Intellectual Property Watch
1 April 2010
Débat houleux lors d'une réunion d'information organisée par l'OMS sur les
médicaments contrefaits
By Kaitlin Mara @ 8:25 pm
http://www.ip-watch.org/weblog/2010/04/01/debat-houleux-lors-d’une-reunion-d’information-organisee-par-l’oms-sur-les-medicaments-contrefaits/
Alors que l'Organisation mondiale de la Santé (OMS) continue de travailler
sur la question des médicaments contrefaits, une réunion organisée en fin de
semaine dernière a révélé des inquiétudes quant à la manière dont ce travail
est mené.
La question n'est pas de savoir s'il faut laisser des médicaments dangereux
sur le marché ; il s'agit plutôt de déterminer quels médicaments présentent
le plus grand danger et comment ils peuvent être identifiés. L'utilisation
du terme « contrefait » est sujette à controverse dans plusieurs pays et
inquiète certains groupes non gouvernementaux du domaine de la santé
publique, sa définition renvoyant au droit des marques dans le cadre de l'Organisation
mondiale du commerce (OMC).
Selon certains participants à la réunion, l'angle des débats sur les
médicaments contrefaits pourrait dangereusement glisser de la santé publique
vers la propriété intellectuelle, domaine qui n'est pas du ressort de l'OMS
et ne présente au final aucun bénéfice pour la santé publique. La priorité
devrait porter sur la non-conformité des médicaments, et plus généralement
sur leur qualité, leur innocuité et leur efficacité.
Pour d'autres, cependant, la définition donnée par l'OMC d'une contrefaçon
ne s'applique pas à l'OMS. Selon ces mêmes participants, les médicaments «
contrefaits » ne sont donc pas comparables aux médicaments légitimes, tels
que les génériques les moins chers.
« L'OMS pourrait faire beaucoup de choses pour aider [les gouvernements] à
renforcer leur système de contrôle de la santé », a affirmé un délégué
brésilien lors de la réunion sur le travail de l'OMS et son initiative, le
Groupe spécial international anti-contrefaçon de produits médicaux (IMPACT).
« Au Brésil, la contrefaçon de médicaments constitue un grave délit contre
la santé publique ». Ceux qui « contrefont, altèrent, dénaturent ou
modifient un produit destiné à l'usage médical » risquent une peine d'emprisonnement
allant de 10 à 15 ans, a précisé le délégué brésilien.
« Bien évidemment, nous n'utilisons pas le terme « contrefait ».Il n'existe
pas de consensus sur sa signification exacte dans le cadre de l'OMS, a
poursuivi le délégué brésilien. Si une définition doit être élaborée, cela
doit se faire par un processus « à part entière, dirigé par les membres et
évolutif » qui impliquerait les organes directifs de l'OMS ».
« L'utilisation du terme « contrefait » nous préoccupe », a renchéri l'Inde
lors de son intervention au cours de la réunion. Ces préoccupations portent
également sur l'association de ce terme avec la notion de marque, et sur le
risque que la qualité, l'innocuité et l'efficacité du médicament ne soient
examinées qu'au travers de la loupe de la propriété intellectuelle. Pour un
délégué indien, il s'agit là d'une « confusion délibérée » de la part de
ceux qui cherchent à renforcer les systèmes d'application de propriété
intellectuelle.
Ce dernier a également déclaré qu'IMPACT « manquait de légitimité » pour
définir le travail de l'OMS sur les médicaments dangereux, puisque le groupe
ne possède pas de mandat délivré par les États membres pour fonctionner et
que ses sources de financement et son processus décisionnel manquent de
transparence.
« L'Inde ne considère pas IMPACT comme une initiative de santé publique car
ce groupe ne traite pas directement des questions [de la qualité, de l'innocuité
et de l'efficacité] », a indiqué un délégué indien, en suggérant que le
travail d'IMPACT serait plus utile à l'OMC ou dans le cadre de l'Accord de
lutte contre la contrefaçon (ACTA), actuellement en négociation.
L'absence de « chiffres illustrant le poids du problème dont il est
question » est également très ennuyeuse, a déclaré Fernando Muñoz, de la
mission chilienne, qui représente également le Chili au Conseil exécutif de
l'OMS.
Il est impossible de trouver des statistiques sur les saisies de médicaments
contrefaits, le volume de médicaments contrefaits existants, les pays les
plus touchés et les médicaments les plus souvent contrefaits, a précisé M.
Muñoz à Intellectual Property Watch, malgré des discussions sur les
médicaments contrefaits organisées à l'OMS depuis 1988.
Les pays devraient pouvoir garantir à leur population que les médicaments
présents sur le marché sont fiables et efficaces, a-t-il poursuivi. « C'est
une réelle priorité [et l'OMS] devrait concentrer ses efforts sur ce
problème ».
De son point de vue, il faut donc travailler à un renforcement des capacités
des systèmes de réglementation pharmaceutique. Pour le Brésil, le
renforcement des capacités et l'amélioration de l'infrastructure des
laboratoires sont des missions que l'OMS pourrait remplir.
Un délégué européen a expliqué à Intellectual Property Watch que la
compilation de statistiques était complexe, étant donné que les
renseignements sur la nature du médicament et son lieu d'origine peuvent
être erronés.
Examiner leur étiquette pourrait permettre d'identifier à faible coût
certains faux médicaments. Il est « moins cher de repérer un produit mal
étiqueté que de le soumettre à une analyse chimique permettant de savoir s'il
répond ou non aux normes », a poursuivi le délégué, ajoutant que le test
chimique de tous les produits passant la frontière d'un pays pourrait s'avérer
difficile.
« Combattre la contrefaçon » occupe toujours une place importante dans la
Stratégie pharmaceutique de l'OMS 2008-2013 [PDF, en anglais]. Même si l'Organisation
utilise le terme « contrefait », selon sa stratégie les politiques
pharmaceutiques nationales qui privilégient l'économie par rapport à la
santé publique lorsqu'il s'agit de fabriquer des médicaments peuvent
favoriser la présence de faux médicaments, tout comme des réseaux de
distribution extrêmement fragmentés, des zones de commerces
extraterritoriales échappant à la surveillance des autorités de
réglementation ou chargées de l'application des lois, un accès aux services
de santé inadapté, des voies d'approvisionnement peu fiables créant des
opportunités pour les fournisseurs illégaux et enfin l'analphabétisme et la
pauvreté.
L'OMS remettra un rapport sur ces questions à l'Assemblée mondiale de la
santé en mai.
Lors de la réunion, une question régulièrement débattue à l'OMC a également
été abordée : les retards dont sont victimes les cargaisons de médicaments
génériques, particulièrement celles en provenance d'Inde, dans les ports d'Europe.
L'Inde a déclaré que les saisies de médicaments génériques étaient une
conséquence de la confusion avec les médicaments contrefaits et que l'Europe
avait fourni des renseignements sur 26 saisies opérées dans 17 pays pour
cause de non respect de la propriété intellectuelle. L'Inde attend toujours
de savoir si des médicaments non conformes ont été découverts lors de ces
saisies. L'Europe a fait savoir qu'aucune cargaison de médicaments
génériques conformes n'a été saisie depuis 2008.