Sénégal : pour la flexibilité des brevets des médicaments essentiels

Sénégal : pour la flexibilité des brevets des médicaments essentiels
APA-Dakar (Sénégal)30 avril 2025 | 18:45
https://fr.apanews.net/news/senegal-plaidoyer-pour-la-levee-des-barrieres-liees-aux-brevets-des-medicaments-essentiels/

Dans un contexte de dépendance aux importations et face à des coûts
prohibitifs, des experts réunis à Dakar lancent un appel urgent pour
lever les barrières liées aux brevets pharmaceutiques, essentiel à la
réalisation de la couverture sanitaire universelle au Sénégal.

Ce mercredi s’est tenu à Dakar un atelier de restitution et de
validation des résultats d’une étude sur les mécanismes
d’approvisionnement, des prix et des volumes des médicaments traceurs
contre le VIH, la tuberculose, le cancer du col de l’utérus et les
vaccins au Sénégal.

Organisé par ENDA Santé en partenariat avec Kelin et soutenu par ITPC
Global, cet événement a réuni des experts, des décideurs politiques et
des acteurs de la société civile pour discuter des défis et des
solutions visant à améliorer l’accès aux médicaments essentiels, avec
un accent particulier sur les obstacles liés à la propriété
intellectuelle.

Les présentations du Dr Karim Diop et du Pr Papa Gallo Sow ont dressé
un état des lieux alarmant mais porteur d’espoirs. Le Sénégal, comme
beaucoup de pays africains, fait face à un double fardeau
épidémiologique (maladies transmissibles et non transmissibles) et une
dépendance aux importations (95 % des médicaments).

Malgré des avancées, comme la couverture thérapeutique de 93 % pour
les antirétroviraux (ARV), des défis majeurs persistent : ruptures de
stock, délais de livraison, et coûts prohibitifs pour certains
traitements, notamment les anticancéreux et les antiviraux à action
directe (AAD) contre l’hépatite C.

Le Dr Karim Diop a souligné que « l’accès aux médicaments est un
pilier de la Couverture sanitaire universelle (CSU), mais les
barrières financières et logistiques menacent cet objectif. » Il a
notamment pointé le désengagement de l’USAID, qui finançait 42,7 % de
la riposte contre le VIH, créant un gap de 9 milliards de FCFA. « Des
millions de personnes sous ARV sont menacées par des ruptures de
traitement », a-t-il alerté.

Plaidoyer pour la flexibilité des brevets : une urgence

L’un des temps forts de l’atelier a été la discussion sur les
barrières liées à la propriété intellectuelle. Le Pr Gallo Sow a
révélé que « certains médicaments anticancéreux ou ARV de 2e ligne
sont encore sous brevet, limitant la concurrence et maintenant des
prix élevés. » Par exemple, le Trastuzumab, utilisé contre le cancer,
coûte 116 760 FCFA par dose, un prix inabordable pour la plupart des
patients.

Les experts ont plaidé pour une utilisation accrue des flexibilités
prévues par l’Accord sur les aspects des droits de propriété
intellectuelle (ADPIC), comme les licences obligatoires ou la
participation au Medicines Patent Pool. « Le Sénégal doit activement
négocier dans les forums internationaux pour élargir l’accès aux
médicaments essentiels », a insisté le Pr Sow.

Cette approche a déjà porté ses fruits ailleurs, comme en Égypte, où
les génériques ont réduit le coût du traitement contre l’hépatite C à
moins de 50 dollars.

Au-delà des brevets, les intervenants ont identifié des lacunes
logistiques qui entravent l’accès aux médicaments. La SEN-PNA
(Pharmacie Nationale d’Approvisionnement), bien que centrale dans la
chaîne d’approvisionnement, est confrontée à des « délais
administratifs longs et des créances impayées », comme l’a expliqué le
Pr Sow. Pour y remédier, l’étude recommande une digitalisation accrue
des processus, notamment via la plateforme WAMBO, déjà utilisée pour
les achats d’ARV.

Par ailleurs, la mutualisation des achats à l’échelle régionale
(Cédéao, Union Africaine) a été présentée comme une piste viable pour
réduire les coûts et sécuriser les stocks. « Les achats groupés ont
déjà permis de baisser le prix des ARV à 2,70$ par unité. Cette
stratégie doit être étendue aux autres médicaments critiques », a-t-il
souligné.

Financement et souveraineté pharmaceutique : Vers une autonomie durable

La question du financement a également dominé les débats. Face au
retrait progressif des bailleurs internationaux, les experts ont
appelé à une mobilisation accrue des ressources nationales. « Le
budget 2025 montre un gap critique de 14 millions d’euros pour la
lutte contre le VIH. L’État doit prioriser ces dépenses dans le cadre
de la CMU », a insisté le Dr Diop.

En parallèle, la souveraineté pharmaceutique à l’horizon 2030,
ambition affichée par le Sénégal, passe par le développement d’une
industrie locale. Des projets comme l’Agence de Régulation
Pharmaceutique (ARP) et des partenariats public-privé pour la
fabrication de génériques ont été cités comme leviers. « La production
locale du Dolutégravir ou du Sofosbuvir serait un game-changer pour
réduire les coûts et les délais », a relevé le professeur Sow.

L’atelier s’est achevé sur la proposition d’une feuille de route
stratégique articulée autour de trois échéances complémentaires. À
court terme, les participants ont plaidé pour une simplification
urgente des procédures d’achat et la création d’un fonds d’urgence
dédié aux médicaments vitaux, afin de pallier les ruptures de stock
récurrentes.

Pour le moyen terme, l’accent a été mis sur le renforcement des
capacités opérationnelles de la SEN-PNA, notamment par le déploiement
d’outils digitaux avancés (ERP, tableaux de bord logistiques)
permettant un suivi en temps réel des stocks et des besoins.

Enfin, la vision long terme repose sur deux piliers majeurs : le
développement d’une production pharmaceutique locale pour réduire la
dépendance aux importations (95 % des médicaments), couplé à une
intensification des achats groupés à l’échelle régionale, et un
plaidoyer soutenu pour l’utilisation optimale des flexibilités ADPIC
afin de contourner les barrières des brevets.

Cette approche multidimensionnelle et progressive vise à construire un
système de santé plus résilient, capable de garantir un accès durable
et équitable aux médicaments essentiels pour l’ensemble de la
population sénégalaise.

« Garantir un accès équitable aux médicaments n’est pas seulement une
question de santé, mais de justice sociale », a conclu le Pr Sow. Les
résultats de l’étude serviront de base à un plaidoyer renforcé auprès
des décideurs, avec un objectif clair : transformer ces propositions
en politiques publiques concrètes pour atteindre la Couverture
Sanitaire Universelle.

ARD/ac/Sf/APA