« Le paludisme est sans pitié » : en Afrique, les craintes d’une
reprise de la maladie
Le continent concentre 95 % des décès dus à cette infection
parasitaire. Malgré les dérogations accordées aux programmes de santé
vitaux, le démantèlement de l’aide au développement américaine
complique la riposte.
Par Marie de Vergès
Publié le 08 avril 2025 à 17h00, modifié le 08 avril 2025 à 17h28
Des femmes attendent de faire vacciner leur enfant contre le paludisme
lors du lancement de la campagne de vaccination des enfants de 0 à 23
mois à Abobo, une commune populaire d’Abidjan, le 15 juillet 2024. SIA
KAMBOU / AFP
Une grande confusion. Tel est le ressenti des acteurs de la lutte
contre le paludisme en Afrique, la région du monde qui paie le plus
lourd tribut à cette infection parasitaire transmise par piqûre de
moustique. Depuis trois mois, le démantèlement de l’agence américaine
pour l’aide au développement (Usaid), ordonné par l’administration de
Donald Trump, a fortement perturbé les activités visant à maîtriser
une maladie qui a encore fait 570 000 morts sur le continent en 2023,
selon les derniers chiffres disponibles.
Si plus de 80 % des programmes de l’Usaid ont été supprimés, les
Etats-Unis ont tout de même décrété des exemptions pour des projets de
santé dits « vitaux ». Soit, dans le cas du paludisme, ceux concernant
le diagnostic, le traitement, la distribution de moustiquaires et la
pulvérisation d’insecticides. Mais la liste exhaustive de ce qui sera
bel et bien maintenu est encore floue.
Lire le décryptage | En Afrique, les avancées prometteuses de la
vaccination contre le paludisme
Et pour tenter d’en savoir plus, rien ne sert d’aller consulter le
site Internet de la President’s Malaria Initiative, ce grand fonds
public du gouvernement américain qui représente traditionnellement
environ un tiers des financements internationaux dédiés à la lutte
contre le paludisme : il est pour l’heure inactif, « en cours de
maintenance pendant que nous examinons rapidement et en profondeur
tout le contenu », est-il précisé.
La désorganisation des derniers mois risque de laisser des traces.
Depuis janvier, « il n’a cessé d’y avoir ordres et contre-ordres,
entre le gel des financements, les dérogations, les résiliations de
programmes puis les annulations de résiliation, ce qui a entraîné de
nombreuses interruptions, résume le cadre d’une organisation de lutte
contre le paludisme, qui souhaite rester anonyme compte tenu de la «
sensibilité » du sujet. « Des opérateurs hésitent à reprendre leur
activité tant qu’ils ne sont pas certains de pouvoir récupérer leurs
financements. Tout cela complique le travail sur le terrain »,
souligne-t-il.
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« Cibler en priorité les plus vulnérables »
Une gageure pour le déploiement de la chimioprévention saisonnière,
autrement dit la distribution préventive d’antipaludéens pendant la
saison des pluies. L’opération nécessite des mois de préparation
minutieuse. « Il y a des craintes que ça ne puisse pas démarrer à
temps dans certains pays d’Afrique de l’Ouest où nous intervenons,
quand les pluies commenceront en juin-juillet », rapporte James
Tibenderana, directeur général de l’ONG britannique Malaria
Consortium.
Parfois, les produits nécessaires à la prévention (moustiquaires,
insecticides, médicaments) sont bien arrivés mais restent bloqués dans
des hangars, faute de ressources pour gérer leur acheminement. « Nous
nous efforçons de confirmer le niveau des “gaps” [écarts] dans chaque
pays et nous regardons comment essayer de couvrir les plus urgents »,
décrit Dorothy Achu, cheffe de l’équipe paludisme et maladies
tropicales au bureau Afrique de l’Organisation mondiale de la santé
(OMS). Le temps presse. « Le paludisme se soigne mais, chez les jeunes
enfants, cette maladie devient vite mortelle quand la prise en charge
tarde », avertit Mme Achu.
Lire aussi | Objectif zéro paludisme en Afrique : malgré des avancées
majeures, un horizon encore lointain
L’Afrique concentre 95 % des décès dus à cette infection dont les
victimes ont en grande majorité moins de 5 ans. Et selon les
professionnels, le fardeau est susceptible de s’alourdir de façon
exponentielle à chaque perturbation. Une modélisation des chercheurs
du Malaria Atlas Project souligne qu’une année d’interruption de la
chaîne d’approvisionnement entraînerait près de 15 millions de cas et
107 000 morts supplémentaires dans le monde.
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« Même si des programmes financés par les Etats-Unis se poursuivent,
il est peu probable qu’ils conservent la même ampleur. Nous devons
nous attendre à ce que la situation s’aggrave et réfléchir à comment
cibler en priorité les plus vulnérables », estime M. Tibenderana. Un
besoin d’autant plus pressant que Washington n’est pas seul à réduire
son aide au développement. Des restrictions ont également été
annoncées ces derniers mois au Royaume-Uni, aux Pays-Bas ou en France.
« Un risque de “tempête parfaite” »
Or la lutte contre le paludisme était déjà sous-financée : en 2023,
les bailleurs internationaux lui ont consacré 4 milliards de dollars,
soit même pas la moitié du montant jugé nécessaire pour mettre en
œuvre une stratégie efficace d’éradication de la maladie. Qui plus
est, la riposte contre cette grande tueuse se heurte à de nouveaux
obstacles, comme la résistance croissante aux médicaments contre le
paludisme et la propagation en Afrique de l’Est d’une espèce de
moustiques plus coriace venue d’Asie, l’Anopheles stephensi.
« Il y a un risque de “tempête parfaite” alors que les progrès de ces
dernières années étaient déjà insuffisants, juge Françoise Vanni,
directrice des relations extérieures du Fonds mondial de lutte contre
le sida, la tuberculose et le paludisme, principal acteur de la
bataille contre la maladie. Et le paludisme est sans pitié : il
revient en force dès que l’on relâche les efforts. » En pleine
campagne de reconstitution de ses ressources financières,
l’organisation espère, malgré le contexte, récolter suffisamment «
pour pouvoir déployer à grande échelle les dernières innovations les
plus prometteuses comme les moustiquaires de nouvelle génération »,
souligne Mme Vanni.
Lire aussi | Lutte contre le paludisme : deux vaccins qui peuvent
changer la donne en Afrique
Parmi les nouveaux outils de la lutte figurent aussi les deux vaccins
antipaludiques (RTS, S et R21/Matrix-M) désormais homologués par
l’OMS. Dix-neuf Etats africains ont déjà introduit l’un ou l’autre
dans leur programme d’immunisation des enfants – dont l’Ouganda début
avril –, avec l’aide de Gavi, un consortium chargé d’améliorer l’accès
aux vaccins dans les pays à bas revenus. Mais, selon les médias
américains, les Etats-Unis songent également à cesser leur soutien
financier à cette organisation. De quoi compromettre sérieusement, à
l’avenir, la capacité des Etats les plus pauvres à se procurer les
doses nécessaires.
« La lutte contre le paludisme va certainement connaître de gros
reculs, déplore le professeur Halidou Tinto, de l’Institut de
recherche en sciences de la santé (IRSS) du Burkina Faso, fer de lance
de la recherche autour de ces nouveaux vaccins. Mais c’est aussi un
signal pour nos gouvernements qu’il faut se réapproprier nos
politiques de santé publique. On ne doit pas tout attendre des
donateurs, mais piocher dans certaines niches qui existent dans nos
pays pour dégager des ressources. »
Marie de Vergès