Tuberculose : les millions de cas non diagnostiqués compromettent les
efforts de lutte
L’OMS estime qu’en 2022, 3 millions de nouveaux cas sont restés
inconnus des services de santé. Les personnes présentant peu ou pas de
symptômes pourraient en représenter une partie importante, et le
diagnostic est particulièrement difficile chez les enfants.
Par Julien Lemaignen
Publié le 24 mars 2024 à 06h00, modifié le 24 mars 2024 à 06h00
Dans l’univers souvent feutré des instances internationales de la
santé, les mots de Guy Marks, président de l’Union internationale
contre la tuberculose et les maladies du poumon, détonnent. A
l’occasion de la Journée mondiale contre la tuberculose, dimanche 24
mars, le professeur alerte dans un communiqué : l’incidence de la
maladie infectieuse bactérienne dans les pays les plus touchés
(Bangladesh, Chine, Inde, Nigeria, Pakistan, République démocratique
du Congo…) diminue à un rythme « affreusement lent ». « Nous devons
avoir le courage d’admettre que la stratégie actuelle pour mettre fin
à la tuberculose dans [ces] pays ne procure pas les résultats que nous
espérons », tranche-t-il.
Principale source de sa déception : les carences du dépistage. Le
bacille de Koch, responsable de la maladie, a tué 1,3 million de
personnes en 2022, selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS),
tandis que sur 10,6 millions de nouveaux cas estimés, 3,1 millions
sont restés inconnus des services de santé. Les experts les ont
baptisés « millions manquants ». Les difficultés d’accès aux soins
expliquent en partie cet écart.
Mais, d’après M. Marks, il arrive souvent que les malades ne soient
pas repérés « parce qu’ils n’éprouvent pas ou ne reconnaissent pas les
symptômes ». En conséquence, l’Union juge « vital » de réaliser un «
dépistage exhaustif » de la population dans les contextes de forte
incidence, au-delà des personnes symptomatiques et des groupes à
risque.
« Standards de dépistage à revoir »
Plusieurs études ont cherché à évaluer la part de la tuberculose
subclinique, c’est-à-dire peu ou pas symptomatique ; une méta-analyse
est parue dans la revue The Lancet Infectious Diseases le 12 mars. Les
chercheurs emmenés par Frank Cobelens, professeur à l’Institut
d’Amsterdam pour la santé mondiale et le développement, ont passé en
revue douze études en Afrique et en Asie incluant 600 000 personnes
dont 1 900 malades. Ils ont testé trois définitions de la tuberculose
subclinique : « pas de toux persistante au-delà de deux semaines », «
pas de toux du tout », et « aucun symptôme » parmi toux, fièvre,
douleurs thoraciques, sueurs nocturnes et perte de poids.
L’analyse estime que la proportion de tuberculose subclinique atteint
59 % selon la première définition, 40 % selon la deuxième et 20 %
selon la troisième. Mais ce ne sont là que des résultats bruts : selon
les chercheurs, les études considérées ont pu rater des malades en
raison d’erreurs dans le diagnostic par radio des poumons ou à cause
de cultures biologiques de confirmation manquantes ou inutilisables.
Une fois ces biais corrigés, 83 % des malades ne présentent pas de
toux supérieure à deux semaines et 62 % ne présentent pas de toux du
tout.
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« Dans les soins de routine, la toux persistante est souvent le
symptôme d’entrée vers un diagnostic de la tuberculose », relèvent les
chercheurs : ainsi les patients qui ne toussent pas « vont faire face
à d’importants retards de diagnostic ou ne seront pas diagnostiqués ».
Cette méta-analyse « montre que la tuberculose subclinique est
beaucoup plus importante qu’on le pensait : jusqu’à présent, on
l’estimait à 30 ou 40 % », commente Christian Lienhardt, spécialiste
des maladies infectieuses et tropicales à l’Institut de recherche pour
le développement de Montpellier. Par conséquent, selon lui, les «
standards de dépistage sont à revoir et des recherches sont
nécessaires pour redéfinir les critères d’appel de la tuberculose ».
Les 0-4 ans, les malades les moins bien repérés
Les cas subcliniques font partie des discussions d’experts depuis
plusieurs années, rappelle Dennis Falzon, chef de l’équipe de
prévention, de recherche et d’innovation au sein du programme de l’OMS
sur la tuberculose, qui annonce que l’agence compte travailler cette
année sur « la définition, le diagnostic et la prise en charge ».
L’étude de The Lancet valide à ses yeux les lignes directrices du
dépistage publiées en 2021, qui ont classé quatre techniques selon
leur degré de précision. La radiographie arrive en premier, suivent
les tests moléculaires, puis le dépistage de tous les symptômes
possibles de la maladie et enfin, le dépistage par la toux.
L’étude confirme aussi, d’après M. Falzon, qu’il « ne faut pas
attendre que les gens viennent consulter avec leurs symptômes, et
qu’il faut agir avant ». Depuis une dizaine d’années, selon Christian
Lienhardt, le paradigme est passé de la détection passive – où les
soignants attendent que les malades se présentent avec des symptômes
évocateurs – à la détection active. Le premier degré consiste à «
demander à un patient tuberculeux d’adresser tout son entourage
personnel et professionnel au centre de soins », explique-t-il. Dans
l’étape suivante, on envoie un travailleur de santé dans un foyer où
un cas de tuberculose a été détecté pour repérer d’autres cas. Dans
toutes les situations, note M. Lienhardt, « on est dépendant du fait
que les gens aient ou non conscience du risque ».
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tuberculose ?
Dépistage et diagnostic sont lacunaires chez les adultes, mais
s’avèrent encore plus difficiles chez les enfants. D’après l’OMS, les
0-4 ans sont les moins bien repérés parmi les malades : les «
manquants » représentent 58 % des cas dans cette tranche d’âge, contre
45 % pour les 5-14 ans et 30 % pour les plus de 15 ans. Une
modélisation parue en 2017 dans The Lancet Global Health a estimé que
96 % des enfants qui meurent de la tuberculose n’ont jamais été mis
sous traitement. En 2022, parmi les morts de la tuberculose, 214 000
avaient moins de 15 ans.
Les enfants ont du mal à expectorer les crachats dans lesquels les
tests moléculaires détectent la bactérie. De plus, « ils tombent
malades avec un très petit nombre de bacilles », explique Cathy
Hewison, responsable du groupe de travail sur la tuberculose de
Médecins sans frontières (MSF), ce qui déjoue très souvent les tests
en question. Dans les pays à faibles ressources, la radiographie n’est
pas toujours disponible. Faute de certitude, les soignants rechignent
souvent à engager leurs jeunes patients dans une longue cure
médicamenteuse, selon l’ONG.
« Mieux vaut surtraiter les enfants »
Pour répondre à ce blocage, MSF a lancé fin 2023 le programme TACTiC,
visant à mettre en œuvre dans plus d’une douzaine de pays d’Afrique et
d’Asie les algorithmes conçus par l’OMS pour aider les médecins à
entreprendre un traitement en l’absence de confirmation du diagnostic.
La décision est orientée par des paramètres tels que la malnutrition,
l’âge de l’enfant, une co-infection par le VIH ou la présence dans le
foyer d’une personne malade de la tuberculose, ainsi que par des
coefficients affectés à une dizaine de symptômes cliniques.
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Cette stratégie comporte le risque du surdiagnostic et de placer sous
antibiotiques des enfants qui ne souffrent pas de la maladie. « On
sait qu’on va probablement traiter trop d’enfants, reconnaît Mme
Hewison, mais c’est une décision de l’OMS, pour laquelle il vaut mieux
surtraiter que sous-traiter. »
Dans ses recommandations, l’agence estime en effet qu’un « certain
degré de surdiagnostic » est acceptable en regard des « conséquences »
d’un cas manqué. « Sur le terrain, on se dit souvent que si on ne fait
rien, l’enfant meurt, ajoute la responsable de MSF. On fait ce qu’on
peut avec ce qu’on a », résume-t-elle, en soulignant qu’un test
bactériologique efficace chez les enfants manque encore cruellement.