[e-med] La production indienne de médicaments génériques en danger

La production indienne de médicaments génériques en danger
http://www.irinnews.org/ReportFrench.aspx?ReportId=70704

La décision de la justice indienne pourrait avoir de lourdes
conséquences sur l'accès aux médicaments contre le VIH/SIDA de millions de
personnes

BANGALORE, 14 mars 2007 (PlusNews) -
Le jugement dans le procès qui oppose
la firme pharmaceutique suisse Novartis à l'Inde, à propos de la législation
indienne sur les brevets, a été reporté, la semaine dernière, au mois
prochain ,mais la menace plane toujours sur l'industrie nationale de
fabrication de médicaments génériques.

Certains des médicaments de cette société sont fabriqués et commercialisés
en Inde sous forme de génériques, et Novartis espère dorénavant que ses
brevets bénéficieront d'une plus grande protection. Mais une telle
jurisprudence risquerait de mettre la plupart des médicaments hors de portée
de millions de patients qui dépendent des génériques, moins coûteux.

Novartis réclame la protection par brevet de son médicament contre la
leucémie, Gleevec. Les autorités indiennes ont rejeté cette demande en
janvier 2006, arguant que Gleevec n'était pas un nouveau médicament, mais
simplement la nouvelle formulation d'un ancien produit, une pratique appelée
« evergreening » en anglais.

Le droit des brevets ne s'appliquant qu'aux innovations pharmaceutiques,
selon la législation indienne, le Gleevec ne devrait donc pas pouvoir
bénéficier d'un brevet, mais la requête en justice introduite par Novartis
auprès du Tribunal de Chennai, dans le sud-est de l'Inde, en janvier 2007,
vise à remettre en cause à cette disposition légale.

Chan Park, du collectif des avocats de New Delhi, la capitale, qui défend
gratuitement les droits d'une association de cancéreux, conteste la requête
de Novartis. D'après lui, l'issue de cette affaire pourrait avoir un impact
très lourd sur les malades qui dépendent des génériques, particulièrement
les personnes vivant avec le VIH.

« Cette affaire revêt une importance particulière, car il s'agit du premier
procès relatif aux brevets. Novartis est en train de remettre en cause la
validité juridique de tous les dossiers de brevets rejetés, pas uniquement
celui de Gleevec. Si Novartis remportait ce procès, alors les prix de
plusieurs médicaments monteraient en flèche, pas uniquement celui de
Gleevec », a dit M. Park.

Sanjay (un nom d'emprunt), un habitant de New Delhi d'une quarantaine d'années,
père de deux enfants, a été déclaré séropositif en 1997. Son traitement aux
antirétroviraux (ARV) pèse lourdement sur le budget de sa famille.

« Les prix des médicaments étaient exorbitants, mais aujourd'hui, avec les
ARV génériques, le traitement coûte entre 1000 et 1500 roupies [23 à 34
dollars] par mois », a-t-il confié à IRIN/PlusNews.

Ce coût est déjà énorme dans un pays où 80 pour cent de la population vit
avec moins de deux dollars par jour.

« Plus tard, lorsque votre charge virale augmente, vous devez vous procurer
un ou deux inhibiteur de protéase par mois. ce qui fait pas moins de 5 000
roupies par mois [115 dollars], car ce ne sont pas des génériques et le
gouvernement ne les fournit pas- vous devez vous les procurer sur le
marché », a ajouté Sanjay.

Le virus du VIH a besoin de la protéase, une enzyme, pour se reproduire. Les
inhibiteurs de protéase (IP) bloquent la protéase virale, forçant ainsi le
virus du VIH à faire des copies de lui-même qui ne peuvent infecter de
nouvelles cellules.

Les génériques pourraient devenir hors de prix

Si les médicaments « evergreen » venaient à bénéficier de la protection par
brevet, alors les fabricants indiens de génériques devraient payer d'énormes
sommes aux entreprises pharmaceutiques pour leurs droits de propriété
intellectuelle, contribuant ainsi à augmenter le prix des médicaments qui
seront hors de portée de la bourse des malades des pays en développement.

Loon Gangte, président du Réseau des personnes séropositives de Delhi, a
révélé des chiffres impressionnants.

« Les ARV génériques que je prends actuellement me coûtent 1 000 roupies [23
dollars] par mois. Mais si, dans un futur proche, je devais me procurer les
médicaments originaux, cela pourrait me coûter 15 000 roupies [340 dollars]
par mois. Je n'en ai pas les moyens et mon gouvernement non plus », a-t-il
dit.

Le Parti communiste indien, membre de la coalition gouvernementale, estime
que la charge mensuelle que représentent les personnes vivant avec le virus
pour l'Etat pourrait augmenter de manière vertigineuse si l'Inde venait à
accorder une protection par brevet aux médicaments qui sont aujourd'hui
disponibles en version générique.

« Le prix des médicaments contre le sida pourrait devenir 20 à 50 fois plus
chers, car de plus en plus de malades ont recours aux médicaments de
deuxième ligne [lorsque le patient ne réagit plus au traitement de première
ligne]. Etant donné que l'Inde est aujourd'hui le principal fabricant
[mondial] de médicaments contre le sida, l'impact serait ressenti au niveau
international », a souligné ce parti dans un communiqué.

Fermeture de la « pharmacie des pays en développement »

M. Gangte a estimé que la menace pesant sur les ARV génériques était bien
réelle, dans la mesure où plusieurs firmes pharmaceutiques ont introduit des
plaintes semblables à celle de Novartis.

« Si ce laboratoire venait à gagner le procès, alors les réserves d'ARV s'épuiseraient
très vite, pas seulement en Inde, mais également dans le reste du monde »,
a-t-il averti.

Les organisations non gouvernementales (ONG), ainsi que les personnes vivant
avec le VIH/SIDA ont lancé une campagne mondiale de protestation. L'organisation
médicale internationale Médecins Sans Frontières (MSF) et l'agence
humanitaire Oxfam ont fait circuler une pétition signée par 300 000
personnes originaires de 150 pays différents, dans laquelle elles demandent
à Novartis de renoncer au procès.

Le docteur Unni Karunakara, directeur médical de la campagne de MSF pour l'accès
aux médicaments essentiels, a affirmé que Novartis essayait de « fermer la
pharmacie des pays en développement ».

La production de médicaments génériques à un prix plus élevé pourrait
particulièrement affecter les personnes séropositives qui dépendent des ARV,
fabriqués en majorité en Inde.

Selon M. Karunakara, « les médicaments indiens représentent au moins le
quart de l'ensemble des médicaments que nous [MSF] achetons et sont la base
de nos programmes sur le sida, dans le cadre desquels 80 000 personnes dans
plus de 30 pays reçoivent un traitement adéquat. Plus de 80 pour cent des
médicaments que nous utilisons pour traiter les personnes vivant avec le
VIH/SIDA proviennent de l'Inde. »

Plusieurs mouvements indiens d'activistes de la lutte contre le sida et de
la société civile, comme le Network for People with HIV/AIDS, People's
Health Movement, et Centre for Trade and Development in India, ont également
envoyé des pétitions aux autorités.

« Nous avons introduit une demande d'opposition en anticipation à la
délivrance du brevet, avant le procès, dans laquelle nous demandons au
gouvernement de rejeter la requête de Novartis », a indiqué M. Gangte. «
Nous avons également organisé plusieurs manifestations de protestation à
Delhi, écrit des lettres aux laboratoires pharmaceutiques, au gouvernement,
ainsi qu'à différentes fondations, mais la décision est maintenant entre les
mains du tribunal ».

Engagements de l'Organisation mondiale du commerce

La législation indienne imposait très peu de restrictions sur les brevets
avant que le pays ne rejoigne l'Organisation mondiale du commerce (OMC) en
2005, ce qui a permis à l'Inde de développer une des industries de
fabrication de génériques les plus importantes au monde. Les médicaments
génériques indiens ne coûtent que la moitié, voire le tiers, du prix des
médicaments brevetés.

Mais l'Inde est désormais liée par l'accord de l'OMC sur les 'aspects des
droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce' (ADPIC), qui
renforce les droits de la propriété intellectuelle des entreprises
pharmaceutiques. De plus, elle a dû réviser sa législation sur les brevets,
afin de s'aligner sur les normes de l'OMC.

Toutefois, l'ADPIC est atténué par des garde-fous en matière de santé
publique inhérents au traité. La loi indienne sur les brevets interdit ainsi
le brevetage de dérivés de médicaments connus, à moins que la nouvelle
version élaborée soit d'une efficacité supérieure « démontrée ». Cette
disposition a pour but de prévenir, entre autres, la pratique du «
evergreening ».

Le procès Novartis a été suspendu après que l'avocat de la partie indienne a
demandé au tribunal d'ajourner l'audition, le temps d'avoir accès à un
rapport sur les droits de la propriété intellectuelle, récemment publié par
le groupe d'experts technique du gouvernement indien en charge de la
question du droit des brevets.

Les conclusions de ce rapport semblent conforter la position de Novartis, en
affirmant que « le fait de limiter la délivrance de brevets sur les produits
pharmaceutiques uniquement aux composants chimiques. est contraire à l'accord
ADPIC. »

Ce rapport, signé par le docteur Mashelkar, directeur du Conseil indien de
la recherche scientifique et industrielle et qui était à la tête du comité
ayant enquêté sur cette question, a depuis été retiré, après que l'on a
constaté que certaines de ses recommandations avaient été directement
copiées sur des documents de recherche financés par Novartis et d'autres
compagnies pharmaceutiques.

« Certaines de ses conclusions étaient la copie identique des
recommandations formulées par les entreprises pharmaceutiques », a souligné
M. Park, du collectif des avocats de New Delhi.

Le gouvernement s'est démarqué de ce rapport, mais reste vague au sujet de
sa position concernant un éventuel renforcement de la protection par brevet
que réclame Novartis.

Réponse de Novartis

Novartis soutient que la protection par brevet est essentielle à la
recherche ainsi qu'au développement de nouveaux médicaments : l'innovation
pharmaceutique requiert des investissements s'élevant à des milliards de
dollars. En outre, la firme souligne que les brevets sont générateurs de
recettes pour l'entreprise.

Dans une déclaration, Novartis a affirmé que le fait de délivrer une
protection par brevet aux médicaments « evergreen », tels que Gleevec, était
une obligation légale irrévocable, dans le cadre du traité de l'OMC.

L'entreprise a également nié le fait que cette mesure puisse empêcher les
malades pauvres de se procurer les médicaments qu'elle produit, mettant en
avant que son programme Accès aux médicaments, pour lequel elle a déboursé
755 millions de dollars en 2006, a pu profiter à 33,6 millions de patients
vulnérables à travers le monde.

Mais M. Gangte a demandé au gouvernement d'intervenir, en précisant que «
les membres élus du Parlement indien ont l'obligation morale de garantir la
bonne santé de la nation », argumentant que « les efforts du gouvernements
ne parviennent déjà pas à couvrir les besoins des 5,7 millions d'Indiens
vivant avec le VIH. Les 115 centres gouvernementaux éparpillés à travers le
pays fournissent des ARV à environ 30 000 personnes ».