Bruxelles accuse les laboratoires pharmaceutiques de bloquer les génériques
LEMONDE.FR avec AFP et Reuters | 28.11.08 | 13h07 • Mis à jour le 28.11.08 | 13h49
Un rapport http://ec.europa.eu/comm/competition/sectors/pharmaceuticals/inquiry/index.html publié vendredi 28 novembre par la Commission européenne accuse les laboratoires pharmaceutiques de retarder ou d'entraver la commercialisation de médicaments génériques sur le marché européen, avec pour conséquence une augmentation des dépenses publiques de santé et des freins à l'innovation. Selon les premiers résultats d'une enquête menée dans le secteur, "la concurrence n'y fonctionne pas aussi bien qu'elle le devrait", explique la commissaire à la concurrence, Neelie Kroes, dans un communiqué. Ce rapport tire les premières conclusions d'une grande enquête sectorielle lancée mi-janvier par une série de perquisitions chez plusieurs groupes, dont le français Sanofi-Aventis, le suisse Sandoz (filiale de Novartis) et les britanniques GlaxoSmithKline et AstraZeneca.
Parmi les pratiques accusées de retarder l'émergence des médicaments génériques, le rapport cite notamment les demandes de brevets multiples pour un même médicament ("grappes de brevets"), l'ouverture de procédures en litige et de contentieux ou encore des accords visant à limiter l'accès des entreprises de génériques au marché. Sur la base d'un échantillon de médicaments dont les brevets sont tombés dans le domaine public dans dix-sept pays de l'Union, l'exécutif européen estime que les retards accumulés par les génériques ont fait perdre environ trois milliards d'euros d'économies aux systèmes de santé des pays de l'UE sur la période 2000-2007.
"Nous disposons à présent d'une bonne vue d'ensemble de la situation et de ses causes", explique Neelie Kroes dans un communiqué. "La question ne se pose pas encore, mais la Commission n'hésitera pas à ouvrir des procédures en matière d'ententes et de positions dominantes à l'encontre des entreprises en cas d'infractions présumées", ajoute-t-elle.
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Ententes et abus de position dominante: le rapport préliminaire de l’enquête relative au secteur pharmaceutique met en lumière le coût des stratégies dilatoires des entreprises pharmaceutiques
Reference: IP/08/1829 Date: 28/11/2008
http://europa.eu/rapid/pressReleasesAction.do?reference=IP/08/1829&format=HTML&aged=0&language=FR&guiLanguage=en
IP/08/1829
Bruxelles, le 28 novembre 2008
Ententes et abus de position dominante: le rapport préliminaire de l’enquête relative au secteur pharmaceutique met en lumière le coût des stratégies dilatoires des entreprises pharmaceutiques
La Commission européenne a publié son rapport préliminaire sur l'enquête de concurrence menée dans le secteur pharmaceutique, qui constate que la concurrence n’y fonctionne pas aussi bien qu’elle le devrait. Selon ces conclusions préliminaires, des éléments indiquent que des entreprises innovantes se livrent à des pratiques visant à retarder ou à entraver l’entrée de médicaments concurrents sur le marché. Les entreprises de génériques se trouvent notamment confrontées aux pratiques suivantes: demandes de brevets multiples pour un même médicament («grappes de brevets»), ouverture de procédures en litige et de contentieux, conclusion d’accords concernant des brevets pour limiter l’accès des entreprises de génériques au marché, et interventions auprès des autorités nationales en cas de demandes d'agrément présentées par ces entreprises. Quand elles sont couronnées de succès, ces pratiques entraînent des coûts supplémentaires substantiels pour les budgets de santé publique – et, en dernier ressort, les contribuables et les patients - et réduisent les incitations à innover. Le rapport s’appuie sur un échantillon de médicaments dont les brevets sont tombés dans le domaine public dans 17 États membres entre 2000 et 2007 et estime que quelques 3 milliards d’euros supplémentaires auraient pu être économisés sur cette période en ce qui concerne l’échantillon si des médicaments génériques étaient arrivés rapidement sur le marché. Le rapport constate également que les entreprises concernées ont adopté des stratégies défensives en matière de brevets dans le but, essentiellement, d’empêcher leurs concurrents de mettre au point de nouveaux médicaments.
Mme Neelie Kroes, commissaire chargée de la concurrence, a fait à ce propos la déclaration suivante: «Il est essentiel que la concurrence règne sur le marché des produits pharmaceutiques si l’on veut permettre aux citoyens de se procurer des médicaments abordables et innovants et s’assurer que les contribuables obtiennent le meilleur au meilleur coût de leur système de soins de santé. Ces résultats préliminaires montrent que l’entrée des entreprises de génériques sur le marché et la mise au point de nouveaux médicaments plus abordables sont parfois entravées ou retardées, ce qui entraîne des coûts substantiels pour les systèmes de soins de santé, les consommateurs et les contribuables. Nous disposons à présent d'une bonne vue d'ensemble de la situation et de ses causes: la prochaine étape consistera à discuter de nos constatations avec les parties intéressées et à en tirer les conclusions qui s’imposent. La question ne se pose pas encore, mais la Commission n’hésitera pas à ouvrir des procédures en matière d’ententes et de positions dominantes à l’encontre des entreprises en cas d'infractions présumées aux règles établies dans ce domaine.»
Freins ou obstacles à l’entrée sur le marché
Le rapport préliminaire montre que des entreprises innovantes (qui développent et vendent de nouveaux médicaments) ont eu recours à diverses méthodes pour retarder ou entraver l’accès au marché des entreprises de génériques (qui commercialisent des médicaments équivalents aux médicaments princeps une fois que les brevets ont expiré) et des autres entreprises innovantes et, partant, conserver des flux de recettes élevés.
Les documents découverts par la Commission durant son enquête sectorielle comportaient des déclarations telles que:
- «Nous recensons plusieurs moyens d’obtenir ou d’acquérir des brevets dans le seul but de limiter la liberté d’action de nos concurrents... Sur certains marchés clés, des droits afférents à certains produits compétitifs sont maintenus jusqu’à ce que le risque d’apparition de produits concurrents soit minimal.»[1]
- «Je suppose que nous avons tous eu des conversations sur «la façon de bloquer les fabricants de produits génériques. (...) Ne jouons pas avec le feu en tardant à faire breveter de nouvelles formes salines, les produits génériques arrivent de plus en plus tôt. Il s’agit de demander la protection (...) de produits intermédiaires clés pouvant être utilisés à plusieurs fins. Les brevets de procédés ne constituent pas l’obstacle le plus important; ils peuvent toutefois décourager les produits génériques en cas de processus chimiques complexes.»[2]
- «Des problèmes d'interchangeabilité ont été invoqués (dans plusieurs pays) pour limiter l'érosion due aux médicaments génériques. (...) Résultat: ventes supplémentaires (...) de 61 millions d’USD par rapport à l’érosion due aux médicaments génériques qui était escomptée».[3]
Le rapport préliminaire met en lumière plusieurs stratégies dilatoires spécifiques , dont les suivantes, mises en œuvre à l’égard d’entreprises de génériques:
- des entreprises innovantes ont déposé des «grappes de brevets» - un grand nombre de brevets couvrant l’ensemble du territoire de l'UE (soit, dans un cas donné, 1 300) pour un seul médicament;
- on a recensé près de 700 litiges en matière de brevet avec des entreprises de génériques, litiges qui ont duré en moyenne presque trois ans; les entreprises de génériques ont finalement gagné dans plus de 60 % des cas;
- les entreprises innovantes ont conclu plus de 200 accords de règlement avec des entreprises de génériques dans l'UE, par lesquels elles se sont entendues sur le règlement des litiges ou contentieux en cours. Plus de 10 % de ces accords de règlement, désignés par les termes «règlements de remboursement», limitaient l’entrée sur le marché des médicaments génériques et prévoyaient des versements de l’entreprise innovante au profit des entreprises de génériques. Ces versements ont représenté plus de 200 millions € au total;
- des entreprises innovantes sont intervenues à de nombreuses reprises dans des procédures nationales d’agrément de médicaments, retardant de quatre mois, en moyenne, la commercialisation du médicament générique.
Ces pratiques ont des conséquences importantes pour les patients et les contribuables puisque la mise sur le marché de médicaments génériques conduit à une baisse significative du prix des médicaments. Après examen d’un échantillon de médicaments mis sur le marché sous la forme de génériques durant la période 2000-2007, il apparaît que le prix moyen des médicaments a baissé de presque 20 % à la fin de la première année suivant l’apparition des génériques. Dans des cas assez exceptionnels, la baisse des prix peut même atteindre 90 %. Pour l’échantillon retenu, les économies totales réalisées durant cette période, du fait de la mise sur le marché des médicaments génériques, représentent au moins 14 milliards d’euros. Sans ces économies, les dépenses totales pour les médicaments concernés auraient été plus élevées de 25 %.
L'enquête sectorielle confirme que l’entrée des médicaments génériques sur le marché est souvent retardée. Il a fallu sept mois environ, selon une moyenne pondérée, pour que les produits génériques apparaissent sur le marché, et même les médicaments les plus vendus ont fait l’objet d’un délai d'attente moyen de quatre mois. Du fait de son impact important, la mise sur le marché des médicaments génériques a représenté pour les systèmes de santé, au cours la période 2000-2007, une perte d’économies d'environ 3 milliards d’euros en ce qui concerne l'échantillon de médicaments retenu, dont les brevets vont arriver à échéance dans 17 États membres. À titre de comparaison, la facture pour ces médicaments aurait pu être réduite de plus de 5 %. Les résultats préliminaires de l’enquête sectorielle semblent indiquer que les pratiques examinées ont contribué à ces effets négatifs.
Le rapport préliminaire contient également des éléments de preuve indiquant que les entreprises innovantes mettent en œuvre, à des fins défensives, des stratégies d’enregistrement de brevets à l’encontre d’autres entreprises innovantes concurrentes. De telles pratiques peuvent entraver l'innovation, accroître les coûts des entreprises pharmaceutiques concurrentes et retarder l’accès des consommateurs aux médicaments novateurs.
Les parties concernées ont également présenté bon nombre d’observations sur le cadre réglementaire. En particulier, tant les entreprises de génériques que les entreprises innovantes ont appelé de leurs vœux la création d’un brevet communautaire unique et l’institution d'une autorité judiciaire européenne unifiée, spécialisée dans les affaires de brevets. Elles sont confortées en cela par les résultats préliminaires de l'enquête sectorielle, selon lesquels 11 % des jugements rendus en dernier ressort en matière contentieuse se contredisent entre eux et les coûts totaux directement liés aux litiges en matière de brevets représentent 420 millions d’euros. De telles contradictions et de tels coûts liés aux litiges pourraient être évités ou, à tout le moins, réduits grâce à l’instauration d’un brevet communautaire et d’une autorité judiciaire unifiée, spécialisée dans les affaires de brevets.
Contexte
Les causes de la baisse du nombre de nouveaux médicaments mis sur le marché et du retard semblant caractériser l'introduction de médicaments sous une forme générique ont font l’objet d’une enquête sectorielle ouverte depuis janvier 2008 (voir IP/08/49 et MEMO/08/20).
Une enquête sectorielle consiste, pour la Commission, à rassembler des informations lui apportant une connaissance approfondie des marchés, de sorte à repérer plus aisément les entraves à la concurrence. La Commission ouvre essentiellement une enquête sectorielle lorsqu’elle soupçonne la concurrence d’être restreinte, sans que la raison en soit claire.
Prochaines étapes
Les résultats préliminaires de l'enquête sectorielle seront présentés aux parties concernées lors d’une audition publique qui se tiendra à Bruxelles le 28 novembre 2008. Avant de tirer des conclusions finales, la Commission invite toutes les parties concernées à lui faire connaître leurs points de vue et observations sur les résultats préliminaires. La consultation publique prendra fin le 31 janvier 2009. Le rapport final tiendra compte des observations présentées durant la consultation publique et est attendu pour le printemps 2009.
Pour de plus amples informations, voir également le MEMO/08/746.
Le rapport préliminaire et des informations complémentaires sur l'enquête sectorielle dans l’industrie pharmaceutique seront disponibles sur le site internet suivant:
http://ec.europa.eu/comm/competition/sectors/pharmaceuticals/inquiry/index.html
[1] «We identify options to obtain or acquire patents for the sole purpose of limiting the freedom of operation of our competitors... Rights covering competitive alternatives are maintained in major markets until risk of competing products appearing is minimal.»
[2] «I suppose we have all had conversations around 'how can we block generic manufacturers.' (...) Don't play games in patenting new salt forms too late, the generics are starting earlier and earlier. Get (...) claims on key intermediates that cover a number of routes. Process patents are not the biggest block but can put generics off if a superior chemistry job is done.»
[3] «Interchangeability issues were used in (several countries) to limit generic erosion. (...) Outcome: extra (...) sales of USD 61 m compared to expected generic erosion.»