[e-med] Standardisation des apparences des ARV

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Les médicaments antirétroviraux en Afrique,
logique de santé publique contre logiques commerciales*
Bernard Taverne1, Alice Desclaux1, Mame B. Koita Fall1, Eric Delaporte2, Ibra Ndoye3,
1. Centre régional de Recherche et de Formation à la prise en charge clinique de Fann, 233 de l’IRD TransVIHMI, CHNU de Fann, Dakar, Sénégal
2. UMI 233 TransVIHMI, Institut de Recherche pour le Développement (IRD), Université de Montpellier 1, Montpellier, France.
3. Conseil National de Lutte contre le Sida du Sénégal, Dakar, Sénégal.

* version française du texte publié en anglais, citation :
Taverne B, Desclaux A, Koita Fall MB, Delaporte E, Ndoye I. Antiretroviral drugs in Africa: a public health versus a market approach. J Acquir Immune Defic Syndr. 2013 Jun 1;63(2):e74-6. doi: 10.1097/QAI.0b013e31828ed94d.

L’accès aux médicaments antirétroviraux (ARV) dans les pays à faible revenu a connu une extension spectaculaire ces dernières années. Cette extension a été rendue possible par la baisse du prix des médicaments liée à la disponibilité de médicaments ARV génériques sur le marché international. L’usage de médicaments ARV génériques est soutenu par divers organismes de santé globale (OMS, ONUSIDA, UNITAID). Deux dispositifs spécifiques ont été mis en place pour favoriser les approvisionnements en ARV génériques : i) l’établissement de listes de préqualification des médicaments sous l’égide de l’OMS [1], visant à garantir la qualité des médicaments, ii) la mise à disposition de guides des prix des médicaments [2, 3] permettant aux acheteurs de comparer les prix proposés par les différents fournisseurs.

En 2012, la production mondiale de médicaments ARV est assurée par huit industriels propriétaires et sept industriels génériqueurs. Ils fournissent les vingt-deux molécules à partir desquels sont constitués les différents schémas thérapeutiques qui associent le plus souvent trois médicaments de classes différentes, sur la base des recommandations internationales périodiquement révisées.

DES LOGIQUES COMMERCIALES DE PROLIFÉRATION

Actuellement dans les pays du Sud, la plus grande partie des médicaments ARV distribués sont des médicaments génériques. Chaque pays s’approvisionne de manière indépendante. Les approvisionnements se font à travers des procédures d’appel d’offres et de mise en concurrence des fournisseurs internationaux avec sélection des fournisseurs meilleurs marchés. La règle d’attribution des marchés au moins disant et la répartition des achats entre plusieurs fournisseurs (pour se prémunir de défaut de livraison) conduit à ce que l’approvisionnement en un médicament puisse être assuré par deux, voire trois fournisseurs différents sur la période couverte par un appel d’offre (1 à 2 ans). Comme chaque fournisseur définit lui-même et de manière indépendante le nom commercial et les caractéristiques de ses médicaments, cela se traduit par une véritable prolifération d’appellation, de format, forme et couleur pour un même médicament.

Ainsi, au Sénégal, sur la période 1998 – 2010, il y a eu, à dosage équivalent, cinq présentations différentes de Zidovudine, cinq de Nevirapine et autant de la combinaison Lamivudine-Zidovudine, six de Lamivudine. Le nom commercial, habituellement utilisé par les professionnels de santé et parfois par les usagers puisqu’il est mentionné sur les emballages, a varié pour la Lamivudine entre Epivir®, Avolam®, Larvir®, Lamivir®, Heptavir® et Lamivudine® ; les appellations de Nevirapine ont été Viramune®, Nevipan®, Nevirex®, Nevirapine®, Nevimune®, Nevir®, etc.

Sachant qu’un schéma thérapeutique associe communément trois médicaments différents, et que chacun des trois peut varier plusieurs fois dans la même année, cela conduit à une modification fréquente de l’aspect des traitements. Par exemple, pour les années 2008 et 2009, quatre formes de Tenofovir, deux formes de Abacavir et deux formes de Lopinavir/Ritonavir ont conduit à délivrer à certains patients de deux à cinq présentations différentes de la même combinaison thérapeutique (fig. 1). Les conséquences de cette diversité d’appellations et d’apparences, et de leurs variations fréquentes, sont nombreuses et importantes, tant pour les patients que les professionnels de santé.

DES IMPACTS NÉGATIFS SUR LES PATIENTS ET LES PROFESSIONNELS DE SANTÉ

Pour les patients, chaque changement suscite des interrogations et peut créer des perturbations, même lorsque le changement est annoncé et accompagné par les professionnels de santé. Les changements d’appellation et d’apparence troublent les repères de reconnaissance et d’identification des médicaments et perturbent les routines de prise. Aucune étude systématique n’a été à ce jour publiée permettant d’objectiver l’impact sanitaire, mais des observations empiriques rapportent de nombreuses histoires de patients ayant manifesté leur inquiétude devant un changement de présentation et des récits décrivent des erreurs de prises des médicaments (ex. confusion entre deux formes d’Abacavir et de Lopinavir/Ritonavir ; prise d’une double dose de Ténofovir pendant plusieurs mois,…) De plus les changements d’apparence sont souvent perçus comme des changements de traitement ; les patients s’interrogent alors sur les raisons de ce changement ; ils craignent une aggravation de la maladie qui aurait été cachée par le médecin, une erreur de prescription du médecin ou de dispensation du pharmacien. Ces changements réactivent la perception d’effets indésirables liés à « l’adaptation » au traitement, et les craintes de nouveaux effets indésirables. Ces changements constituent une menace sur l’adhésion et l’observance thérapeutique notamment pour des populations de faible niveau de scolarisation (ou ne maîtrisant pas la langue dominante). A Dakar, certains patients ont refusé de prendre ce qu’ils percevaient comme un « nouveau traitement ».

Les changements d’appellation et d’apparence des médicaments retentissent aussi sur l’activité des professionnels de santé qui délivrent les médicament (en rendant plus complexe la dispensation et la gestion des stocks de médicaments). Lors de la dispensation, les professionnels doivent informer les patients de chaque changement, en expliquer les raisons, les rassurer sur la similitude des traitements, prévenir et gérer les éventuels nouveaux effets secondaires ; ils doivent également décrire et montrer pour chaque médicament quelles sont les modifications d’aspect et s’assurer que les patients ont compris. La diversité des appellations est un facteur de confusion dans la gestion des stocks de médicaments : des discordances ont été observées entre l’étiquetage d’étagères de stockage mentionnant un nom commercial et l’abréviation DCI d’un médicament et les boîtes disponibles correspondant à un autre nom commercial ; dans une structure sanitaire périphérique la personne en charge de délivrer les médicaments renvoyait les patients à leur domicile en leur annonçant une rupture d’approvisionnement car elle n’avait pas compris que les boîtes qu’elle avait reçues depuis quelques semaines, contenaient un médicament dont l’appellation et la présentation avaient changé. Des erreurs de dispensation ont été observées à la suite de confusions sur des appellations nouvellement introduites.

Ces risques d’erreur doivent d’autant plus être pris en considération que la dispensation des médicaments, dans les pays à faible revenu, est souvent réalisée dans le cadre de la délégation des tâches par des personnes qui ne sont pas pharmaciennes et dont la formation est parfois sommaire et non réactualisée.

STANDARDISER : UNE LOGIQUE DE SANTÉ PUBLIQUE

La standardisation de l’apparence et de l’appellation des médicaments ARV permettrait d’éviter ces difficultés. Cette notion n’est pas nouvelle. L’histoire du médicament montre que la diversification des formes et appellations provient de la volonté des industriels propriétaires de singulariser leurs produits pour permettre l’identification d’une forme commerciale. L’aspect physique des médicaments et leur nom sont parfois protégés par un droit de propriété intellectuelle relavant du droit des marques et du droit des dessins et modèles qui interdit aux industriels génériqueurs de reprendre les caractéristiques du médicament d’origine.

Néanmoins, les autorités sanitaires de plusieurs pays ont imposé des attributs – en particulier de couleur – à certaines catégories de médicaments (par exemple les inhalateurs broncho-pulmonaires en Grande-Bretagne) afin de faciliter leur reconnaissance par les patients. Au Canada, la plus part des médicaments génériques sont similaires à l’original en taille, forme et couleur ; une similitude d’apparence entre médicament original et générique est recommandée par les autorités de certaines provinces [4]. Ces décisions mettent en avant la valeur inhérente à l’apparence du médicament, en termes de santé publique. Cette valeur est de plus en plus reconnue par la justice, qui considère que la forme des médicaments est un élément majeur de leur facilité d’utilisation, et donc une composante de la sécurité [5].

Dans le cas spécifique des médicaments contre le VIH pour les pays du Sud, le principe d’une standardisation des apparences des médicaments antirétroviraux s’impose afin de rationaliser la gestion pharmaceutique et de favoriser l’observance thérapeutique des patients. Il est nécessaire et urgent d’instaurer le critère d’une parfaite similitude d’apparence entre les médicaments comportant le même principe actif, au même dosage, bioéquivalents, commercialisés par des industriels différents, qu’ils soient propriétaires ou génériqueurs. Une réflexion doit également être conduite à propos de l’appellation des médicaments car les variations sont aussi une source de confusion pour les patients et les professionnels de santé. L’étape suivante devrait être la standarisation des appellations à partir de la Dénomination Commune Internationale (DCI) [6].
Afin de permettre une mise en application rapide d’une telle mesure, ces aspects devraient être inclus dans les critères de pré-qualification des médicaments antirétroviraux définis par l’OMS.

REFERENCES
1. World Health Organization. Prequalification programme. A United Nations programme managed by WHO. http://apps.who.int/ prequal/.
2. Untangling the Web of Antiretroviral Price Reduction, http://utw.msfaccess.org/
3. World Health Organization. Global Price Reporting Mechanism for HIV, tuberculosis and malaria; http://www.wh o.int/hiv/amds/gprm/en/
4. Canadian Generic Pharmaceutical Association. The Size, Shape & Colour of Generic Medicines. 2013. http:// www.generiquescanadiens.ca/
5. Greene J, Kesselheim A. (2011) Why do the same drugs look different? Pills, trade dress, and public health. N Engl J Med.365(1):83–89.
6. World Health Organization. International Nonproprietary Names. Available at: http://www.who.int/medicines/services/inn/en/

Correspondance :
Dr Bernard Taverne
CRCF / IRD
BP 1386, CP 18524
Dakar
Senegal
Tel : + 221 77 681 58 56
Bernard.Taverne@ird.fr

Bonjour,

La standardisation des apparences et de la présentation des ARV serait d'un
grand apport.

En effet, la diversité des présentations et apparences rend l'adhérence au
traitement difficile et favorise aussi les erreurs de médication et leurs
conséquences.

NYAWAKIRA Anicet
Medicine Information Officer
Ministry of Health/Pharmacy Services
Secretary of National Pharmacy Council
Rwanda/Kigali
Tel: (+250) 07 88 43 34 43
alternative e-mail: anyakira@yahoo.fr