[e-med] Traitement du paludisme: polémique entre Msf et Novartis

Le laboratoire Novartis est accusé par Médecins sans frontières de ne pas
produire assez de Coartem, pour des raisons de rentabilité.
Un médicament antipaludisme qui marche mais qui manque
Par Pierre HAZAN
jeudi 02 décembre 2004 (Liberation - 06:00)
Genève de notre correspondant

http://www.liberation.fr/page.php?Article=258559

la malaria tue environ un million de personnes par an. La firme
pharmaceutique bâloise Novartis a mis au point un médicament très efficace,
le Coartem. Elle s'était engagée auprès de l'Organisation mondiale de la
santé (OMS) à produire dix millions de doses en 2004. Mais l'objectif ne
sera pas atteint. Médecins sans frontières (MSF) accuse le pharmacien de
n'avoir pas investi suffisamment pour tenir ses engagements, «ce qui
provoquera forcément une augmentation de la mortalité des enfants touchés
par le paludisme».

Procédure lourde. Le Coartem est un médicament dont le principe actif,
l'artémisinine est tiré d'une plante cultivée presque exclusivement en
Chine, l'armoise annuelle (Artemisia annua). Ce traitement s'est avéré
remarquablement efficace pour lutter contre la malaria ; il suscite douze
fois moins de résistance du parasite que d'autres molécules. L'OMS a donc
mis le Coartem sur la liste des «médicaments essentiels» et a incité les
gouvernements à l'adopter. Il s'agit d'une procédure relativement lourde
dans des pays pauvres qui implique la formation du personnel de santé dans
les zones rurales. Depuis 2001, vingt pays ont adopté le Coartem et dix-huit
autres sont en train de le faire. Simultanément, l'OMS a passé un accord
avec Novartis en 2001, qui s'est engagée à fournir son traitement à prix
coûtant et à augmenter sa production: 220 000 traitements en 2001, 10
millions en 2004, 60 millions en 2005.

Mais l'objectif de 2004 ne sera pas atteint et reste très incertain pour
2005. Novartis justifie ces retards par la pénurie d'armoise due «au
quadruplement de la demande». Une explication qui ne satisfait pas MSF,
comme le dit Jean-Marie Kindermans : «Le fond du problème est ailleurs.
Novartis vend le Coartem à prix coûtant (2,4 dollars le traitement, ndlr).
En d'autres termes, cette société ne dégage aucun profit sur ce médicament.
Nous avions beau depuis plusieurs mois tirer la sonnette d'alarme devant le
risque de pénurie, Novartis n'y a guère prêté attention, car en réalité elle
se désintéresse de ce traitement. Jamais Novartis ne se serait retrouvée
dans une telle situation si ce médicament dégageait des bénéfices.»

Engagement «violé». De son côté, Novartis s'en prend à l'OMS, qui a tardé à
faire connaître ses besoins. Et constate que, depuis la hausse du prix de la
matière première, elle vend son traitement à perte. Le prix de
l'artémisinine est passé de 180 dollars à 455 dollars la livre entre avril
et novembre 2004.

Des arguments qui ne convainquent pas Jean-Marie Kindermans, pour qui, de
surcroît, l'OMS «couvre» Novartis «au lieu de dénoncer l'engagement violé
par la firme pharmaceutique et ses conséquences tragiques»: «Il est
impossible de définir statistiquement combien d'enfants ­ puisque la malaria
tue essentiellement des enfants vont mourir, mais, évidemment, cette
situation de pénurie se matérialisera par une augmentation de la mortalité»,
prévient-il. Particulièrement touchées, l'Ethiopie et la Zambie. «D'autres
thérapeutiques existent, mais sont beaucoup moins efficaces, et provoquent
des effets secondaires souvent pénibles ; et nous savons que beaucoup de
gens interrompent le traitement avant la fin», ajoute Jean-Marie Kindermans.

Fatoumata Nafo-Traoré, en charge de la lutte contre le paludisme à l'OMS,
reconnaît que «la situation est extrêmement préoccupante» : «C'est vrai que
les médicaments destinés à des populations sans réel pouvoir d'achat sont
les parents pauvres de l'industrie pharmaceutique. C'est vrai aussi que les
paysans chinois veulent dégager des profits de la culture de l'armoise. Nous
essayons de créer des mécanismes financiers qui les inciteraient à augmenter
leur production.» Fatoumata Nafa-Traoré explique que son organisation
«aimerait réunir 20 à 30 millions de dollars pour inciter les paysans
chinois à produire davantage et inciter les paysans africains à cultiver
cette plante, puisque les conditions climatiques s'y prêtent».

Pièce maîtresse. Ces derniers jours à Genève s'est tenue une réunion entre
l'OMS et des intermédiaires chinois pour réfléchir aux moyens de sortir de
la crise actuelle. Reste une réalité incontournable: poussés par l'OMS et
appuyés par Novartis et les donateurs, de nombreux pays font du Coartem la
pièce maîtresse de la lutte antimalaria. Or il s'avère que la production
n'est à la hauteur ni des objectifs affichés, ni des besoins. Selon l'OMS,
la situation ne devrait pas s'améliorer avant mars 2005.