec le
soutien actif de quelques députés, reprenne l'initiative, en profitant du
fait que plus de 70 % des membres du Parlement européen ont été renouvelés.
Ce petit jeu, qui consiste à remettre régulièrement en cause des choix
démocratiques pour les intérêts de quelques-uns, doit-il se reproduire à
chaque renouvellement du Parlement européen ? Nous ne le souhaitons pas.
Le Collectif Europe et Médicament déplore que la Commission européenne,
chargée simplement par le Parlement de présenter un rapport en 2007 sur les
bénéfices et les risques de l'information mise à la disposition du public, y
compris via internet, et de faire éventuellement des propositions (Directive
2004/27/CE - article 88a), outrepasse son rôle (b). Elle biaise le débat en
prenant clairement position en faveur de la communication des firmes auprès
du public, sous couvert de partenariats privé-public qui ne trompent
personne (5,6,7). Ces prises de position ne tiennent pas compte des données
internationales sur les nuisances de la communication des firmes avec le
public, et du travail mis en œuvre depuis longtemps par les acteurs du
système de soins en matière d'information-patient dans un objectif de santé
publique.
Le marché des produits de santé n'est pas un marché comme les autres. Les
patients ne sont pas des consommateurs. Soutenir la compétitivité des firmes
pharmaceutiques ne doit pas faire oublier à la Commission sa responsabilité
majeure dans la protection de la santé publique des citoyens européens
(article 152 du Traité instituant la Communauté européenne).
Nous vous rappelons quelques propositions simples pour améliorer l'accès des
citoyens à une information pertinente
En pratique, l'amélioration de l'accès des citoyens européens à une
information pertinente sur la santé suppose de :
- garantir la transparence des agences des produits de santé pour faire en
sorte que le public puisse effectivement accéder aux données d'évaluation de
l'efficacité et des risques, avant et après mise sur le marché des
médicaments et produits de santé ;
- faire en sorte que les firmes pharmaceutiques respectent leurs obligations
en matière de conditionnement des médicaments ;
- développer et renforcer, au niveau de chaque État membre, les sources
d'information fiable et comparative sur les options thérapeutiques ;
- permettre aux patients de participer directement à la notification des
effets indésirables des médicaments, contribuant ainsi à un meilleur usage
des médicaments ;
- faire intégralement appliquer la réglementation européenne sur la
publicité pour les médicaments ;
- et surtout mettre fin à la confusion des rôles entre les firmes
pharmaceutiques et les autres acteurs.
Le Collectif Europe et Médicament, Health Action International Europe et
l'International Society of Drug Bulletins appellent, Messieurs les
Commissaires, la Commission européenne à prendre ses responsabilités en
intégrant ces propositions dans le rapport sur l'information-patients en
Europe prévu par la Directive 2004/27/CE et dont la version provisoire vient
d'être mise en consultation (b).
Le Collectif Europe et Médicament, HAI Europe et l'ISDB vous remercient de
porter attention à ces préoccupations, qui sont celles d'un grand nombre de
citoyens européens inquiets de la marchandisation du domaine de la santé.
©Collectif Europe et Médicament 3 mai 2007
à l'exception des membres du Collectif qui participent aux travaux du Forum
pharmaceutique : ils souhaitent, en cohérence avec leur engagement, adresser
leurs objections et propositions à la Commission dans le cadre des groupes
de travail du Forum.
* HAI Europe envoie aussi, à titre individuel, une réponse à la
consultation.
** L'ISDB a aussi produit un communiqué de presse sur le sujet
"Patient-'information' by Big Pharma : A threat to public health"
(www.isdbweb.org).