ENTRETIEN AVEC MME ANNETTE SECK, DIRECTRICE DE LA PNA
LES ANTICANCÉREUX SERONT INTÉGRÉS SUR LA LISTE DES PRODUITS DE LA PNA
Bacary Domingo MANE | 09/06/2015 | 08H56 GMT
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produits-de-la-pna_a_24834.html
Les maladies chroniques, comme les cancers, seront prises en charge, dans
quelques mois, dans le secteur public. Les médicaments qui permettront
de soulager les malades, seront désormais intégrés sur la liste des
produits (médicaments) essentiels, commandés par la Pharmacie nationale
d¹approvisionnement (Pna).
Dorénavant, la majeure partie de ces médicaments, va être bientôt
disponible dans les pharmacies hospitalières. L'annonce est de la
Directrice de la Pna, Mme Annette Seck Ndiaye qui en a fait la révélation
dans cet entretien accordé à notre journal. La patronne de la Pna déclare
que l'Etat du Sénégal dépense, chaque année, pour l'achat des médicaments,
environ 5 milliards F Cfa pour permettre un accès équitable aux
médicaments et produits essentiels.
Quelles sont les innovations que vous avez apportées à la tête de la Pna ?
Les innovations tournent autour de la mission de la Pna et des activités
qui permettent véritablement de mener cette mission. Celle-ci, je le
rappelle, est de rendre disponibles et accessibles les médicaments et
produits essentiels génériques sur l'ensemble du territoire national, à
travers les structures sanitaires publiques et parapubliques. Cette
mission se fait grâce à trois activités: l'approvisionnement en produits,
leur stockage et distribution.
La Pna a la lourde mission d¹acquérir les médicaments suivant, bien
entendu, le cadre législatif qui est le sien, puisse que c'est un
établissement public c¹est à travers les marchés publics.
Les innovations que nous avons apportées, c'est principalement au niveau
de la distribution. Parce que la Pna avait mis en place ce qu¹on appelle
les pharmacies régionales d'approvisionnement (Pra) qui permettaient de
décentraliser cette activité de distribution, grâce à laquelle les
populations peuvent avoir accès aux médicaments dans les points de
prestations, les postes de santé, les centres de santé. C'est ainsi que,
depuis sa création, en tant qu'établissement public de santé, la Pna a
continué à développer la mise en place de ses relais qui sont les Pra et
qui sont vraiment des unités opérationnelles de la Pna. Mais le constat
qui était fait, c'≠est que, malgré cet effort de décentralisation, on avait
encore des régions qu'on pouvait qualifier « d'orphelines ». C'est la
région de Sédhiou et les autres nouvelles régions : Kaffrine et Kédougou
etc. Nous avons pensé à des initiatives novatrices qui permettent
d'apporter les mêmes services aux populations de ces régions que celles
qui disposent de Pra.
Peut-on alors avoir une idée de ces initiatives novatrices ?
Oui, il s'agit, entre autres, de la PRA Mobile (pharmacie régionales
d'approvisionnement) que nous avons lancée. La Pra Mobile est juste un
modèle de distribution de proximité qui permet d'accéder à ces régions là,
sans passer par l'interface des pharmacies régionales les plus proches.
Je donne un exemple : la région de Kaffrine était desservie par Kaolack,
avec la Pra Mobile, les médicaments quittent le siège pour aller
directement sur Kaffrine. Pour Kédougou, elle dépendait de Tambacounda
et nous avons fait la même chose. C'est le cas également pour Sédhiou qui
dépendait de Kolda. Tout de suite, nous améliorions l'accessibilité
géographique des médicaments. Nous améliorons, du coup, l'accessibilité
financière, parce que les populations ont moins d'efforts et de dépenses à
faire pour disposer de leurs médicaments.
Quand vous prenez une région comme Kédougou, comment la Pra Mobile réduit
les distances ?
Concrètement, si vous prenez les districts sanitaires comme Salimata,
Sareya, Neneficha, qui étaient rattachés à Tambacounda, c'est une distance
de 350 Km. Et en aller retour, cela fait 700km pour chercher des
médicaments. A partir du moment où ces médicaments sont fournis sur place,
à Kédougou, c¹est non seulement un gain de temps mais, également, d'argent
pour ces districts sanitaires. Et tout de suite, le premier
rebondissement, c¹est une disponibilité améliorée des médicaments.
Quid du réseau de distribution des médicaments, avec ces Pra Mobile ?
Nous avons compris, en effet, aujourd'hui, que le réseau de distribution
est un gage de l'accès aux médicaments. Par ailleurs, nous sommes dans un
contexte d'un programme, comme on le dit, à haut impact social qui est la
Couverture Maladie Universelle (CMU). Or, qui parle de Couverture Maladie
Universelle dit, d¹abord, accès aux soins, mais un accès équitable et de
qualité. Le défi en ce moment majeur devient l'offre de soin. Et celle-ci
ne peut être complète, ni de qualité, si les médicaments ne sont pas
disponibles au moment où les populations en ont besoin en qualité et en
quantité suffisantes. La Pna a donc compris qu'il fallait mettre l'accent,
améliorer une nouvelle fois, la chaîne de distribution. C¹est pour cela
qu'elle a mis en place ce concept appelé «jegesi naa» (mot wolof qui
signifie : je me suis rapproché ). C'est un concept novateur de
distribution qui permet de rapprocher, une nouvelle fois, le médicament de
la population.
Le concept «jegesi naa», signifie-t-il que les populations peuvent accéder
directement aux médicaments de la Pna ?
Je voudrais préciser que ce n'est pas de la vente au détail. Ce n'est pas
la vocation de la Pna. Elle n'a pas un contact direct avec les
populations. C'est aux structures sanitaires que revient la mission de
dispenser, distribuer des médicaments à partir des dépôts des postes de
santé, aux populations.
Ce sont deux concepts très importants et qui sont, d'ailleurs, en cours
d'évaluation avec l¹appui de l'Usaid. Mais d'ores et déjà, nous pouvons
mesurer l'impact de ces modèles de distribution mobile de proximité sur la
disponibilité des médicaments. Aujourd'hui, c'est important parce que
vous avez des districts qui constituent plus de 36% de notre clientèle. La
plupart de ces districts avait des difficultés à mobiliser des ressources
financières permettant de s'approvisionner de manière régulière. La
conséquence de tout ça, c'est que les points de prestations qui sont les
centres et les postes de santé n¹arrivaient pas à trouver, au niveau des
dépôts de districts, les médicaments nécessaires pour servir la
population. Avec l'arrivée de la Pna, qui vient au niveau du district
sanitaire avec l¹ensemble de la gamme des produits, cela permet au dépôt
de district, vraiment, de répondre à la demande des points de prestations
de manière très exhaustive, concrète.
La Pna était souvent confrontée à des ruptures de stocks de médicaments.
Qu'en est-il aujourd¹hui ?
Je n'aurais pas la prétention de dire que nous avons mis fin à toutes les
ruptures de stocks. La rupture de stocks, c'est aussi un élément de la
gestion logistique d¹une chaîne d¹approvisionnement. Mais, je dois dire,
qu'aujourd'hui, de gros efforts ont été faits et constituent des motifs de
satisfaction pour la Pna.
Quel est le volume des importations de médicaments pour notre pays ?
Il faut absolument qu'on comprenne que le Sénégal aujourd'hui importe 85%
de ses besoins en médicaments et que la Pna, pour les médicaments
essentiels, met 600 articles (médicaments) à la disposition des
populations. La Pna doit lancer des appels d'offres sur le marché
international pour acquérir ces médicaments. C'est non seulement un
processus long, mais très contraignant qui, quelque fois, occasionne des
goulots d'étranglements qui peuvent amener à des ruptures momentanées, je
dis bien momentanées, de stocks. Mais aujourd'hui, nous avons réussi à
travailler et à avoir de bons résultats sur deux aspects : la durée
moyenne de rupture de stocks qui est véritablement réduite à néant et le
nombre de produits qui peuvent être en rupture de stocks. Aujourd¹hui,
la Pna est l¹instrument qui gère tous les programmes de santé : le
programme Sida, la dialyse, la tuberculose, qui gère aussi les stocks du
programme paludisme. Tout cela, est une grosse charge de travail pour la
Pna. Mais, toutes les dispositions sont prises pour qu'on évite que les
molécules importantes, phares, des produits vitaux soient en rupture.
C'est pour ça, que nous avons mis en place des outils de suivi de ce qu¹on
appelle : les produits traceurs qui sont vitaux, les produits de la
médecine d¹urgence et qui ne doivent pas manquer.
Les pharmacies IB des districts sanitaires manquent souvent de
médicaments. Est-ce toujours le cas ?
Si vous allez à la pharmacie de ces districts, destinée aux produits de
L'Initiative de Bamako (IB), vous trouverez aujourd'hui toutes les
références. Parce que justement, c'est pour pallier cette situation de
rupture de stocks dans les pharmacies IB des structures sanitaires que la
Pna a décidé de mettre en place, ce qu'elle appelle, le dépôt-vente.
C'est-à-dire aujourd¹hui, elle ne demande plus à ces structures sanitaires
(les hôpitaux) de débrousser des montants pour acheter des médicaments. La
Pna apporte les médicaments à l¹établissement et le paiement ne se fait
qu'à postériori. Et ça à permis à l'hôpital de Fann, Abass Ndao,
l'hôpital de grand Yoff, l'hôpital Youssou Bargane, d'achalandé leur
pharmacie, grâce à cette stratégie mise en place par la Pna.
Les hôpitaux régionaux bénéficient-ils de ces dépôts-ventes de la Pna ?
Effectivement, les régions sont concernées, mais cela se fait aussi en
fonction des besoins. Vous avez l'hôpital de Kolda qui a un dépôt-vente,
vraiment bien achalandé. C¹est le cas pour Ziguinchor, Kaffrine etc.
L'étude se fait au cas par cas. Il faut aussi que les conditions de
stockage et de gestion des médicaments soient maintenues. Nous exigeons
que la structure qui est dans l¹hôpital soit habilitée à gérer les
médicaments et avec la présence d¹un pharmacien qui puisse gérer les
médicaments comme il se doit.
Quelles sont vos liens avec les officines privées ?
De facto, les officines privées sont approvisionnées par des grossistes
répartiteurs privés. Ce sont les principales structures qui les
approvisionnent. La Pna n'approvisionne les officines privées que via ces
grossistes privés. Et pour une liste bien limitée de produits, une
soixantaine. Il y en un parmi ces produits, qui très sensible, c'est
l'insuline. Pour ce produit, l'approvisionnement des officines des
pharmacies provient uniquement de la Pna. Nous sommes chargés, pour le
compte de l¹Etat, d'acheter l'insuline et de la distribuer au secteur
privé parce que l'Etat subventionne ce produit à hauteur de 300 millions
de nos francs. Ce qui permet d'avoir aujourd'hui l'insuline dans les
officines privées au prix auquel il est vendu, qui est un prix tout à fait
social. Dans la sous-région, le Sénégal est le seul pays où l'insuline est
vendue à moins de 1500frs. Ce sont avec ces produits que la Pna
approvisionne le secteur. Ces deux dernières années, la Pna n'a pas
connue de rupture d'insuline et elle arrive à approvisionner, de manière
correcte, l'ensemble du pays via les grossistes privés. Pour les autres
spécialités, il faut que tout le monde sache que la structure ne fait pas
de spécialité. La Pna ne vend que des médicaments génériques.
Les patients sont-ils suffisamment informés de l'existence de ces
médicaments au niveau des pharmacies IB ?
C'est vrai que certaines populations ne sont pas toujours informées. Mais,
je peux vous dire que, de plus en plus, malgré la prescription du médecin,
les populations vont d'abord à la pharmacie IB. De plus en plus, le
médecin écrit sous la forme de dénomination commune internationale
c'est-à-dire le nom du médicament générique. Dans les structures
hospitalières on écrit rarement de nom, sauf quand il s¹agit des maladies
chroniques. Aujourd'hui, ce qu'il faut souligner, c'est que dans quelques
mois même les maladies chroniques qui posaient de grandes difficultés vont
être prises en charge dans le secteur public. Je veux parler des anti
cancéreux qui posaient de graves problèmes d'accès en raison de leur coût.
Ils sont maintenant intégrés dans la liste des médicaments essentiels et
la Pna est en train de les commander. Dorénavant, la majeure partie de ces
anticancéreux sera bientôt disponible dans les pharmacies hospitalières.
Quels sont les chantiers de la Pna ?
Certes, aujourd'hui, nous ne sommes pas là pour distribuer des
spécialités, mais absolument développer le générique et faire sa
promotion. Ce qui revient à préserver les ressources financières de nos
populations . Le Sénégal est un des pays où les dépenses de santé sont
très élevées. Parmi celles-ci, les médicaments occupent une place très
importante. En plus, la couverture maladie ne couvre aujourd¹hui que 20%
de la population. Le reste, c'est-à-dire les 80%, au moment du lancement
de la couverture maladie universelle, n¹avait pas de couverture sociale.
Par conséquent, les patients supportaient la plus part de leurs dépenses
de santé. Plus les médicaments seront accessibles, moins les dépenses de
santé supportées par les populations seront importantes. C'est là où se
trouve le challenge de la Pna, c'est-à-dire avoir la gamme la plus élargie
possible qui puisse permettre vraiment aux populations d'être soulagées.
C'est aussi la clé du succès de la couverture maladie universelle.
El l'autre chantier ?
C'est la délocalisation de la Pna, car comme vous le voyez, nous sommes à
l'étroit ici.
Vous savez que la qualité du médicament dépend en grande partie des
conditions dans lesquelles il a été stocké et distribué. Aujourd'hui, la
Pna s'est inscrite dans ce qu'on appelle les bonnes pratiques de stockage
et distribution, conformément aux directives de l'Os. Nous avons un
projet de renforcement du système d'assurance-qualité. La Pna a été
sélectionnée parmi les centrales d¹achat d'Afrique qui doivent mettre en
place un système d¹assurance-qualité. Par conséquent, il y a un projet
phare qui doit s'attacher à cela, c'est la construction de la nouvelle
centrale d'achat de la Pna à Diamiadio. Et pour lequel nous sommes en
train de chercher les financements, aux fins de créer cette plateforme
logistique qui puisse recevoir l'ensemble des médicaments qui sont
destinés aux structures sanitaires du pays. Aujourdhui que nous aspirons
tous à un Sénégal émergent, ce projet s'inscrit dans ce sillage. Le
Sénégal émergent, c'est une population qui produit, une population en
bonne santé et dont on préserve le capital humain. C'est une population
qui a un accès à des soins de qualité. Par conséquent, ça doit être un
projet phare de l'Etat et qui a bien compris cela, en mettant à la
disposition de la Pna un site de 30 000 m2 dans le pôle urbain de
Diamniadio. Aujourd'hui la question reste celle du financement de ce
projet.
La Pna rencontre-t-elle des difficultés dans l'exercice de ses missions.
Lesquelles ?
Les difficultés demeurent l'acquisition des médicaments avec les
contraintes du code des marchés. Le dernier code des marchés permet à la
Pna, en cas de rupture de stocks, et pour les produits de la médecine
d'urgence, d'acquérir les médicaments sans passer par les dispositions du
code des marchés. Pour tous les autres médicaments, nous devons nous
soumettre aux dispositions du code des marchés. Ce qui constitue un
goulot important. Les impératifs sanitaires, particulièrement en cas
d'urgence, ne font pas bon ménage avec les délais. Les médicaments ne sont
pas des produits qui sont stockés. Leur fabrication demande 90 à 120
jours. Par conséquent, entre le temps où ils sont commandés et celui où
ils sont livrés, il faut trois à quatre mois. Ajouter à cela toutes les
dispositions du code des marchés, avec ses contrôles a priori qui doivent
se faire entre toutes les procédures de passations qui vont du contrôle, à
la revue des dossiers, en passant par l'approbation ensuite des dossiers.
Même si les seuils d'approbation ont été relevés, cela ne semble pas
avoir encore un impact suffisant pour permettre vraiment de diligenter les
commandes de médicaments. A notre avis, il faut aujourd'hui que le
médicament soit un cas particulier et qu'on essaie de voir comment trouver
les moyens de sortir totalement le médicament du champ d¹application du
code des marchés publics.
L'Etat injecte combien, en termes de budget, pour les commandes de
médicaments ?
L'Etat du Sénégal, malgré ses moyens limités, investit énormément pour
permettre aux populations d'accéder aux médicaments. Aujourd'hui, l'Etat
met 1,500 milliard pour acheter les antirétroviraux, plus de 300 millions
pour l'achat des antituberculeux qui sont totalement gratuits, 2, 700
milliards pour les intrants concernant la dialyse, c'est ce qui permet,
aujourd'hui, de rendre la dialyse totalement gratuite. L'Etat achète
également les produits pour la santé de la reproduction. En gros, chaque
année, l'Etat met environ 5 Milliards pour l'achat des médicaments. C'est
quelque chose de remarquable pour un pays à faible revenue comme le notre.