[e-med] Un remède traditionnel chinois adultéré avec de la chlorphéniramine (Canada)

(En Afrique cela fait longtemps qu'on s'en doute, mais peu d'étude et de publications...CB)

Un remède traditionnel chinois adultéré avec de la chlorphéniramine
28 janvier 2013
<http://portails.inspq.qc.ca/toxicologieclinique/SharedFiles/Download.aspx
?pageid=189&mid=250&fileid=299>Pierre-André Dubé, M. Sc.
Pharmacien, Institut national de santé publique du Québec
Pierre-Yves Tremblay, M. Sc.
Pharmacologue, Institut national de santé publique du Québec

Introduction

Au Canada, selon la Loi sur les aliments et drogues, les produits de santé
naturels (PSN) sont assujettis au Règlement sur les produits de santé
naturels.(1,2) On entend par PSN : suppléments de vitamines et minéraux;
remèdes à base d¹herbes et de plantes; médicaments traditionnels (chinois,
ayurvédiques); médicaments homéopathiques; probiotiques; acides gras
essentiels et oméga-3; autres produits de consommation courants tels que
certains dentifrices, antisudorifiques, shampoings, produits pour le
visage et rince-bouches.(3)

On retrouve dans la littérature scientifique plusieurs études qui montrent
la présence d¹ingrédients dangereux dans certains PSN. La présence de ces
composés peut être volontaire ou accidentelle. On rapporte la présence de
métaux lourds (plomb, arsenic, mercure), de produits chimiques, de
médicaments sous ordonnance (antihistaminiques, anti-inflammatoires,
benzodiazépines, hypoglycémiants, anticonvulsivants, dérivés de sildénafil
[troubles érectiles], stéroïdes), de drogues d¹abus, de plantes toxiques
(aconitine), de traces d¹ADN d¹animaux protégés ou en voie d¹extinction,
de microorganismes, d¹insectes ou de mycotoxines.(4-10) On rapporte
également l¹apparition d¹effets toxiques secondaires à la présence de ces
composés : nausées, vomissements, diarrhée, insuffisance rénale,
insuffisance hépatique, encéphalopathie, arythmies cardiaques, infarctus
du myocarde, rejet aigu d¹un greffon (c¦ur, rein), hypotension,
hypertension, confusion, psychose, convulsions, hémorragie intracérébrale,
agranulocytose, anaphylaxie.(4,11-16)

Malgré que Santé Canada homologue certains produits, une analyse détaillée
de leur composition n¹est pas effectuée de façon systématique, et
plusieurs produits non homologués restent offerts sur le marché. Santé
Canada s¹assure principalement d¹un étiquetage adéquat et se fie à la
bonne volonté des fabricants quant à leur composition réelle. Des analyses
en laboratoire ne sont effectuées que s¹il y a plusieurs plaintes du
public ou s¹il y a des rapports de plusieurs effets indésirables. En plus,
l¹équipe de toxicologie clinique de l¹Institut national de santé publique
du Québec s¹attend à ce que, dans les prochaines années, une plus grande
variété de PSN se retrouve sur le marché québécois. En effet, le
gouvernement canadien a créé en janvier 2012 un comité consultatif
spécifiquement sur les remèdes traditionnels chinois afin d¹accélérer le
processus d¹homologation.(17,18)

Description d¹un casEn juillet 2012, le responsable scientifique en
toxicologie clinique de l'Institut national de santé publique du Québec a
participé à l¹enregistrement de l'émission « Une pilule, une petite
granule » diffusée le 13 septembre 2012 sur les ondes de Télé-Québec.
L'entrevue avait comme objectif de répondre à une question du public, soit
« La pharmacopée chinoise est-elle sans danger?
<http://pilule.telequebec.tv/occurrence.aspx?id=1002&gt; ».

Pendant l¹entrevue, un remède traditionnel chinois a été acheté dans un
magasin du quartier chinois de Montréal (figure 1, voir version PDF).
Selon l¹étiquette, le produit devait contenir les substances suivantes :
Flos Magnoliae (10 %), Fructus Xanthii (10%), Radix Angelicae Dahuricae
(10%), Herba gostemonis (10%), Cortex Moutan Radicis (10%), Radix
Ledebouriellae (10%), Rhizoma Alpiniae (10%), Cortex Phellodendri (10%),
Herba Ecliptae (10%), Radix Astragali Seu Hedysari (10%). L¹étiquette de
ce dernier ne présente ni numéro de produit naturel (NPN), ni code
d¹identification numérique (DIN). Aucun numéro d¹exemption (NE) n¹avait
été attribué par Santé Canada lors de l¹achat du produit.

Un échantillon du produit a été soumis pour analyse au Laboratoire de
toxicologie de l¹Institut national de santé publique du Québec. Les
résultats d¹analyses confirmés par UPLC-QTOF-MS (figure 2, voir version
PDF) ont démontré la présence en concentration non négligeable de
chlorphéniramine, un antihistaminique de synthèse, dans les comprimés. La
possibilité d¹une présence de chlorphéniramine d¹origine « naturelle » a
ainsi été exclue. L¹ajout de chlorphéniramine de source synthétique au
produit est l¹hypothèse la plus plausible. Au Québec, la chlorphéniramine
est un médicament offert en vente libre (annexe III) pour le traitement
des allergies, mais il doit être vendu uniquement en pharmacie.
L¹Inspectorat de le Direction générale des produits de santé et des
aliments de Santé Canada a été avisé par écrit le 25 juillet 2012 et
effectue depuis ce temps une enquête.

ConclusionCette découverte aussi étonnante que fortuite sur le territoire
québécois amène à réfléchir sur la fréquence potentielle d¹un étiquetage
non conforme au contenu réel de certains PSN. Il existe actuellement un
manque important de toxicovigilance des PSN retrouvés sur le marché
canadien. Le public québécois est exposé, à son insu et contre sa volonté,
à des substances potentiellement toxiques. Dans ce contexte, il faut
également se questionner sur les allégations inscrites sur les contenants
de PSN. Est-ce que l¹effet thérapeutique (ou même toxique) provient
réellement du PSN, ou provient-il de son adultération illicite par un
médicament d¹ordonnance ou une drogue? Étant donné la forte popularité des
PSN, les autorités sanitaires devraient s¹assurer d¹une meilleure
vérification de leur composition réelle, surtout pour les produits
importés de l¹extérieur du territoire canadien.

Pour toute correspondancePierre-André DubéInstitut national de santé
publique du Québec
945, avenue Wolfe, 4e étage, Québec (Québec) G1V 5B3
Téléphone : 418 650-5115, poste 4647
Télécopieur : 418 654-2148
Courriel : Toxicologie.Clinique@inspq.qc.caRéférences

1. Règlement sur les produits de santé naturels (DORS/2003-196). Ministère
de la Justice du Canada 2012-06-27; [En ligne]
http://laws-lois.justice.gc.ca/PDF/SOR-2003-196.pdf(consulté le
2012-08-08).
2. Loi sur les aliments et drogues (L.R.C. (1985), ch. F-27). Ministère de
la Justice du Canada 2012-06-27; [En ligne]
http://laws-lois.justice.gc.ca/PDF/F-27.pdf (consulté le
2012-08-08).
3. Base de données des produits de santé naturels homologués. Santé Canada
2011-11-14; [En ligne]
http://www.hc-sc.gc.ca/dhp-mps/prodnatur/applications/licen-prod/lnhpd-bdps
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consultatif. Santé Canada 2012-01-12; [En ligne]
http://www.hc-sc.gc.ca/ahc-asc/media/nr-cp/_2012/2012-03bk-fra.php
(consulté le 2012-08-08).
18. Le gouvernement Harper crée un comité consultatif sur les remèdes
traditionnels chinois. Santé Canada 2012-01-12; [En ligne]
http://www.hc-sc.gc.ca/ahc-asc/media/nr-cp/_2012/2012-03-fra.php (consulté
le 2012-08-08).

Le Bulletin d¹information toxicologique (BIT) est une publication
conjointe de l¹équipe de toxicologie clinique de l¹Institut national de
santé publique du Québec (INSPQ) et du Centre antipoison du Québec (CAPQ).
La reproduction est autorisée à condition d'en mentionner la source. Toute
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n'engagent que la responsabilité de leurs auteurs et non celle de l'INSPQ
ou du CAPQ.

* Dubé PA, Tremblay PY. Un remède traditionnel chinois adultéré avec de la
chlorphéniramine. Bulletin d¹information toxicologique 2013;29(1):4-8. [En
ligne]
http://portails.inspq.qc.ca/toxicologieclinique/remede-traditionnel-chinois
-adultere-chlorpheniramine.aspx

ISSN : 1927-0801

Chères Consoeurs,
Chers Confrères,

En Afrique, l’adultération ne se limite pas aux PSN mais se retrouve
aussi dans les médicaments de la rue. Sempiternel problème de Santé
Publique. Malgré l’acuité des problèmes qu’elle pose (toxicité, entorse
au monopole, lucre…), le peu d’étude sur l’adultération peut surprendre.
Pourtant il ne manque ni laboratoire toxicologique ou clinique, ni
laboratoire d’analyse, ni chercheur, ni étudiant en médecine ou pharmacie
pour qui cette question sera un excellent sujet de thèse. Peut être qu’un
début de solution viendrait d’une prise de conscience de certaine réalité
des plus basiques.

Dr Francis Coste da SILVA
Président de Santé Sans Frontières.