Distilbène : les laboratoires sont reconnus responsables
LEMONDE.FR avec Reuters et AFP | 24.09.09 | 16h37 Mis à jour le
24.09.09 | 18h47
http://www.lemonde.fr/societe/article/2009/09/24/distilbene-les-laboratoires-reconnus-responsables_1244842_3224.html
La Cour de cassation a confirmé, jeudi 24 septembre, la responsabilité des
laboratoires pharmaceutiques UCB Pharma et Novartis dans les maladies
provoquées par le Distilbène, un médicament censé prévenir les fausses
couches et distribué jusqu'en 1977 en France. La plus haute juridiction
française a cassé un arrêt rendu en avril 2008 par la cour d'appel de
Versailles (Yvelines), qui déboutait une femme imputant son cancer à la
prise par sa mère, durant sa grossesse, de Distilbène. La cour d'appel
avait initialement donné tort à cette plaignante en concluant que rien ne
prouvait que les laboratoires étaient à l'origine du dommage, même s'il
était établi que la maladie résultait bien du Distilbène. La Cour de
cassation rejette ce raisonnement en écrivant qu'"il appartient à chacun
des laboratoires de prouver que son produit n'était pas à l'origine du
dommage". L'affaire sera donc rejugée par la cour d'appel de Paris, qui
fixera le montant des dommages et intérêts.
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Pour Martine Verdier, avocate de 150 victimes du Distilbène, "c'est un
renversement de charge de preuve extrêmement important", car "les jeunes
femmes n'auront plus à faire la preuve de la spécialité à laquelle elles
ont été exposées". Pour écouter, cliquez ici :
"C'est une victoire", estime Anne Levadou, la présidente du réseau DES
France, qui soutient les personnes victimes de cette hormone de synthèse.
"De nombreuses femmes malades d'un cancer lié au Distilbène vont pouvoir
s'engager dans un nouveau combat et espérer obtenir gain de cause. Nous
allons les informer."
Dans un autre arrêt, une plaignante qui se disait malade aussi en raison
du Distilbène est en revanche déboutée, la Cour de cassation confirmant un
arrêt de Versailles qui lui donnait tort en novembre 2007. Celle-ci relève
dans ce cas précis le manque de preuves, la plaignante étant dans
l'incapacité de prouver que sa mère avait pris du Distilbène pendant sa
grossesse, alors que sa maladie peut avoir d'autres causes. Ces deux
décisions confirment dans les grandes lignes une jurisprudence établie au
début des années 2000 par les juridictions françaises, après de longues
procédures. Déboutées sur ce point, les "filles Distilbène" ont toutefois
remporté une victoire face aux laboratoires Novartis et UCB Pharma, qui
fabriquaient la molécule.
"Il s'agit de deux arrêts contradictoires", s'étonne Mohamed Chaoui, le
directeur général d'UCB Pharma, "l'un confirme que le plaignant doit
apporter la preuve de l'origine du dommage, l'autre renverse la charge de
la preuve. Il faudra retourner en appel", annonce-t-il.
IL EXISTAIT DÈS 1953 DES DOUTES SUR L'INNOCUITÉ DU DISTILBÈNE
Les laboratoires voient désormais leur responsabilité retenue par
principe, si les preuves d'administration du Distilbène sont suffisantes,
en raison d'un manque à leur obligation de vigilance concernant le produit
litigieux. Des avertissements lancés dans la littérature
médico-scientifique avaient largement établi sa dangerosité, ont conclu
plusieurs juridictions françaises. Il existait dès 1953 des doutes sur
l'innocuité du Distilbène, et de nombreuses études expérimentales et des
observations cliniques en contre-indiquaient l'usage dès 1971.
Le Distilbène est une hormone de synthèse inventée en 1938, commercialisée
en 1946 aux Etats-Unis et prescrite en France à partir de 1948 pour
prévenir les avortements spontanés et traiter les hémorragies gravidiques
(relatives à la grossesse). Dès 1953, une étude américaine conclut que ce
médicament n'est pas plus efficace qu'un placebo pour éviter les fausses
couches. Puis, en 1971, d'autres études menées aux Etats-Unis mettent en
cause le DES dans la recrudescence des cancers du vagin chez les jeunes
filles dont les mères avaient pris du Distilbène pendant leur grossesse.
Cette alerte, qui constitue une bombe à retardement pour l'enfant à
naître, conduit la Food and Drug Administration américaine à interdire
l'usage du DES pour ses indications obstétricales.
En France, c'est l'indifférence. Le produit continue à être prescrit aux
femmes enceintes jusqu'en 1977, date à laquelle le Vidal mentionne enfin
ses effets néfastes. En 1981, une troisième vague d'études américaines
démontre que le risque de cancer dû au DES serait de 1 pour 1 000, mais
que les femmes exposées à ce médicament pendant leur vie intra-utérine
présentent un risque élevé d'accidents de la grossesse (fausses couches
pendant les premier et deuxième trimestres, grossesses extra-utérines,
accouchements prématurés). L'association de victimes DES France évalue à
160 000 le nombre d'enfants exposés dans le pays, dont 80 000 femmes, qui
sont les plus vulnérables.