[des déclarations d'intention... à suivre...CB]
Santé. A Dakar, Douste-Blazy annonce une loi qui permettra la libre
exportation vers le Sud.
Génériques antisida : la France s'y met
Par Florent LATRIVE
http://www.liberation.fr/page.php?Article=256077
mardi 23 novembre 2004 (Liberation - 06:00)
Dakar envoyé spécial
Après le Canada et la Norvège, la France va permettre aux laboratoires
spécialistes de la copie de médicaments d'exporter des molécules à bas prix
vers les pays du Sud, même si celles-ci sont protégées par des brevets. Le
ministre de la Santé Philippe Douste-Blazy a dévoilé, hier à Dakar, le texte
d'un projet de loi qui ferait de la France le troisième pays du monde à se
mettre aux normes de l'accord de l'OMC du 30 août 2003. Celui-ci est destiné
à faciliter l'accès des pays les plus pauvres aux traitements à des coûts
planchers, notamment dans le cas du sida. «Il faut des médicaments pour le
Sud, de qualité et bon marché», a déclaré le ministre, affirmant que le
texte serait présenté au Parlement en décembre ou en janvier, sauf si le
règlement européen similaire en projet à Bruxelles aboutit dans
l'intervalle. Une annonce attendue faite au cours d'un séjour express de 24
heures dans la capitale sénégalaise, où le ministre a évoqué le sujet avec
le président Abdoulaye Wade.
Innovations. Les pays ravagés par le sida pouvaient jusque-là
s'approvisionner en copies de molécules les génériques , notamment en
Inde : ce pays ne reconnaît pas les brevets sur les médicaments et des
firmes comme Ranbaxy ont ainsi pu dupliquer les antirétroviraux d'Abbott ou
Merck. Cette concurrence a permis, en moins de quatre ans, de faire chuter
le coût du traitement, passé de plus de 10 000 dollars par patient et par an
à un montant variant de 300 à 500 dollars. Elle a aussi suscité des
innovations : là où les patients traités avec des médicaments «de marque»
doivent prendre un cocktail de trois molécules, fournies par trois labos
différents, l'absence de respect des brevets a permis à certains
génériqueurs de proposer une combinaison en une prise qui facilite ainsi un
traitement contraignant.
Au 1er janvier 2005, cette situation doit changer : selon l'accord sur les
«aspects de droit de propriété intellectuelle touchant au commerce» (Adpic),
signé dans le cadre de l'OMC, l'Inde et d'autres pays intermédiaires devront
respecter les brevets. Au risque de tarir les sources d'approvisionnement en
génériques des pays sans capacité de production pharmaceutique et tenus de
se plier aux tarifs des labos étrangers. C'est à cela que les membres de
l'OMC ont voulu remédier avec l'accord du 30 août 2003 : les pays désireux
de s'approvisionner en génériques pourront le faire en demandant à un pays
qui dispose d'une industrie pharmaceutique de faire sauter des brevets grâce
à une «licence obligatoire» réservée à l'exportation. Des génériques à bas
prix pourraient ainsi être encore acheminés au sud, malgré le couperet du
1er janvier.
Philippe Douste-Blazy juge «généreuse» la transposition française de cet
accord : là où le Canada a limité le mécanisme à certaines maladies graves
et aux pays les plus pauvres, la France n'a pas ajouté de bornes à une
procédure déjà complexe. Le texte propose de plus la possibilité de faire
sauter plusieurs brevets en une seule fois, afin d'autoriser la production
des combinaisons de médicaments à prise unique.
Inquiétudes. Malgré ces largesses, les difficultés restent nombreuses. Pour
éviter que les médicaments ainsi copiés soient réimportés dans les pays
développés, les pilules devront être d'une couleur identifiable. Et le
processus implique un paquet de démarches administratives, dans plusieurs
pays. «L'industrie du générique est une industrie comme les autres, je ne
sais pas si cela sera assez incitatif pour qu'elle se lance dans
l'aventure», estime Emmanuel Trenado, responsable international de
l'association Aides. Des inquiétudes auxquelles s'ajoute la propension des
Etats-Unis à multiplier les accords bilatéraux ou régionaux de
libre-échange, obtenant au passage le durcissement des règles en matière de
brevet. Des contraintes supplémentaires qui pourraient vider de sa substance
le projet français.