[est-ce toujours le cas en 2005 ? Etude intéressante à dupliquer dans les
autres pays d'Afrique ?... CB]
SÉNÉGAL : Des antirétroviraux gratuits et une prise en charge contrôlée
limitent les trafics
DAKAR, le 2 septembre (IRIN) - Parce que leur distribution est strictement
contrôlée et gratuite pour les personnes qui vivent avec le sida, les
antirétroviraux (ARV) échappent aux commerçants de l'informel, qui inondent
les rues des villes sénégalaises de médicaments souvent dangereux pour les
populations.
«La mise en place du programme [de distribution des ARV au Sénégal] permet
de contrôler la circulation des antirétroviraux», a dit à PlusNews le
docteur et sociologue Abdoulaye Sidibé Wade, chef de la division nationale
SIDA et IST (Infection sexuellement transmissibles) au minisère de la Santé.
Depuis 1998 et la mise en place d'une initiative nationale d'accès aux
antirétroviraux (ISAARV), seuls les centres agréés par les autorités en
charge de la lutte contre le sida peuvent distribuer des ARV, soit six à
Dakar, la capitale, et un dans chacune des 11 régions du pays.
«Nous n'avons pas d'antirétroviraux dans nos officines», a dit Constance
Faye Badji, la directrice de l'Office national des pharmaciens du Sénégal.
En outre, «avec ce programme, le coût des ARV pour le patient est largement
supporté par l'Etat», a expliqué le docteur Wade, ajoutant que cela
contribuait à ralentir l'arrivée des ARV sur le marché parallèle.
L'accès aux ARV est gratuit au Sénégal depuis l'année dernière, pour les
nationaux comme pour les ressortissants de pays étrangers. Près de 2 800
personnes bénéficient de ces traitements dans un pays précurseur, qui fait
figure d'exemple en matière de lutte contre le VIH/SIDA en Afrique de
l'Ouest.
Le Sénégal a mis en place l'ISAARV douze ans après la découverte du premier
cas de sida, en 1986. A cette époque, la crainte de voir émerger des souches
virales résistantes aux ARV s'ils venaient à être vendus sur les circuits
informels était dans tous les esprits.
«Il y avait un consensus international pour dire que l'accès des pays
pauvres aux ARV était une folie», a expliqué Bernard Taverne, anthropologue
et chercheur à l'Institut de recherche sur le développement (IRD) à Dakar.
Le danger, a-t-il dit, était de voir apparaître une résistance virale aux
médicaments. «Si la prescription est mauvaise, le patient peut développer un
virus qui devient résistant, ce qui est dommageable pour lui et pour la
communauté s'il le transmet (.) Or il existe trente produits et de
nombreuses combinaisons possibles en fonction de chaque individu», a
expliqué M. Taverne.
Selon Taverne, 80 000 personnes vivraient avec le virus au Sénégal, mais
seules 17 500 patients, soit 20 pour cent, auraient besoin de suivre un
traitement ARV.
«Les prescriptions obéissent à un contrôle strict», a expliqué le docteur
Wade, qui a ajouté que les patients apprennent à prendre leurs médicaments
correctement, ce qui permet de «prévenir tout relâchement dans le
traitement».
Afin d'évaluer l'importance de la circulation d'ARV au Sénégal, l'IRD, en
partenariat avec le Programme national de lutte contre le sida (PNLS), ont
étudié, entre 2000 et 2002, les circuits de distribution des médicaments,
notamment le marché parallèle.
<b>Les confréries religieuses à la tête des trafics</b>
«Sur les 29 sites et 135 petits vendeurs que nous avons identifié, aucun
n'avait d'ARV», s'est rappelé Taverne.
Outre ces lieux de vente dispersés, les enquêteurs se sont rendus dans deux
hauts lieux de la revente de médicaments au Sébégal : Keur Serigne Bi (la
maison du marabout, en wolof, la langue la plus parlée au Sénégal), proche
du centre-ville de la capitale, et la ville sainte de Touba, à 180
kilomètres au nord-est de Dakar.
Selon M. Taverne, une centaine de boîtes d'ARV a été trouvée en tout et pour
tout, chez moins d'une dizaine de vendeurs. «Ils avaient deux ou trois
produits, en très faible quantité et peu de spécialités», a-t-il expliqué.
Une spécialité pharmaceutique est un médicament qui est préparé à l'avance
et dosé au poids médicinale. Son conditionnement comprend un nom, sa
composition, le nom et l'adresse du fabricant ; il est vendu dans plus d'une
officine.
Vers la fin de l'enquête, a poursuivi M. Taverne, «on a noté une
augmentation du nombre de médicaments de spécialité et une diminution du
prix parallèlement à celle négociée par les industries du médicament».
Selon lui, quelques individus ont alors commencé à se spécialiser dans les
traitements contre le sida, proposant eux-mêmes des prescriptions. Mais ce
marché est resté limité, a dit le chercheur, qui poursuit les investigations
depuis 2003.
En outre, les numéros des lots de médicaments vendus dans la rue ont révélé
que la plupart d'entre eux viennent des pays occidentaux, qu'il s'agisse de
dons détournés, de trafics ou de revente d'ARV venus des structures
officielles d'approvisionnement.
«Seuls 13 d'entre eux proviennent du programme national : c'est peu et ça
prouve que l'ISSARV fonctionne bien», a dit M. Taverne, précisant que
l'enquête a conclu que la diffusion des ARV sur le marché informel était
marginale au Sénégal.
«On a continué à voir arriver de nouvelles molécules, comme sur le marché
international, mais toujours en très faible volume», a-t-il ajouté.
Le chercheur, devenu enquêteur, a signalé l'arrivée à Keur Serigne Bi d'un
lot important de 200 boîtes d'ARV, volées entre l'aéroport et la Pharmacie
nationale d'approvisionnement (PNA). «On l'a suivi de près et remarqué
qu'ils n'ont rien vendu. Le stock est encore paralysé là-bas», a-t-il
expliqué.
Dans un pays où travailler dans le secteur informel est une question de
survie majeure, «les antirétroviraux n'échappent pas à cette logique», a
déploré le docteur Wade.
Au Sénégal, le marché illicite des médicaments de la rue représente un
manque à gagner estimé entre six et huit milliards de francs CFA (entre 11,5
et 15,3 millions de dollars).
Pourtant, le docteur Wade reste optimiste, la politique sénégalaise de lutte
contre le sida étant, selon lui, mettant un vrai frein au trafic de
médicaments. Compte tenu du fait que les ARV sont gratuits, «qui irait
maintenant [en] acheter sur le marché parallèle ? Personne ! », a-t-il
lancé. Mais, a-t-il averti, «une boite de trouvée, c'est une boîte de trop.»