[e-med] Revue de presse/le projet de loi indien sur les brevets (suite)

INDE « Les multinationales de la pharmacie ont fait un intense travail de
lobbying »
François-Xavier Verschave « Le système des brevets est d'une immoralité
totale »
AFRIQUE DE L OUEST : La décision de l'Inde compromet l'offre d'ARV
génériques
GUINÉE : Cinq fois plus de personnes devraient être mises sous ARV
NOREENA HERTZ - Main basse sur la Banque mondiale

« Les multinationales de la pharmacie ont fait un intense travail de
lobbying »
http://www.humanite.presse.fr/journal/2005-03-24/2005-03-24-459034

K. M. Gopakumar est membre du Lawyers Collective VIH / Sida Unit, un
collectif d'avocats qui défend en Inde l'accès aux médicaments génériques
pour les malades du sida.

Pourquoi, selon vous, le gouvernement indien a-t-il décidé d'adopter une
législation encore plus restrictive que ce qu'exigent les accords de l'OMC
sur les médicaments ?

K. M. Gopakumar. L'administration indienne s'est laissé influencer par un
intense lobbying des multinationales pharmaceutiques, représentées par l'association
PHARMA et ses partenaires indiens. Les décideurs, qu'ils soient
administratifs ou politiques, sont obsédés par l'impératif économique qui a
crée la propriété intellectuelle. Or les brevets créent des situations de
monopole et non de concurrence. Et les brevets concernant les médicaments
ont plus été envisagés comme un enjeu commercial que comme une question d'intérêt
public. L'approche sociale du problème de l'accès aux traitements a été
totalement écartée.

Certains laboratoires pharmaceutiques indiens comme Cipla, principal
fabricant mondial de médicaments génériques contre le sida, s'opposent à la
position du gouvernement. Qu'en pensez-vous ?

K. M. Gopakumar. Cipla et d'autres entreprises indiennes s'opposent à cette
nouvelle législation car elles estiment qu'elle va mettre des freins à leurs
projets d'expansion, tout en ayant des répercussions sur l'accès aux soins
pour les populations pauvres de l'Inde et dans le monde. Le régime des
brevets en vigueur avant l'adoption de cette nouvelle loi a permis aux
compagnies indiennes de développer une industrie des génériques et d'atteindre
le niveau actuel. Mais elles n'ont pas la surface financière suffisante pour
être compétitives. Elles n'ont pas non plus les moyens de mener des
programmes de recherche et de développement de nouveaux médicaments. De
plus, ces firmes ont conscience de leur responsabilité vis-à-vis de la
société. En baissant le prix de nombreux médicaments vitaux, elles ont
offert un accès aux médicaments aux Indiens moyens. Mais seuls 30 % de la
population indienne peuvent se les offrir !

Quel est l'état de l'épidémie de sida en Inde ?

K. M. Gopakumar. Selon les estimations, 5,1 millions de personnes sont
infectées par le virus et 500 000 d'entre elles auraient un besoin urgent d'un
traitement antirétroviral. Un programme gratuit de distribution d'antirétroviraux
a débuté en avril 2004. Mais seuls 5 000 malades y ont aujourd'hui accès. Et
près de 25 000 personnes passent par des services de soins privés. De plus,
les séropositifs qui ont besoin de médicaments de deuxième génération, c'est-à-dire
les plus récents, parce qu'ils développent des résistances, ne pourront les
utiliser, car ces derniers seront brevetés. C'est le cas du Combivir, le
médicament générique antisida le plus utilisé au monde.

Un débat a-t-il eu lieu dans l'opinion publique indienne sur cette question
des brevets ? Les médias sont-ils mobilisés ?

K. M. Gopakumar. Les syndicats ont organisé une semaine de protestation du 5
au 12 mars dernier. Des manifestations et des marches ont eu lieu dans
toutes les métropoles et les villes du pays. Les médias, dans leur ensemble,
reconnaissent que la loi va au-delà des exigences des accords ADPIC, fixés
par l'OMC, et que les conséquences sont graves pour l'accès aux médicaments.
Cette question prend de plus en plus de place et le débat est vivace. En
parallèle, des questions sur le contenu du projet de loi sur les brevets
sont posées au Parlement par l'opposition comme par les partis membres de la
coalition au pouvoir. L'opposition s'est exprimée avec beaucoup de fermeté
contre ce projet. Mais, en raison de sa participation au gouvernement avec
le Parti du Congrès indien, le Parti communiste marxiste, le CPI (M), a voté
l'amendement.

Qu'attendez-vous des acteurs de cette lutte, associatifs ou politiques,
notamment en France ?

K. M. Gopakumar. L'introduction des accords sur la propriété intellectuelle
à l'OMC est essentiellement de la responsabilité de l'Union européenne et
des États-Unis. Une mobilisation des opinions publiques occidentales est
donc indispensable afin de parvenir à abolir ces accords abusifs. C'est pour
cela aussi que nous avons demandé aux différents partis communistes de faire
pression sur le CPI (M) indien. En France, l'opinion publique est
essentielle, car votre pays joue un rôle important dans l'élaboration de la
politique de l'Union européenne.

Entretien réalisé par
Camille Bauer
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« Le système des brevets est d'une immoralité totale »

http://www.humanite.presse.fr/journal/2005-03-24/2005-03-24-459035

François-Xavier Verschave est économiste. Il a coordonné l'essai
collectif la Santé mondiale, entre racket et bien public.

  Que pensez-vous du système de la propriété intellectuelle appliqué aux
médicaments ?

François-Xavier Verschave. C'est un système en contradiction avec deux
des fondements de la civilisation occidentale. L'université, d'une
part, qui a été fondée sur le partage du savoir pour se transformer en
bien public. La concurrence, d'autre part, que les pères de l'économie
classique ont mise en avant comme régulateur de l'économie. Le principe
du brevet, c'est l'établissement d'une rente et d'un monopole qui se
transforme en un système de racket. On établit des barricades autour
d'un bout de la connaissance humaine qui souvent a été financé à 90 %
par la recherche publique. Un certain nombre de gens s'emparent de ce
bout de bien incorporel puis établissent une rente autour de ce bien,
et sa défense s'obtient par des moyens criminels de l'ordre de la
grande corruption. Concrètement, l'établissement des règles régissant
la propriété intellectuelle à l'Organisation mondiale du commerce (OMC)
s'est fait grâce à un travail de lobbying mené par les grandes firmes
pharmaceutiques et informatiques américaines, qui ont elles-mêmes
corrompu massivement les principaux représentants des pays du Sud. Nous
sommes dans le gangstérisme. L'Inde n'a pas échappé à cette règle.

Quels sont les outils de lutte à disposition pour tenter de changer ce
système ?

François-Xavier Verschave. Le bien public est un bien de civilisation
acquis grâce à des mouvements sociaux et des coalitions souvent
hétéroclites qui considèrent que l'accès à tel bien est trop important,
trop central pour relever seulement du jeu marchand. La mise à
disposition de ce bien doit relever d'un cahier des charges de service
public auquel même les prestataires privés sont obligés de souscrire,
garantissant ainsi l'accès universel à ce bien. Pour chaque bien, il
est important d'observer quel mouvement social se met en route. Et qui
compose ce mouvement social. Dans le cas de l'accès aux médicaments, on
retrouve des représentants des ayants droit, les associations de
malades du sida qui ont opéré de véritables bouleversements dans la
perception de l'action politique. On retrouve l'industrie
pharmaceutique et ses syndicats, le corps médical, les organisations de
solidarité, de droits de l'homme, les chercheurs et les États. Ces
derniers, poussés par leur population, peuvent garantir des droits,
comme l'a fait le Brésil avec le sida. Dans le livre, la Santé mondiale
entre racket et bien public, nous avons essayé d'analyser ce mouvement
social, et les victoires qu'il commence à obtenir. C'est un livre
optimiste. Mais ce qui peut rendre pessimiste, c'est que, dans
l'histoire, les tendances mafieuses d'une société sont généralement
plus rapides à réagir que le mouvement social. Elles prennent donc un
train d'avance et nous donnent l'impression que la cause est perdue. Or
le rythme des mouvements sociaux est peut-être lent, mais il est aussi
long et beaucoup plus durable. Par conséquent, il ne faut pas s'affoler
face aux défaites relatives. Ce qui importe, c'est que s'ancre dans
l'esprit des gens la certitude que la revendication est juste. Et que
se rendent compatibles les logiciels d'indignation !

Selon vous, le bien commun peut donc triompher ?

François-Xavier Verschave. Oui, parce que des systèmes comme les
brevets et la propriété intellectuelle sont des constructions fragiles,
d'une immoralité totale et injustifiables d'un point de vue économique.
Le baratin selon lequel les brevets servent à financer la recherche
peut être entièrement démonté. Un travail sur les mentalités des
peuples, des citoyens est donc nécessaire pour montrer que le système
est scandaleux. Ce que font certains mouvements de malades et de lutte
pour l'accès aux soins. Le jour où les malades du sida ont commencé à
traiter Big Pharma de marchand de mort, alors que son fonds de commerce
est d'être marchand de vie, cela a fait très, très mal. Ces mouvements
sociaux sont des combats dont l'échelle se situe au minimum à celle des
décennies. La société est porteuse de mouvements lents, mais l'histoire
nous montre qu'il n'y a pas du tout de raison de désespérer de leur
force. Le droit à la santé s'est peu à peu ancré dans les esprits et
n'est pas prêt à en partir.

Entretien réalisé par M. D.

La Santé mondiale entre racket et bien public, coordonné par
Françoix-Xavier Verschave, Charles Léopold Mayer Éditions, 2004, 345
pages. 16 euros.

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L'association VECAM organise le 1er avril une rencontre : « Le
développement face aux biens communs de l'information et à la propriété
intellectuelle », avec Philippe Pignarre, Benjamin Coriat, Gaëlle
Krikorian... De 9 heures à 18 h 30, ENST, 46, rue Barrault, 75013
Paris. Renseignements et inscriptions http://vecam.org