Distilbène : la responsabilité du laboratoire confirmée par la Cour de
cassation
LEMONDE.FR | 08.03.06 | 17h41 . Mis à jour le 08.03.06 | 17h51
http://www.lemonde.fr/web/article/0,1-0,36-748864,0.html
Après quinze ans de procédure, la Cour de cassation a définitivement
confirmé, mercredi 8 mars, la responsabilité d'UCB-Pharma, fabricant du
Distilbène. Cette hormone de synthèse, prescrite entre 1940 et 1977, pour
prévenir des fausses couches, est accusée d'avoir provoqué des dizaines de
milliers de cas de cancers ou de malformations en France. Le médicament
aurait notamment provoqué chez les enfants des femmes traitées des cancers
de l'appareil génital. L'association de victimes DES-France évalue à 160 000
le nombre de victimes françaises
La plus haute juridiction française confirme deux arrêts de la cour d'appel
de Versailles datant d'avril 2004 qui avaient établi la responsabilité du
laboratoire dans les cancers développés par deux jeunes femmes, exposées au
médicament in utero avant et après 1971, c'est-à-dire l'année où le rapport
d'un professeur de médecine avait dénoncé la défectuosité du produit. Dans
deux arrêts rendus publics mercredi, la plus haute juridiction française a
estimé que cette société avait manqué à son "obligation de vigilance" en ne
prenant aucune mesure, alors que le risque était évoqué dès 1953.
UCB-Pharma a toujours contesté sa responsabilité en estimant que le débat
scientifique sur les effets nocifs du Distilbène n'avait pas été tranché.
Le médicament a été interdit en 1971 aux Etats-Unis, en 1976 au Canada, en
1977 en France et en Allemagne. Il existait dès 1953 des doutes sur
l'innocuité du Distilbène et de "nombreuses études expérimentales et des
observations cliniques" en contre-indiquaient l'usage dès 1971, rappelle la
Cour de cassation.
DES-France a publié, mercredi, un communiqué intitulé "Victoire !" où
l'association estime que le débat judiciaire est clos. "Ces deux arrêts
devraient sonner le glas des contestations infondées du laboratoire
UCB-Pharma sur sa responsabilité. (Le laboratoire) devra aussi répondre aux
interrogations que posent les enfants dits de 'troisième génération' qui
présentent des malformations spécifiques ou des handicaps liés à la grande
prématurité", dit l'association.
Les arrêts de la Cour de cassation concernent deux jeunes femmes, Ingrid
Criou, 32 ans, et Nathalie Bobet, 35 ans, atteintes tous deux de cancers
imputés au Distilbène prescrit à leurs mères pendant leur grossesse. Le
tribunal de grande instance de Nanterre (Hauts-de-Seine) en 2002, puis la
cour d'appel de Versailles en 2004 leur avaient accordé d'importantes
indemnités.
De nombreuses autres affaires suivent leur cours. A Nanterre, au printemps
2005, le tribunal a encore condamné UCB-Pharma à indemniser huit autres
femmes, mais aussi, pour la première fois, leurs conjoints ou compagnons.
Cependant, la justice refuse toujours d'indemniser les petits-enfants de
femmes ayant pris du Distilbène, en raison d'incertitudes sur l'origine des
pathologies.
Avec Reuters et AFP
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Entretien
Trois questions à Anne Levadou, présidente de l'association Réseau
DES-France
LEMONDE.FR | 08.03.06 | 18h50 . Mis à jour le 08.03.06 | 19h01
http://www.lemonde.fr/web/article/0,1-0,36-748890,0.html
Comment accueillez-vous la décision de la Cour de cassation ?
Alors que UCB-Pharma niait le lien de causalité entre le Distilbène et les
cancers développés par des filles de femmes ainsi traitées, la Cour de
cassation reconnaît le jugement de la cour d'appel de Versailles, qui avait
conclu qu'UCB avait commis une faute en continuant à commercialiser le
médicament en France, alors qu'il était considéré comme inutile depuis 1953,
et interdit aux Etats-Unis depuis 1971. C'est donc une grande victoire,
après un parcours long et angoissant. Qu'il soit définitivement reconnu que
le Distilbène était dangereux, c'est un point final pour ces jeunes femmes.
Cet arrêt ouvre-t-il la voie à de nouvelles indemnisations ?
Jusqu'ici, UCB-Pharma a toujours refusé de payer. Nous ne pouvons pas
anticiper son comportement futur. Une chose est sûre, les indemnisations
obtenues par certaines jeunes femmes devant la justice ne pourront pas être
remises en cause. Peut-être que UCB-Pharma fera comme aux Pays-Bas : la
Haute Cour - l'équivalent de notre Cour de cassation - avait reconnu la
responsabilité des principaux laboratoires commercialisant ce médicament,
dont UCB-Pharma, et ceux-ci avaient proposé de créer un fonds
d'indemnisation.
En France, UCB-Pharma a utilisé toutes les possibilités pour faire traîner
les choses en justice, demandant par exemple que les mères produisent des
années après des justificatifs de l'achat de Distilbène. Le laboratoire
Novartis, qui a également commercialisé ce médicament en France, n'a pas eu
la même attitude de contestation.
Le prochain chantier sera-t-il d'évaluer les effets sur les petits-enfants
des femmes qui ont pris du Distilbène ?
La question de la troisième génération fait partie de nos interrogations.
Nous souhaitons que de nouvelles recherches soient menées. Le groupe de
travail à la Direction générale de la santé, auquel nous participons, va
bientôt présenter des propositions en ce sens.
Propos recueillis par Le Monde.fr