E-MED: France: Les 835 m�dicaments en trop (6)
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[Mod�rateur: quelques r�actions suites aux mesures prises par Elisabeth
Guigou... qu'il est bien difficile de parler d'usage rationnel des
m�dicaments en France... CB)
Les demicaments, par Jean-Fran�ois Bergmann
LE MONDE | 12.06.01 | 15h16 | analyse
http://www.lemonde.fr/article/0,5987,3232--194823-,00.html
MARTINE AUBRY l'a invent�e, Elisabeth Guigou l'a enterr�e : "la r��valuation
du service m�dical rendu (SMR) des m�dicaments" ne conduira donc pas � des
d�remboursements, m�me pour les produits peu ou pas efficaces.
Pourtant la lettre de mission de l'ancienne ministre des affaires sociales
adress�e � la commission de la transparence de l'Agence de s�curit�
sanitaire des produits de sant� (Afssaps) �tait pr�cise : classez les
m�dicaments en quatre niveaux de SMR : important, mod�r�, faible ou
insuffisant, pour ouvrir droit au remboursement. Les "insuffisants" se
devaient donc d'�tre d�rembours�s. En bons soldats, les experts cliniciens
se sont mis � la t�che et ont class� en quatre cat�gories plus de 4 000
m�dicaments. Puis on apprend qu'il n'y aurait que trois classes de
remboursement : 65 %, 35 % et 0 %, ce qui entra�ne de fait un regroupement
des "mod�r�s" avec les "faibles" dans la classe des 35 %.
Le 7 juin, la d�cision de ne plus d�rembourser tombe et les "insuffisants"
se retrouvent eux aussi dans l'auberge espagnole des 35 %. Le difficile
travail d'assainissement se termine donc par une situation bien opaque :
trois niveaux d'efficacit� th�rapeutique se retrouvent dans la m�me classe.
Les m�dicaments insuffisants �tant rembours�s � 35 %, cette classe devient
infamante m�me pour les bons m�dicaments qui s'y trouvent. Pis, les
"insuffisants" voyant leur prix baisser autoritairement vont se trouver en
situation concurrentielle favorable.
Bienvenue aux demi-m�dicaments "insuffisants, toujours rembours�s et, en
plus, moins chers", cr�ant un incroyable paradoxe th�rapeutique qui incite �
prescrire le moins efficace aux d�pens des produits apportant un r�el SMR !
Si l'on prend, par exemple, la classe des traitements de la diarrh�e aigu�,
on constate que les experts ont tr�s l�gitimement consid�r� qu'aucun
m�dicament n'apportait un SMR important, car dans cette affection la seule
d�cision importante est de pr�venir et de traiter la d�shydratation en
maintenant des apports hydriques suffisants.
Quelques m�dicaments apportent un SMR mod�r� puisqu'ils r�duisent
indiscutablement la dur�e de la p�riode diarrh�ique.
En revanche, toute une s�rie de probiotiques, levures, pansements digestifs,
d�sinfectants intestinaux, enzymes et autres extraits microbiens n'ont
jamais r�ussi � d�montrer clairement leur efficacit� clinique. Leur SMR est
� l'�vidence insuffisant, mais les voil� pourtant remis en selle et
rembours�s � 35 %. Fallait-il des dizaines d'experts et des milliers
d'heures de travail pour en arriver l� ? L'enterrement des d�remboursements
et la naissance des "demicaments" inefficaces mais rembours�s ont des
raisons politiques, �conomiques et de sant� publique.
Politiquement il ne faut pas choquer le consommateur-bient�t �lecteur.
Qu'il continue sa placeboth�rapie aux frais de la S�curit� sociale mais,
s'il se r�jouit des �conomies faites en diminuant certains remboursements
de 65 � 35 %, qu'il n'oublie pas que les mutuelles (donc lui) devront payer
la diff�rence.
On annonce avec fiert� que le malade va �tre inform� et responsabilis�
puisque le site Internet de l'Afssaps diffuse officiellement la liste des
835 m�dicaments � int�r�t th�rapeutique insuffisant : Madame Michu, grande
croqueuse de veinotoniques, sa fille accro au magn�sium, son mari buveur de
gouttes "pour la m�moire", son petit-fils "immunostimul�" pour �viter les
otites vont enfin �tre des malades avertis ! Qui croit que cela changera
quoi que ce soit aux mauvaises habitudes fran�aises d'ordonnance-fleuve et
de consommation excessive ? Le d�remboursement aurait �t� autrement plus
efficace.
Economiquement, le soutien artificiel aux petits laboratoires
pharmaceutiques fran�ais va leur permettre de continuer � survivre.
Dommage que LU ou Marks & Spencer ne soient pas rembours�s par la S�cu !
Pourtant, tout le monde sait que cette petite industrie ne peut plus faire
face au co�t de d�veloppement d'un nouveau m�dicament.
Qu'elle �volue, se regroupe, s'organise, se mette sur le terrain prometteur
d'une autom�dication efficace ou des g�n�riques, mais qu'elle arr�te de
croire qu'elle peut faire des b�n�fices sans respecter les r�gles modernes
de l'�valuation th�rapeutique !
En termes de sant� publique, il est vrai que les m�dicaments, m�me peu
efficaces, participent � la prise en charge du malade mais le remboursement
n'a pas d'effet th�rapeutique en soi. On peut �tre utile et non rembours� :
certaines pilules contraceptives, le Viagra, la pilule du lendemain, le
Maalox le d�montrent tous les jours. Une bonne campagne d'information du
public pourrait faire passer le message que l'on ne peut plus tout
rembourser, que l'arr�t d'un traitement � SMR insuffisant ne sera jamais
d�l�t�re pour la sant� et que ces m�dicaments restent disponibles pour
leurs groupies.
Reste le chiffon rouge largement agit� du transfert de prescription vers des
m�dicaments mieux rembours�s, mais aussi plus chers et plus dangereux. Ce
transfert, �vident si au sein d'une m�me classe th�rapeutique certains
m�dicaments sont rembours�s et d'autres pas, n'a jamais �t� d�montr� si
l'ensemble d'une classe est d�rembours� en un temps. Le d�remboursement des
antiasth�niants a b�n�fici� aux autres placebos magn�siens ou vitaminiques,
mais pas aux antid�presseurs ni aux anxiolytiques. Et si un m�decin
consid�re qu'un patient fatigu� n'est pas d�pressif, il ne va pas changer
son diagnostic et prescrire des antid�presseurs d�s lors que le magn�sium
n'est plus rembours�. L� encore, l'information des malades et la formation
des m�decins devraient permettre de maintenir une bonne qualit� des soins
sans vouloir toujours rajouter des ersatz m�dicamenteux � la relation
th�rapeutique.
L'avenir est, d'une part, � des m�dicaments innovants, co�teux, efficaces et
bien rembours�s et, d'autre part, � une autom�dication responsable avec des
m�dicaments adapt�s au traitement des affections aigu�s b�nignes. Vouloir
maintenir en survie artificielle les m�dicaments sans service m�dical rendu,
c'est pr�f�rer le pass�. Combien d'ann�es faudra-t-il encore attendre pour
qu'ils comprennent ?
Jean-fran�ois Bergmann est professeur de th�rapeutique (universit�
Paris-VII), ancien vice-pr�sident de la commission de la transparence.
ARTICLE PARU DANS L'EDITION DU 13.06.01