le 25 mars 2010
Société
Bachelot ne convainc pas
http://www.humanite.fr/2010-03-25_Societe_Bachelot-ne-convainc-pas
Auditionnée mardi par une commission d'enquête, la ministre de la Santé a
continué de réfuter toute influence des laboratoires dans la gestion de la
pandémie du virus H1N1 .
C'est l'heure de rendre des comptes pour la ministre de la Santé. Roselyne
Bachelot a été auditionnée mardi dans une atmosphère sarcastique par une
commission d'enquête sénatoriale. Le but? : déterminer le degré d'implication
de l'industrie pharmaceutique dans la gestion de la crise de la grippe A
(H1N1) de l'année 2009. Une audition houleuse qui s'apparentait plutôt à une
comparution, comme l'a fait entendre la ministre en glissant? : « La parole
est à la défense. » Le sénateur François Autain (PG), président de la
commission d'enquête mise en place à l'initiative du Parti communiste
français et du Parti de gauche, a dirigé la séance aux côtés du rapporteur
Alain Milon (UMP). Sur la table, l'ensemble des interrogations suscitées par
sa gestion de la pandémie : l'achat de 94 millions de doses de vaccins, les
contrats signés à la hâte sans clause de résiliation, l'indépendance des
experts, la mise à l'écart des généralistes, les négociations avec les
laboratoires, l'indemnisation de 48 millions d'euros du laboratoire
Novartis.
« Pourquoi ne pas avoir respecté la loi ? »
Après avoir précisé que « le ministre de la Santé se doit de montrer l'exemple
en matière de déontologie », François Autain demande s'il y a dans le
cabinet du ministère des membres « en lien avec les laboratoires
pharmaceutiques ». La loi stipule, en effet, que tous les experts sont dans
l'obligation de déclarer les intérêts personnels qu'ils peuvent avoir avec
les laboratoires. Les membres du cabinet de la ministre, eux, n'ont pas
effectué ces déclarations depuis leur prise de fonctions en 2008. « Pourquoi
ne pas avoir respecté la loi ? » demande François Autain. « C'est en cours
de régularisation », se défile la ministre.
L'indépendance des experts vis-à-vis de l'industrie pharmaceutique a été
remise en cause par la presse et l'opposition, qui ont souligné la double
casquette de ces chercheurs dont les travaux sont financés par les
laboratoires. Dans son ouvrage, intitulé les Médicamenteurs, publié en
février 2010, la journaliste Stéphane Horel va plus loin. Elle dénonce l'«
omniprésence de l'industrie pharmaceutique à tous les étages du système de
santé français ». Pis : le Groupe d'expertise et d'information sur la grippe
(Geig), qui conseille directement le gouvernement, est « totalement
financé » par cinq laboratoires, dont Novartis, Sanofi-Pasteur et GSK.
En réponse à ces attaques, Roselyne Bachelot concède : « La transparence
peut être encore renforcée, mais sachez que les experts n'interviennent
jamais dans la prise de décisions. » Et de marteler : « Un lien d'intérêt n'est
pas forcément un conflit d'intérêts. Ce n'est pas parce qu'un expert va
travailler pour un laboratoire que son expertise n'est pas valable ou qu'elle
est orientée. » La ministre confie toutefois qu'il était « difficile de
trouver des experts sans conflit d'intérêts dans ces domaines pointus ».
un plan disproportionné
La ministre de la Santé se défend de toute ingérence. « Les scientifiques ne
font que donner un avis par le biais de scénarios possibles. » Sans en
rajouter ? « J'estime que le risque a bien été évalué. » François Autain
réagit : « Si on avait tenu compte de la sévérité de la maladie, on n'aurait
pas appelé "pandémie" une grippe banale. » Et de lui rappeler : « Le peuple
ne s'est pas fait vacciner car il s'en est rendu compte, il faut parfois
faire confiance au bon sens populaire. »
Au final, le gouvernement a-t-il mené une politique de « dramatisation » et
de « surévaluation des risques » ? Le président de la commission d'enquête
en est convaincu. « Plus on alarme, plus ça fait vendre », a-t-il déclaré
lundi à l'AFP. Mardi, François Autain a enfoncé le clou, considérant la
pandémie de grippe comme « anodine » et qualifiant la vaccination d'«
inutile ». « Une erreur manifeste », selon le sénateur, due à l'utilisation
d'un plan « disproportionné », à l'origine élaboré pour contrer la grippe
aviaire.
Selon une première estimation, l'État devrait quand même verser 48 millions
d'euros d'indemnisation aux trois laboratoires (Novartis, GSK et
Sanofi-Pasteur) pour la ?résiliation d'une commande de 50 millions de doses,
dont le coût s'élevait à 358 millions d'euros. Une estimation ?car, pour l'heure,
seul le ?laboratoire Novartis a signé l'accord. La ministre n'en démord pas.
Elle considère avoir fait le bon choix en optant pour la sécurité
contrairement, ajoute-t-elle, à la Pologne qui n'a pas commandé de vaccins.
Face à l'étendue toute relative des dégâts causés par la pandémie de grippe
A (H1N1) dans le pays concerné, François Autain lui rétorque : « Au moins
les Polonais n'ont pas besoin de revendre des millions de doses
maintenant. » Roselyne Bachelot, elle, assure n'avoir eu que le souci de la
protection de l'« ensemble de la population ». Appelant, au passage, la
population à avoir « confiance » dans les expertises et à ne pas « se
vautrer dans les délices de l'a posteriori ». Le président de la commission,
lui, se déclare « absolument pas convaincu » par le plaidoyer de la ministre
de la Santé.
Thibault Ducloux