Un accord de l'OMC risque d'assécher la production de génériques antisida.
Trop de brevets nuisent à la santé
Par Christian LOSSON
samedi 01 janvier 2005 (Liberation - 06:00)
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A partir de ce 1er janvier 2005, l'Inde, premier exportateur mondial de
génériques, doit rentrer dans le rang de la propriété intellectuelle. Sommée
de protéger les médicaments brevetés. Les 20 000 labos indiens, comme Cipla
ou Ranbaxy, devront, comme les «big pharmas» le leur demandent, cesser de
copier et de vendre une grande partie des 60 000 génériques à prix cassés. A
l'instar du textile, où l'ère des quotas s'achève (Libération de vendredi),
voilà une nouvelle petite bombe à retardement lâchée par l'Organisation
mondiale du commerce.
Délai. Tout s'est joué il y a dix ans, lors des négociations de l'Uruguay
round qui ont précédé son lancement. Les pays riches, Etats-Unis en tête,
ont arraché un accord drastique sur les aspects des droits de propriété
intellectuelle qui touchent au commerce (Adpic). Si les pays moins avancés
ont obtenu un délai qui court jusqu'en 2016, ce n'est pas le cas des grands
pays en développement, qui devaient se mettre en conformité en 2000. Le
Brésil ou la Thaïlande s'y sont pliés. Pas l'Inde, qui a glané un délai
additionnel, avec le Maroc, le Paraguay ou la Tunisie.
Epoque révolue. Désormais, les multinationales du médicament (Pfizer ou GSK)
pourront faire valoir un droit d'exclusivité de vingt ans sur leurs
nouvelles inventions. Et bénéficieront d'un délai rétroactif qui couvrira la
période 1995-2005. Il leur a suffi de mettre des demandes de brevets dans
une «boîte aux lettres». Au gouvernement de trancher quand il ouvrira les 12
000 demandes ! Il a, en théorie, une possibilité pour y déroger. Elle a été
esquissée au forceps à Doha, en 2001, puis complétée le 30 août 2003. Mais,
de l'aveu d'un expert de l'Organisation mondiale de la santé, «c'est une
usine à gaz». Prenons le cas de l'Inde qui voudra fournir le Botswana. Le
pays exportateur devra se doter d'une loi (une licence obligatoire), faire
un nouveau packaging, résister aux pressions... Le pays importateur, lui,
devra attester, devant le conseil des Adpic de l'OMC, de l'urgence de la
situation, justifier les quantités de médicaments demandées et indemniser
les labos...
Vital. Pour les réseaux de lutte contre le sida, une dynamique est menacée.
Les antirétroviraux génériques, autour de 110 euros annuels, ont poussé les
traitements de marques à passer de 7 386 à 590 euros. Voire moins. La
nouvelle donne est une menace sur la possibilité de copier les traitements
de seconde ligne, destinés aux malades qui développent des résistances. En
2003, 11 millions de personnes sont mortes de maladies infectieuses (sida,
tuberculose, etc.) ; 5 millions de malades du sida ont un besoin vital de
traitement. Moins de 5 % en bénéficient.