ZIMBABWE: Les faux ARV, une menace pour la vie des patients séropositifs
http://www.irinnews.org/fr/ReportFrench.aspx?ReportId=73992
La contrefaçon de médicaments, un marché très rentable
HARARE, 28 août 2007 (IRIN) - Au Zimbabwe, le coût élevé des médicaments
antirétroviraux (ARV) et linefficacité des services de contrôle sont à
lorigine dun commerce prospère de faux ARV qui enrichit des vendeurs
illégaux, ont signalé des activistes de la lutte contre le sida.
LAgence de contrôle des médicaments du Zimbabwe (MCAZ) a récemment publié
un communiqué pour prévenir le public que des trafiquants importaient et
vendaient des ARV contrefaits à des personnes séropositives ayant besoin de
ces médicaments qui prolongent lespérance de vie.
Les faux médicaments étaient vendus dans des points de vente non autorisés
et insalubres, tels que des marchés ou des salons de coiffure. Cela soulève
des inquiétudes sur la santé des patients, qui risquent en plus de
développer des résistances aux vrais traitements.
« Cest une pratique dangereuse parce que les médicaments ont peut-être été
stockés dans de mauvaises conditions, altérant ainsi la qualité et
lefficacité du médicament. Ces médicaments pourraient être des produits
contrefaits, adultérés et contaminés, ce qui les rendrait inefficaces et
parfois dangereux » a prévenu le MCAZ.
Boom du marché des faux ARV
Le marché des faux médicaments serait extrêmement rentable. Selon The
Financial Gazette, un hebdomadaire indépendant local qui cite les propos de
David Parirenyatwa, le gouvernement aurait fait procéder à une évaluation de
létendue des ventes des médicaments de contrefaçon.
Chitiga Mbanje, coordinateur et formateur à The Centre, une organisation non
-gouvernementale (ONG) qui vient en aide aux personnes vivant avec le
VIH/SIDA, a affirmé que son organisation réunissait également des preuves
attestant de la vente dARV contrefaits.
« De nombreux rapports font état de la vente de faux ARV, mais le plus
important pour les parties concernées est de réunir suffisamment de preuves
matérielles pour déterminer la provenance de ces médicaments, les lieux de
vente, les quantités et les personnes impliquées dans ce commerce, afin
délaborer et dadopter toute une série de mesures » a dit M. Mbanje à
IRIN/PlusNews.
« Nous sommes, bien entendu, préoccupés par les témoignages de personnes qui
ont acheté des faux ARV, mais nous avons besoin dun nombre important de
rapports anecdotiques pour pouvoir agir de manière conséquente », a affirmé
Tapiwa Bwakura, secrétaire général de lAssociation médicale du Zimbabwe
(ZIMA).
« Dans cette affaire, le risque de verser dans le sensationnalisme est réel.
Si nous nous contentons de crier sur les toits quil existe de faux ARV,
sans pouvoir apporter les preuves de nos affirmations, nous naurons pas
réussi à rassurer les patients », a-t-il ajouté.
John Madzima a 32 ans et vit à Harare, la capitale ; pour lui, ce sont les
nombreux cabinets médicaux clandestins qui sont responsables du commerce des
médicaments de contrefaçon. Il y a cinq ans, John a été diagnostiqué
séropositif et a commencé un traitement ARV deux années plus tard.
« Les ARV sont de plus en plus difficiles à trouver, alors jai été, moi
aussi, victime de ces personnes malhonnêtes qui vendent des médicaments dans
des cabinets médicaux clandestins », a dit M. Madzima, un ancien militaire
mis à la retraite pour raisons médicales.
Il sétait procuré des médicaments dans un cabinet médical tenu par un jeune
médecin qui avait été radié pour avoir volé des médicaments à un dispensaire
public.
« Je navais aucune raison de soupçonner que les ARV en vente pouvaient être
des faux parce que tout me paraissait normal dans le cabinet médical et le
docteur semblait savoir ce quil faisait ; jai sauté sur loccasion quand
jai su quil avait des médicaments en stock », a dit M. Madzima, qui se
fournissait auparavant en ARV auprès du dispensaire de larmée.
Lorsquil sest rendu au cabinet médical, le « médecin » lui a fait
comprendre quil ne disposait pas de lARV qui lui avait été prescrit et il
avait persuadé M. Madzima dacheter un autre type ARV, qui sétait révélé
être une contrefaçon.
Peu après, son état de santé a commencé à se détériorer ; M. Madzima a
consulté un conseiller sida de larmée, à Harare, qui lui a alors recommandé
de déposer une plainte auprès de la police. Ayant eu vent de son arrestation
imminente, lescroc sest empressé de fermer le cabinet médical quil louait
à un médecin installé en Afrique du Sud, et sest enfui.
Selon certaines estimations, plus de 300 000 Zimbabwéens ont besoin dARV,
mais très peu de patients parviennent à sen procurer. En 2006, le
gouvernement avait annoncé que son objectif était de mettre 300 000
personnes sous traitement ARV avant la fin 2010, mais selon les chiffres du
ministère de la Santé environ 40 000 patients bénéficiaient de ce traitement
à la fin de lannée 2006.
Daprès Human Rights Watch (HRW), une ONG internationale de défense des
droits humains, au deuxième semestre de lannée 2006, « seuls quelque 23 000
personnes séropositives, sur les 350 000 Zimbabwéens qui ont besoin dun
traitement antirétroviral, recevaient des ARV ».
Au cours de louverture de la récente session parlementaire, le président
Robert Mugabe avait affirmé que le nombre de bénéficiaires du programme de
distribution dARV était passé à 62 000, et que le gouvernement envisageait
de doubler ce nombre dici la fin de lannée.
Un secteur médical en déliquescence
Le congrès des syndicats zimbabwéens (ZCTU), la centrale syndicale
représentant des milliers de travailleurs et qui fait pression pour quun
nombre plus important de ses membres puissent accéder aux ARV, a qualifié la
vente de faux de « grave problème contre lequel est urgent dagir ».
« Selon nos évaluations la vente de faux ARV est très répandue, et nous
sommes préoccupés par le fait que des milliers de personnes infectées ont pu
mourir ou mourront à cause des conséquences mortelles de la prise de
médicaments contrefaits », a dit Lovemore Matombo le président de la ZCTU.
Il a accusé les services de limmigration, le système de sécurité du pays et
les autorités sanitaires de navoir pas pris toutes les mesures nécessaires
pour arrêter limportation de faux médicaments. « Il est clair que les
services de contrôle sont déliquescents et cest la raison pour laquelle les
trafiquants parviennent à faire entrer clandestinement de telles quantités
de médicaments dans le pays », a déploré M. Matombo.
« Nous pensons que le système de surveillance est gangrené par la
corruption. La distribution de médicaments est censée être supervisée par
des services de contrôle qualité, et le fait que les patients parviennent
toute de même à se procurer des faux médicaments sur la place publique reste
un mystère », a dit M. Matombo.
Linflation galopante et la pénurie de devises étrangères ont affaibli le
secteur de la santé en créant des pénuries de médicaments, déquipement
médical et même de personnel médical, qui a quitté le pays en quête de
meilleurs salaires et conditions de vie.
Dans les pharmacies dEtat, un cocktail dARV peut coûter jusquà 500 000
dollars zimbabwéens, un prix inabordable pour la plupart des patients, dont
la majorité gagne moins de 3 dollars zimbabwéens par mois, ou est sans
emploi.
Dans les pharmacies privées, les médicaments peuvent coûter jusquà quatre
fois le prix de ceux fournis par les dispensaires subventionnés. Selon HRW,
« la plupart des Zimbabwéens qui se procuraient des ARV dans le secteur
privé sadressent désormais au secteur public pour avoir accès aux
programmes de traitement subventionnés par le gouvernement, car ils nont
plus les moyens dacheter les médicaments dans les structures privées ».
A en croire HRW, des ONG leur auraient rapporté que lémigration massive du
personnel de santé qualifié expliquerait « les faibles ressources dont
disposent les services de santé pour assurer un suivi médical adéquat des
très nombreux patients séropositifs.
En outre, le prix élevé des ARV a contribué à faire des patients
séropositifs des proies faciles pour les trafiquants illégaux qui vendent
leurs contrefaçons à des prix très bas ; et par désespoir, certaines
personnes séropositives ont même recours à des médicaments qui ne leur ont
pas été prescrits, a souligné M. Matombo.
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