[e-med] (3)Tuberculose, sida et paludisme dans le monde : que fait la France de François Hollande ?

Bonjour et merci à Céline et Bertrand Livinec de lancer un débat absolument passionnant !

Je souhaiterais répondre modestement à Bertrand sur quelques questions.

Tout d'abord, je partage à 100 % votre point de vue sur les 0,7 %, sur les engagements d'Abuja (même si ce n'est pas une règle d'or absolue, certains pays Africains ont tenu leur engagement et c'est loin de tout régler, car 15 % d'un budget trop faible ne donne pas grand-chose in fine) et sur la nécessaire bonne gouvernance et la lutte contre la corruption (comme en France d'ailleurs...)

Sur les stratégies verticales versus horizontales, j'ai toujours le sentiment que le débat est mal posé. Personne ne conteste que des systèmes de santé forts, bien dotés en ressources humaines et en budget, sont capables de répondre aux différents défis sanitaires d'un pays. Si des fonds verticaux sont apparus au début des années 2000 sur certaines pathologies, c'était je crois, pour répondre à une urgence (épidémie en progression, des millions de morts, des économies mises à mal, etc.) et par le constat fait que les systèmes de santé à cette époque étaient incapables de répondre aux défis posés par les trois pandémies les plus tueuses.

Après ce point historique, et pour éviter de jeter le bébé avec l'eau du bain, il faut regarder aussi les progrès rendus possibles grâce à cette approche verticale, qui a été aussi une approche novatrice car elle a rendu possible la multi sectorialité et, souvent mais pas toujours, une approche basée sur les droits. Les progrès réalisés dans la lutte contre les trois "grandes pandémies" sont parmi ceux qui sont les plus frappants et les plus avancés parmi les objectifs du millénaire pour le développement. Reste que l'idée d'ouvrir à d'autres pathologies agitent en permanence, à l'intérieur ou à l'extérieur des acteurs de la lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme, nos cerveaux. Je souscrits à l'idée que l'approche dont l'efficacité a été démontrée, même si elle est perfectible, devrait pouvoir inspirer la lutte contre d'autres problèmes sanitaires d'importance (et d'ailleurs, sur les hépatites nous sommes nombreux à plaider pour une cohérence intégratrice.)

Sur les avantages opérationnels, sur le papier il ne devrait pas y en avoir. Mais encore une fois, l'approche a été pragmatique, il fallait agir dans l'urgence parce que le retard pris se comptait en millions de morts par an. L'avantage opérationnel a été de permettre la mise en place d'activités et de sauver des vies par millions sur la dernière décennie. Et de faire reculer les trois pandémies. Ce n'est pas rien. L'avantage opérationnel a été aussi de contribuer à un renforcement des systèmes de santé, et sur deux aspects évidents : en jouant sur l'engorgement des hôpitaux par les malades atteints des trois maladies citées (à la fin des années 90, on pouvait avoir 70 voire 80 % des lits d'hôpitaux occupés par des malades du sida en Côte d'Ivoire ou au Cameroun..., ce qui n'est plus le cas aujourd'hui) et en contribuant à mieux équiper les laboratoires hospitaliers, en contribuant à la rénovation de services hospitaliers, en renforçant des unités décentralisées d'accès aux soins, etc. Cela a été aussi un gros investissement sur la rémunération des ressources humaines et sur leur formation (et je n'ignore pas les effets indésirables créés, comme l'affectation de personnel déséquilibrant des services, des formations pas toujours efficaces et fort couteuses, etc.) mais l'effet sur les systèmes de santé, d'après ce que je vois sur le terrain, est indéniable. D'autant plus avec le Fonds mondial qui permettait au-delà des programmes sida, TB ou palu de financer justement le renforcement des systèmes de santé.

Oui, parfois cela a créé des systèmes parallèles (par exemple sur l'approvisionnement) au lieu de renforcer les systèmes existants. Grave dilemme ! Fallait-il prendre le temps de "sauver" des systèmes à terre, gangréner par la corruption, ou agir vite en créant d'autres choses. Je n'ai pas la réponse. A mon avis, il aurait fallu faire les deux, sûrement. Mais je ne blâme pas ceux qui ont dû, sur le terrain, décider, agir vite, organiser les programmes, l'achat de médicaments, etc. Certainement que cela a créé pas juste des doublons mais aussi des surcoûts financiers. Dommage, on aurait pu utiliser ces fonds pour faire plus et mieux. Mais c'est maintenant qu'il faut agir, on ne pourra pas revenir en arrière. Et pour agir, il faut veiller à ne pas détruire ce qui a été construit dans les années passées. Surtout, il faut terminer le travail. En osant regarder les erreurs commises pour apprendre, pas pour détruire.

Je suis d'accord avec vous Bertrand sur la manière dont les soignants sont mis de côté dans les décisions majeures qui relèvent de la santé. Je le constate en permanence et c'est insupportable. L'appropriation par les pays est donc à défendre ; or, c'était bien la qualité du Fonds mondial que de permettre cela. Je parle un peu au passé, car je doute qu'à l'avenir cela subsiste, hélas ! Et oui, faisons des études comparatives... Je ne connais pas le système à Cuba, mais je sais que des systèmes alternatifs ont produit des résultats incroyables, je pense en particulier à la mobilisation communautaire sur le VIH-sida. A ces structures associatives qui offrent des soins et des traitements à des milliers de personnes. Là, ça m'intéresse aussi, politiquement et économiquement de voir si on peut produire des services de santé de façon plus efficaces et plus économiques par comparaison à un système basé sur l'hôpital. J'aime et je défendrai toujours une approche centrée sur les malades plutôt qu'une approche centrée sur les systèmes par exemple !

Et oui, le débat est ouvert, car méfions-nous de ce qui pourrait nous diviser. Celles et ceux qui tiennent les cordons de la bourse ne trouveront que des avantages à nos éventuelles ou réelles dissensions. En revanche, si nous sommes unis et faisons bouger les lignes, y compris en osant innover, alors nous serons, je l'espère, plus fort.

Très cordialement,

Eric Fleutelot
Directeur Général Adjoint International - porte parole de Sidaction
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