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Sida : Un guérisseur annonce qu’il le traite
Écrit par Sandrine Gaingne,
Vendredi, 15 Juin 2012 13:56
L’information est contenue dans des affiches de format A3, placées le long du mur partagé entre l’école publique et le lycée Bilingue de Deïdo à Douala.
Info ou intox ! «Le Sida se traite définitivement au C.Tramvi-Sida (centre de traitement des maladies virales et du Sida)».
L’information pour le moins surprenante est écrite en gros caractères, sur une multitude d’affiches placardées qui font le décor de la barrière qui se prolonge jusqu’au lieu dit Château D’eau. Sous fond de maron, l’on peut également lire: « les hépatites virales, le diabète, les maladies de la prostate, les tumeurs gastriques et cancéreuses, la tuberculose, les fibromes et kystes ovariens, le Sida se traitent définitivement en deux mois». Autre information contenue sur ces papiers, la gratuité des consultations ainsi que les contacts du traitant.
Grace à ces contacts, un rendez-vous est pris avec le guérisseur qui accepte de rencontrer le reporter dans sa « clinique » située au Quartier Bépanda Boulangérie La paix, non loin de l’église catholique saint Charles Lwanga de Bépanda, un coin populeux de la capitale économique camerounaise. Le jeune homme qui nous accueille à l’entrée d’un modeste appartement est âgé d’environ une trentaine d’années. Ce dernier squatte dans un deux pièces dans une concession. En y entrant, on est tout de suite frappé par la parole de Dieu qui ressort des ondes de la radio qu’il a installée sur une table. Sa salle de séjour lui sert également de laboratoire. Des écorces de toute sorte sont disposées à même le sol. On peut même y distinguer des plantes aloe vera visiblement fraîches. L’odeur d’écorces et de mixtures de tout genre transperce les narines. Il est environ 12 heures. Et aucun malade à l’horizon.
Après avoir décliné notre identité. Il est tout de suite devenu plus sérieux et moins disert. D’un ton rassurant, il affirme : «Je traite le Sida». Joignant la parole à l’acte, il nous présente deux bulletins médicaux d’un de ses patients âgé de 23 ans qui «a été guéri après deux mois de traitement», précise-t-il. L’un des bulletins remonte à 2011 où il est allé faire un test dans un hôpital et il a été déclaré positif. Et le second test est celui qu’il a fait un an plus tard c'est-à-dire en mars 2012 dans un centre de santé et qui démontre qu’il est séronégatif ; «comme celui-ci, j’ai déjà soigné plusieurs malades. Il m’est difficile de savoir le nombre exact tellement, ils sont nombreux», dit-il avant de poursuivre : «généralement, les malades viennent me voir quand ils ont déjà été diagnostiqués à l’hôpital. On ne peut pas distinguer un malade à vue d’œil. Et après son traitement, il repart à l’hôpital faire un autre test pour confirmer qu’il est effectivement guéri. Le traitement se fait en deux mois pour ceux qui ne font pas encore la maladie et trois mois pour ceux qui font déjà la maladie».
Et les tarifs alors ?
«241.000 Fcfa pour ceux qui ne font pas encore la maladie et 280 000 Fcfa pour ceux qui font déjà la maladie». Cette somme peut être payée en tranches, dit-il.
Pour guérir, «les malades doivent suivre le traitement exactement comme je le prescris. Pas d’alcool, ni de relation sexuelle pendant toute la durée du traitement. Le traitement est fait uniquement à base des plantes naturelles», précise t-il.
A en croire quelques voisins interrogés discrètement, le tradipraticien a un nombre important de malades : «chaque matin, de nombreuses personnes défilent ici avec des bidons remplis de liquide. Maintenant, il n’y a personne, mais si vous venez ici vers 6 heures du matin, vous allez voir l’affluence», a confié une commerçante non loin de là.
Toutefois, le guérisseur n’a pas voulu donner plus d’informations, encore moins nous décliner son identité. Il nous a tout simplement demandé de revenir, question pour lui, dit-il de rassembler ses patients pour un témoignage vivant. «Revenez surtout avec leurs frais de taxi», nous a-t-il prévenus.
Silence à Bonanjo
Rendu à la délégation régionale de la Santé publique à Bonanjo pour rencontrer le délégué afin d’avoir son opinion sur cette affaire, les collaborateurs du délégué rencontrés au secrétariat, ont affirmé que le délégué ne traite pas de ce type de sujet. Après avoir insisté, et expliquer pendant de longues minutes l’objet de notre démarche, ces derniers nous ont orientés vers la cellule technique régionale de lutte contre le Sida sis à Bali. Rendu sur les lieux, l’on a pu entrer dans le bureau du chef de l’unité planification, suivi et évaluation. Discourtois, le propriétaire du bureau, dans un ton agressif, a fait savoir que son service n’est pas la gendarmerie. «Nous ne sommes pas là pour regarder qui place des affiches dans les carrefours où pas. Vous êtes journaliste et vous savez mieux que quiconque quelle est la procédure pour les affiches. Si ce monsieur soigne le Sida, allez le voir, et posez lui
vos questions. Nous ne sommes pas là pour ça», a-t-il dit, en grondant.
Difficile tout de même d’expliquer le comportement dans nos administrations. Difficile encore de comprendre l’attitude ambigüe, et surtout incompréhensible de la part d’un responsable chargé du suivi et de la planification des stratégies de sensibilisation sur le sida. Une telle désinvolture est loin de rassurer les populations, mieux de les protéger contre les diseurs et autres faiseurs de «miracles» qui écument les coins et les recoins de la capitale économique du Cameroun.
Ceci traduit peut-être le laisser-aller observé dans la ville, chacun peut placer des affiches partout et n’importe où sans être inquiété. Les pouvoirs publics ont- ils donc décidé de dérouler le tapis rouge aux guérisseurs? A qui profite t-il ?
Surtout pas aux malades du Sida floués et arnaquer par des personnes sans foi ni loi, animer par le seul souci de se remplir malhonnêtement les poches.
Nos enquêtes sur ce cas se poursuivent.