[e-med] Le Sud court toujours après les médicaments

Le Sud court toujours après les médicaments

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Cinq ans après la promesse de l'OMC de favoriser les génériques, c'est
le statu quo.
Par Christian LOSSON

Les médicaments au Nord, les malades au Sud : l'apartheid sanitaire se
poursuit. «Cinq années de promesses trahies», disent les ONG qui se
battent pour un accès aux soins (notamment antisida) dans les pays les
plus pauvres. Cinq années de quasi statu quo, voire de retour en
arrière, loin des déclarations d'intention des pays développés ?
C'était le 14 novembre 2001. L'Organisation mondiale du commerce (OMC)
était alors à Doha, au Qatar, pour relancer le round du cycle du
développement, aujourd'hui ensablé dans les lagunes des questions
agricoles.

A l'époque, la communauté internationale avait assoupli les textes
régissant la propriété intellectuelle et la santé. Le droit à la santé
allait-il primer sur le droit des brevets ? En cas d' «urgence
sanitaire», les pays en développement se voyaient offrir la possibilité
de copier des médicaments (génériques) plus accessibles. Il leur
suffisait de recourir à une «licence obligatoire» (une loi) pour
importer des génériques sans l'accord du laboratoire propriétaire du
brevet. Mais, en pratique, l'adoption de licences obligatoires, très
compliquées et très longues, est rarissime. En partie à cause de la
vacuité des gouvernements du Sud et des pressions politico-économiques
de ceux du Nord... Résultats : seule une poignée d'Etats (Cameroun,
Philippines, Zimbabwe, etc.) ont osé franchir le pas. Mais, «au Niger,
par exemple, il existe huit molécules antirétrovirales disponibles,
quand bien même sept existent ailleurs sous version générique», dénonce
Khalil Elouardighi d'Act Up.

La dynamique s'est enrayée. L'Organisation mondiale de la santé (OMS)
reconnaît que 74 % des médicaments antisida demeurent sous monopole.
Que 77 % des Africains n'ont toujours pas accès aux antirétroviraux.
Que 30 % de la planète n'a pas un accès régulier aux médicaments
essentiels. Si la propriété intellectuelle n'explique pas tout, elle
joue le rôle d'entrave. Les Etats-Unis ont même durci leur politique
par le biais d'accords de libre-échange dans lesquels ils ont déjà
musclé, dans une quinzaine de pays, la propriété intellectuelle. Ou
font pression indirectement. Pionnier dans la fourniture de traitements
à ses malades, le Brésil a tenté, en vain, de passer une licence
obligatoire. Car, confronté au prix de nouveaux traitements, plus
performants, couverts par des brevets, «le pays a vu le coût moyen d'un
traitement passer de 1 300 dollars en 2003 à 2 500 en 2005, raconte
ainsi Pedro Chequer, ex-directeur du programme antisida brésilien, cité
par Act Up . Mais Washington a menacé de représailles et la licence a
été abandonnée».

Les firmes pharmaceutiques ne sont pas en reste. «Au Pérou, des
multinationales ont payé des malades pour qu'ils dénoncent la qualité
des génériques», rappelle Germán Velásquez de l'OMS. En Inde, «Novartis
est en procès contre le gouvernement pour qu'ils stoppent un générique
d'un médicament contre le cancer, le Glivec», dit Céline Charveriat, de
l'ONG Oxfam. Au Philippines, Pfizer ferraille contre le gouvernement
qui veut produire une version générique de Novarsc (dans le top 10 des
ventes mondiales), dont le brevet expire fin 2007. La bataille fait
rage. Même au sein d'Unitaid, nouvelle centrale d'achat de médicaments
promue par la France et financée par la taxe sur les billets d'avion.
Objectif des ONG : que la question de la propriété intellectuelle
figure dans les statuts de l'organisation en cours de rédaction. Et
qu'un soutien logistique aux pays du Sud leur soit apporté afin qu'ils
puissent recourir à des licences obligatoires...
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