SIERRA LEONE: La gratuité des soins ne règle pas tous les problèmes
Photo: Nancy Palus/IRIN
Une femme et son bébé, à l'hôpital public de Makeni, Sierra Leone
http://www.irinnews.org/fr/ReportFrench.aspx?ReportID=88964
DAKAR, 29 avril 2010 (IRIN) - Les bailleurs et les organisations non
gouvernementales (ONG) se sont félicités du lancement, par le gouvernement
sierra-léonais, le 27 avril, des soins de santé gratuits pour environ 1,5
million de femmes et d'enfants, mais d'après les experts de la santé, cette
mesure ne représente qu'une étape d'un processus long et complexe, à l'heure
où le système de santé présente encore des lacunes graves.
En vertu de cette nouvelle directive, les structures de santé publique
doivent désormais prodiguer des soins de santé gratuits aux enfants de moins
de cinq ans et aux femmes enceintes et allaitantes.
« Moi qui travaille depuis des années dans notre système de santé, je peux
dire qu'il s'agit là du plus gros changement jamais opéré [dans le
système] », a déclaré S.A.S. Kargbo, directeur de la santé reproductive et
de la santé de l'enfant au ministère de la Santé, dans un communiqué publié
par Save the Children, qui collabore étroitement avec le gouvernement dans
le cadre de cette initiative.
« Et son impact [en termes de] vies sauvées de femmes et d'enfants sera
réellement significatif ».
En Sierra Leone, un enfant sur cinq meurt avant l'âge de cinq ans, et une
femme sur huit décède des suites de complications liées à la grossesse,
selon le Fonds des Nations Unies pour l'enfance (UNICEF).
Prêts ?
Mais les frais de santé ne sont pas l'unique obstacle à la prestation de
services de santé publique convenables. Le président Ernest Bai Koroma et
les hauts responsables de la santé ont récemment fait la tournée des
hôpitaux de l'ensemble du pays pour évaluer leur état de préparation : ils y
ont trouvé un manque d'eau courante et d'électricité, des générateurs
insuffisants, des installations pâtissant d'un « manque important de
personnel » et des lits et des équipements médicaux inadaptés, selon un
communiqué de presse gouvernemental.
Des médecins cubains et nigérians exercent en Sierra Leone pour combler en
partie le manque de personnel. La Sierra Leone compte environ trois médecins
pour 100 000 habitants ; or, l'Organisation mondiale de la santé recommande
qu'il y en ait au moins 228.
D'après le gouvernement, les structures sanitaires sont en cours de
modernisation - avec le soutien financier de plusieurs bailleurs de fonds et
ONG - mais cela prendra plusieurs mois, voire plusieurs années.
La grève de 10 jours des travailleurs de la santé a été annulée le 28 mars,
après l'annonce, par le président Koroma, d'une augmentation de salaires
pour les professionnels de la santé, mais bon nombre de leurs griefs sont
encore loin d'être résolus.
« Les principales préoccupations des travailleurs de la santé sont les
indemnités, les conditions de travail, le manque d'avancement professionnel
et de possibilités d'études, et le manque d'équipement », a dit à IRIN
Frederic Coker, directeur d'une coalition de médecins grévistes, quelques
jours après l'annonce de l'augmentation de salaires. « Mais nous comprenons
que toutes nos demandes ne peuvent pas être satisfaites en même temps ».
Un processus plus global
Selon Vidhya Ganesh, représentante adjointe de l'UNICEF en Sierra Leone, il
est important que la gratuité des soins de santé soit considérée comme une
étape, dans le cadre d'un processus plus global.
« Le lancement a fait l'objet d'une grosse préparation : il s'agissait,
notamment, de mettre les médicaments à disposition et de communiquer la
politique », a-t-elle déclaré à IRIN. « Mais toutes les difficultés qui
touchent le secteur de la santé ne seront en aucun cas résolues en une seule
mesure ; c'est un processus continu ».
Il est craint, néanmoins, que les hôpitaux publics soient soumis à une
pression immédiate, devant l'afflux de patients souhaitant bénéficier de
soins de santé gratuits.
« Nous savons, pour en avoir fait l'expérience dans les autres pays qui ont
instauré la gratuité des soins, que les premiers mois sont critiques », a
dit à IRIN Laurence Sailly, chef de mission par intérim chez Médecins sans
frontières - Belgique.
Le gouvernement doit adopter une stratégie de dotation des centres de santé
en équipement et en personnel, a-t-elle ajouté.
Le ministère de la Santé prévoit d'ailleurs d'augmenter de 30 à 150 le
nombre de sages-femmes formées chaque année, selon M. Kargbo, directeur de
la santé reproductive.
De nombreux travailleurs de la santé se rémunèrent sur les recettes tirées
des frais des usagers, selon Save the Children, qui soutient l'adoption d'une
stratégie publique visant à augmenter les salaires du personnel médical en
fonction de leur nouvelle somme de travail.
Des soins de qualité
Mais de nombreux patients se rendent dans les cliniques même lorsque les
soins de santé ne sont pas gratuits ; pour eux, c'est la qualité des soins
qui importe.
« [Les soins gratuits], c'est une bonne idée. mais il faut avoir les
médicaments. Si vous dites aux gens de venir et qu'un diagnostic est établi,
si vous n'avez pas les médicaments, c'est un problème », a dit à IRIN Hadja
Kadiatu Jalloh, responsable de santé communautaire à Makeni, à 200
kilomètres au nord-est de Freetown, la capitale.
Une femme assise près de son enfant a confié que, pour sa part, le coût n'était
pas le problème. « C'est la vie de mon enfant qui m'intéresse, alors je n'ai
pas pensé à l'argent quand il est tombé malade ; j'ai immédiatement décidé
de venir à l'hôpital ».
Cette femme, qui n'a pas donné son nom, est marchande de poissons ; elle a
dit dégager environ 10 000 Leones (2,50 dollars) de bénéfices par jour, au
maximum. L'hôpital de Makeni facture actuellement 11 500 Leones (2,95
dollars) l'admission au service de pédiatrie ; et un accouchement ordinaire
peut coûter environ 10 dollars.
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