[On nous signale l'utilisation du ténofovir acheté pour le traitement de
malades du sida dans le cadre du traitement de l'hépatite B; ci-dessous un
article de synthèse sur le sujet. CB]
VIH & Hépatite B
Mauvais compagnonnage
InfoTraitements N°197 - Juin 2010
publié le 30 août 2010 . par Odile VERGNOUX
http://www.actions-traitements.org/spip.php?article3513
Si l'hépatite B chronique reste, au niveau mondial, un problème de santé
majeur, la mise à disposition depuis quelques années d'antiviraux efficaces
sur les deux virus à la fois (VIH et VHB) a changé les perspectives pour les
personnes atteintes par les deux infections. Mais tous les problèmes ne sont
pas solutionnés pour autant chez toutes les personnes atteintes. Faisons une
petite revue des évolutions les plus récentes.
L'hépatite B chronique, définie par la détection d'un antigène [1] de
surface du virus (Ag HBs) pendant au moins six mois, comporte un risque
élevé à long terme de cirrhose et de cancer du foie. Elle est fréquente dans
les deux principaux groupes à risque de VIH sur le territoire français : les
hommes et les femmes originaires d'Afrique subsaharienne, qui sont
contaminés en général à la naissance ou pendant la petite enfance, et les
gays/bisexuels masculins, dont la contamination est d'origine sexuelle.
Les personnes déjà contaminées par le VIH ont un risque nettement plus élevé
de progresser vers l'hépatite B chronique au lieu de "guérir" spontanément,
si elles sont en contact avec le virus (environ 23% des cas au lieu de 7 %
chez les séronégatifs).
D'autres éléments différencient l'évolution de l'hépatite B chronique chez
les séropositifs au VIH : une charge virale du VHB souvent plus élevée, des
transaminases [2] plus basses, et un risque de réactivation qui dépend
vraisemblablement de la chute immunitaire (et peut être au moins
partiellement renversé grâce au traitement antirétroviral).
Le phénomène le plus important est cependant la dégradation plus rapide de l'état
du foie et, par voie de conséquence, un risque de mortalité par atteinte
hépatique (cirrhose et cancer) très nettement plus élevé que celui des
personnes mono-infectées par le VHB.
L'urgence du traitement
Comme dans les cas de mono-infections, mais avec un degré de nécessité plus
clair encore, le traitement de l'hépatite B chronique doit être envisagé
avec des indications précises et larges à la fois.
L'objectif à long terme est évidemment de diminuer l'évolution de la fibrose
hépatique et donc le risque de cirrhose et / ou de cancer du foie. Mais on
se fixe aussi des objectifs à plus court terme, qui sont facilement
identifiables et prédicteurs de l'évolution à long terme :
1) suppression de la réplication virale du VHB,
2) séroconversion antigène - anticorps HBe chez les personnes porteuses d'un
virus VHB "sauvage", avec antigène e,
3) réduction de l'inflammation du tissu hépatique,
4) normalisation des transaminases.
Dans la plupart des cas, l'arrêt prolongé de la réplication virale conduit à
stopper la progression de la fibrose, diminue le risque qu'elle évolue vers
ses conséquences les plus graves, et normalise les transaminases.
Idéalement, le traitement devrait mener également à la disparition de l'antigène
HBs et à l'apparition de son anticorps. Mais cet objectif n'est que rarement
atteint (sans doute moins encore en cas de co-infection) : très
exceptionnellement en cas de traitement prolongé pendant plusieurs années
par inhibiteurs nucloéosidiques, un peu plus fréquemment en utilisant le
peg-interféron, qui connaît actuellement un regain d'intérêt dans la prise
en charge de l'hépatite B.
L'actualité de la co-infection, au niveau thérapeutique, suit inévitablement
celle de l'infection à VIH elle-même. Les recommandations actuelles de
traitement du VIH vont dans le sens d'un traitement plus précoce, bien que
seule l'analyse de données rétrospectives (cohortes, non randomisées [3])
soutienne actuellement cette approche. Mais dans le cas de pathologies
associées à l'infection à VIH (hépatite virale, atteinte cardio-vasculaire,
atteinte rénale), l'intérêt d'un traitement précoce du VIH, sans attendre
que les CD4 descendent en dessous de 500/mm3, n'est guère contesté.
Ces dernières années, on ne se posait plus guère de questions, dès lors qu'un
traitement antirétroviral était indiqué. Le tenofovir (Viread®) avait obtenu
son indication dans le traitement de l'hépatite B, où son efficacité est
remarquable et très stable, pratiquement sans apparition de résistance
virale, même après plusieurs années de traitement en monothérapie (ceci en
cas de mono-infection VHB). Dans le traitement du VIH, c'est l'une des
molécules les plus utilisées, principalement en association avec l'emtricitabine
(Truvada®), autre molécule efficace contre le VHB. On utilisait donc cette
combinaison thérapeutique avec la quasi-assurance d'être efficace sur les
deux virus à la fois.
Quand un traitement contre le VIH n'est pas encore indiqué, traiter l'hépatite
B devient plus complexe, car il s'agit de trouver une solution qui soit
efficace contre le VHB sans impacter l'effet d'un traitement contre le VIH
administré par la suite. Le peg-interféron est une possibilité, les autres
nucléosidiques ayant une indication dans l'hépatite B chronique (entécavir
et telbivudine) étant soupçonnés de pouvoir induire des mutations de
résistance au VIH, même si l'impact ultérieur de celles-ci sur le traitement
du VIH reste inconnu (il est vraisemblable qu'il soit mineur, étant donné la
diversité des molécules antirétrovirales maintenant disponibles).
Cependant, la question de la tolérance rénale du tenofovir peut être
problématique. Elle nécessite un suivi régulier et quelquefois un ajustement
des doses ou un arrêt du traitement. Les conséquences à long terme d'une
altération de la fonction rénale sont encore mal connues. Les patients d'origine
africaine, en particulier, sont davantage à risque d'hypertension artérielle
et d'atteinte rénale liée au VIH, et rajouter un risque potentiel lié au
tenofovir peut poser question dans cette population. On peut donc se
trouver, dans certains cas, confronté à des situations difficiles, et cela d'autant
plus qu'un traitement de plusieurs années par la lamivudine (pour l'infection
à VIH) peut avoir induit une résistance du VHB à cette molécule. Les
molécules de cette famille (lamivudine, emtricitabine, telbivudine) ont
vraisemblablement toute cette hypothèque à long terme de résistance virale
du VHB apparaissant au bout de quelques années.
D'où l'intérêt renouvelé pour le peg-interféron, son efficacité, quoique
modeste, étant maintenant mieux cernée et prédictible, dans une certaine
mesure, grâce à des marqueurs biologiques dont l'intérêt se confirme.
On dispose de peu d'études d'efficacité contre le VHB et de tolérance pour
les personnes co-infectées par les deux virus. Elles concernent
essentiellement les inhibiteurs nucléosidiques et quasiment pas l'interféron.
Plusieurs présentations cette année à la CROI [4] analysent les effets du
tenofovir dans cette indication. Pour les patients porteurs d'un virus VHB
avec un antigène HBe (virus "sauvage"), la perte de cet antigène est un
bénéfice attendu du traitement. L'efficacité du tenofovir sur la perte de l'antigène
HBe est voisine de ce que l'on observe chez les mono-infectés.
En France, on dispose d'une importante cohorte de 158 patients co-infectés,
suivis dans trois hôpitaux parisiens et à Lyon. 101 d'entre eux étaient
porteurs de l'antigène e et ont été suivis en cours de traitement par
tenofovir grâce à un nouveau marqueur, l'index antigénique HBe. Ce marqueur
apparaît comme un bon prédicteur de la perte de l'antigène e, meilleur que l'évolution
sous traitement de la charge virale du VHB.
Un autre marqueur, la quantification de l'antigène de surface HBs, plus
accessible, a déjà fait la preuve de son caractère prédictif de succès
thérapeutique chez les personnes mono-infectées traitées par peg-interféron.
Il permet de prévoir la séroconversion antigène - anticorps de surface,
considérée comme le but ultime du traitement, qui témoigne de la "guérison"
de l'hépatite B chronique. L'intérêt d'un traitement par peg-interféron est
sa durée limitée (48 semaines en principe) et la durabilité de l'efficacité,
une fois obtenue.
Chez les co-infectés traités par tenofovir également, le taux d'antigène
HBs, au début du traitement et au cours de celui-ci, est utile pour prédire
la perte de l'antigène HBe dans les années suivantes, comme cela a été
démontré dans le suivi de la même cohorte française. Chez ces 158 patients,
une baisse progressive et lente de l'antigène HBs a été observée au cours
des trois ans et demi du suivi. La disparition de l'antigène Hbs a été rare
(5 cas), celle de l'antigène e plus fréquente (19 cas sur les 101 qui en
étaient porteurs). Une précédente étude de la même équipe avait laissé
entrevoir une diminution du score de fibrose hépatique (Fibromètre®) chez
les patients co-infectés ayant un score élevé de fibrose au départ (F3/F4)
traités par tenofovir pendant une médiane [5] de 29 mois.
Au total, on dispose maintenant de molécules efficaces dans la prise en
charge de l'hépatite B chronique chez les co-infectés par les deux virus.
Cependant les études cliniques restent trop rares, comme si cette population
n'intéressait pas beaucoup les laboratoires. L'intérêt du tenofovir est
important, mais dans certains cas, sa tolérance rénale risque d'être
problématique, et il serait utile de disposer dès que possible de données
sur d'autres stratégies thérapeutiques : peg-interféron en utilisant les
nouveaux marqueurs d'efficacité virologique, entécavir associé à un
traitement antirétroviral sans tenofovir, par exemple.
Notes
[1] Substance d'origine biologique ou synthétique qui dans l'organisme
provoque une réaction immunitaire et induit la production d'un anticorps
spécifique.
[2] Enzymes actives au niveau hépatique. Il en existe deux : ASAT et ALAT.
[3] la randomisation est une méthode de répartition fondée sur le hasard,
qui permet d'introduire un élément aléatoire dans une étude.
[4] Conférence on Rétrovirus and Opportunistic Infections, congrès annuel
scientifique américain sur le VIH et ses traitements.
[5] Valeur statistique qui reflète le milieu de toutes les valeurs
recueillies (autant de valeurs se situent en dessous qu'en dessus de la
médiane).