[e-med] Ebola : repenser l¹aide au développement à l¹Afrique subsaharienne ?

Ebola : repenser l¹aide au développement à l¹Afrique subsaharienne ?
Par Clémence Vergne (Economiste à l¹AFD) et Christophe Paquet (Responsable
de la division santé et protection sociale à l¹AFD)
LE MONDE Le 06.01.2015 à 13h10 € Mis à jour le 07.01.2015 à 17h08
http://www.lemonde.fr/afrique/article/2015/01/06/ebola-repenser-l-aide-au-d
eveloppement-a-l-afrique-subsaharienne_4550093_3212.html#qxkvxFyQ3sD3FR4D.9
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L¹impact d¹Ebola dans les pays affectés est considérable et rappelle que
la sécurité sanitaire est un bien public mondial. L¹épidémie déstabilise
aussi des services de santé déjà très faibles auparavant. Au Liberia, en
Sierra Leone et dans une moindre mesure en Guinée, les pathologies
courantes comme le paludisme ne sont plus prises en charge correctement et
les hôpitaux ne peuvent plus faire face aux urgences. Les programmes de
prévention, comme la vaccination des enfants, sont aussi perturbés.

Ebola affecte la société dans son ensemble, frappant les personnels de
santé et multipliant les orphelins. Cette déstabilisation touche aussi les
capacités de production et l¹agriculture vivrière, avec à terme des
conséquences nutritionnelles prévisibles.

Ebola ne frappe pas par hasard dans des pays parmi les plus pauvres. Le
Liberia, la Sierra Leone et la Guinée sont des États fragiles, aux indices
de développement humain très faibles, ce qui explique en partie le rythme
de propagation de l¹épidémie. En dépit de dix ans de croissance
encourageante, ces pays gardent des systèmes de santé déficients non
seulement pour ce qui est des infrastructures, mais aussi des ressources
humaines et de la gouvernance.

Plus que le coût sanitaire, c¹est la réaction de panique qui affecte les
économies : frontières fermées, déplacements restreints et abandon des
cultures. En 2003, l¹épidémie de SRAS - 8 500 cas et 800 morts - avait
coûté 4,7 millions de dollars par cas ; un coût dû pour plus de 80 % aux
changements de comportements (Lee et McKibbin, MIT).

L¹estimation du coût d¹Ebola reste délicate : la croissance des économies
concernées aurait selon la Banque mondiale baissé de 3,7 à 7,3 points en
2014.

Dans le scénario « optimiste », l¹épidémie serait contenue d¹ici début
2015 avec 20 000 cas, l¹activité reprenant progressivement et le coût
seraient de 3,8 milliards de dollars. Le scénario « pessimiste » voit
l¹épidémie circonscrite beaucoup plus lentement, s¹aggravant jusqu¹à
mi-2015, touchant 200 000 personnes, et dont l¹impact économique serait de
32,6 milliards de dollars. Les économies subiraient alors un choc mettant
des années à se résorber.

Les secteurs clés des économies (agriculture, mines, services) ont été
affectés. Si la contagion est stoppée début 2015, le déficit de
financement total des trois pays s¹élèvera selon le FMI à 300 millions de
dollars. La hausse des prix menace en outre leur sécurité alimentaire déjà
fragile ainsi que la stabilité sociale. Enfin, Ebola risque d¹avoir des
conséquences à long terme : perte de capital humain liée à la sous- et à
la malnutrition, enfants non soignés et fuite des cerveaux.

Les bailleurs de fonds parent à l¹urgence - la lutte contre l¹épidémie -
mais couvrent aussi une part des financements de la balance des paiements
et du budget, soit près de 100 millions de dollars pour chacun des pays.

Au-delà, il faut repenser les politiques de santé menées en Afrique
auxquelles les bailleurs contribuent. Leur sous-financement chronique
renvoie d¹abord à la responsabilité des États qui s¹étaient engagés à
Abuja en 2001 à consacrer au moins 15 % de leur budget à la santé. Seuls
le Rwanda et l¹Afrique du Sud atteignent ce seuil.

Le Fonds mondial contre Sida, tuberculose et paludisme, GAVI ou UNITAID
augmentent spectaculairement l¹accès à la prévention et aux traitements,
avec une baisse de morbidité et de mortalité des maladies ciblées. 80 % de
l¹aide française en santé - soit environ 600 millions d¹euros en 2013- est
acheminée par ces canaux multilatéraux. Reste que leur approche verticale
n¹a que peu d¹impact sur les systèmes de santé eux-mêmes, quand ils ne les
court-circuitent pas au nom de l¹efficacité.

La focalisation sur ces pandémies néglige les nouveaux défis sanitaires :
crises comme Ebola, mais également maladies chroniques comme le diabète ou
les cancers qui progressent aussi dans les pays à revenus faibles et
moyens. Ces maladies sous-diagnostiquées vont peser toujours plus sur la
mortalité, sur les budgets des États et des ménages aussi ; avec par
ricochet endettement catastrophique des plus vulnérables ou trafic de faux
médicaments.

Renforcer les systèmes de santé est central dans l¹aide d¹Etat à Etat.

Ainsi l¹AFD forme les personnels, fournit équipements et médicaments,
renforce infrastructures et gouvernance dans les 16 pays prioritaires de
l¹aide française.

Dans les négociations sur les Objectifs du Développement Durable, la
France défend la couverture universelle en santé avec des mécanismes de
financements solidaires pour rendre solvable la demande de soins et éviter
aux plus vulnérables les dépenses catastrophiques. Les pays mobiliseraient
des ressources domestiques, l¹appui des bailleurs portant sur l¹expertise
technique, les outils de gestion et le suivi des dispositifs.