[e-med] Sida, la taxe sur les vols ne décolle pas

Sida, la taxe sur les vols ne décolle pas
CÉCILE RAIMBEAU
Paru le Jeudi 01 Février 2007
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Adoptée par la France l'an dernier, la taxe sur les billets
d'avion Unitaid finance une centrale d'achat de médicaments pour les pays
pauvres. C'est l'une des rares promesses humanitaires claironnées au WEF à
avoir fait son chemin. Personne ne l'a pourtant évoquée au cours de la
dernière édition du Forum de Davos. Car son application suscite déjà des
remous.

«Si les médicaments existent, soignent et guérissent de nombreuses maladies,
ils ne sont accessibles que pour une partie de la planète: faute d'argent,
les populations des pays en développement ne peuvent pas les acheter!» Ce
triste constat a été prononcé non pas au Forum économique mondial (WEF) de
Davos, ni au Forum social mondial de Nairobi, mais à Bamako le 16 janvier
dernier par le ministre français des Affaires étrangères, Philippe
Douste-Blazy. Il y annonçait une bonne nouvelle: le Mali va recevoir en 2007
une aide de près de 270000 dollars, via la Fondation Bill Clinton, pour la
prise en charge de 929 enfants vivant avec le virus du sida. Et ce grâce à
Unitaid.

Contradictions

Unitaid, c'est cette fameuse «contribution de solidarité» acquittée sur les
billets d'avion lors de leur achat: de 1 à 40 euros par passager, selon la
destination et la classe. L'idée aurait germé lors de discussions entre
Jacques Chirac et le président brésilien Lula da Silva, à l'été 2005. Elle a
été lancée en juillet 2006 en France, puis présentée en septembre à l'ONU
par les cinq pays fondateurs (France, Brésil, Chili, Norvège, Royaume-Uni).
Quatorze autres pays se seraient engagés à l'instaurer, selon le
gouvernement français. Les sommes collectées sont reversées à un Fonds
spécial Unitaid hébergé par l'Organisation mondiale de la santé (OMS).
L'argent devra faciliter l'accès aux médicaments contre le sida, la
tuberculose et le paludisme dans les pays en développement.
Un semestre seulement après sa mise en application en France, plusieurs
associations dénoncent les contradictions du système. A Paris, l'ONG
écologiste Amis de la Terre s'interroge «sur l'avancée des projets et la
transparence promise sur l'affectation de cette taxe prévue pour rapporter
200 millions d'euros par an», et demande «une première évaluation de l'usage
des fonds collectés». Autre question posée par les Amis de la Terre: si les
populations du Sud sont les premières concernées par cette aide, «il est
temps d'expliquer pourquoi des professionnels du médicament et les centrales
d'achat africaines ne sont pas cités comme les partenaires de premier plan».
Unitaid est «l'invention humanitaire» de Jacques Chirac. C'est pourquoi son
ministre des Affaires étrangères dépense sans compter pour la rendre
visible: fin novembre, il a versé 130000 euros (en quarante-huit heures, aux
frais de son cabinet) pour une «luxueuse virée antisida en Inde» avec une
suite de trente-deux personnes (dont douze journalistes), révèle Le Canard
enchaîné. «Unitaid est plus visible que lisible!» ironise Khalil
Elouardighi, de l'association Act up-Paris. Ce militant a été désigné par la
Coalition internationale des associations de lutte contre le sida pour
occuper le siège des ONG au conseil d'administration d'Unitaid - conseil
d'administration présidé par le même ministre, Philippe Douste-Blazy.

Le projet Unitaid revient à subventionner une vaste centrale d'achat de
médicaments à la disposition de l'OMS et de l'Onusida

A y regarder de plus près, on s'aperçoit que le site web d'Unitaid existant
est en fait un outil de communication de M. Douste-Blazy, en lien avec son
propre ministère. Quelle est la transparence sur l'attribution des marchés?
Pour l'instant, les tractations avec les laboratoires sont tenues secrètes.
A cet égard, la fondation Bill Clinton apparaît comme le principal opérateur
des achats de médicaments au Mali, mais aussi en Inde, où 35 millions de
dollars en faveur des enfants malades vont être débloqués.
«Quel rôle aura la fondation Clinton, peu opérationnelle sur le terrain, et
pourquoi une fondation américaine alors que les Etats-Unis n'ont pas décidé
d'appliquer cette taxe?» se demandent encore les Amis de la Terre. «Cette
fondation travaille à faire baisser les prix des antirétroviraux depuis
2002», justifie Khalil Elouardighi, qui se bat pour que l'argent récolté ne
soit pas «gâché» en achetant des médicaments plus chers à des grands
laboratoires. Officiellement, Unitaid affirme la nécessité de faciliter
l'achat de génériques. Cependant, nécessité et réalité pourraient faire
deux. Dans de nombreux pays africains, en effet, des brevets ont été déposés
par les grandes marques pharmaceutiques sur des molécules d'antirétroviraux,
dont celles destinées aux enfants.
Il existe certes des flexibilités autorisées par l'Organisation mondiale du
commerce (OMC) pour passer outre ces droits de propriété intellectuelle et
importer des génériques au nom du droit à la santé. Mais, dans la pratique,
la complexité de ce recours et les pressions exercées par les grands groupes
pharmaceutiques découragent des pays qui en auraient besoin. C'est pourquoi
les ONG regrettent que l'utilisation de ces flexibilités ne soit pas
clairement mentionnée dans les accords Unitaid avec les pays bénéficiaires.
Autre zone de flou: les gouvernements des pays du Sud pourraient faire payer
en partie les traitements aux malades. L'expérience montre que certains
Etats recevant de l'aide internationale pour l'achat d'antirétroviraux
facturent les patients pour les soins et/ou les médicaments. «Ces pays
prétendent généralement que les politiques de la Banque mondiale les y
encouragent. De son côté, la Banque mondiale réplique qu'elle n'oblige
personne», remarque M. Elouardighi.
«L'annulation de la dette extérieure publique et l'abandon des politiques
d'ajustement structurel seraient des leviers plus judicieux pour permettre
aux pays concernés d'organiser leur santé selon leurs besoins», estime quant
à lui le Comité pour l'annulation de la dette du tiers monde, qui juge la
taxe Unitaid «inadaptée».

Ventes dopées

Adaptée ou non, la «taxe Chirac» fera des heureux. D'abord, l'industrie
pharmaceutique, dont les ventes seront dopées. Le projet Unitaid revient en
effet à subventionner une vaste centrale d'achat de médicaments à la
disposition de l'OMS et de l'Onusida. Quelque six millions de sidéens ont
toujours un besoin urgent de traitement. Chaque année, on pourrait réduire
de moitié les un à trois millions de morts du paludisme dans le monde, et
soigner les deux millions de victimes de la tuberculose. Combien seront
sauvés grâce à Unitaid? DATAS