Intellectual Property Watch
1 December 2008
Parole dexperts : la propriété intellectuelle sur les biotechnologies a
besoin dun nouveau départ
http://www.ip-watch.org/weblog/index.php?p=1340
Posted by Catherine Saez @ 3:34 pm
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Par Catherine Saez
PARIS - Selon certains participants à un séminaire qui sest récemment
tenu à Paris, le secteur des biotechnologies a sérieusement besoin de
modifier son mode de fonctionnement, de restaurer la confiance entre les
différents acteurs et détablir des partenariats. Daprès eux, après
presque trente ans dexistence, ce secteur ne fait toujours pas de
profits, semble même sessouffler, et les controverses au sujet des
brevets appliqués aux domaines de la santé et de lagriculture ont eu
raison de lopinion publique.
Le séminaire sur la propriété intellectuelle, les biotechnologies, les
savoirs traditionnels et les questions sociales, co-organisé par Sciences
Po Paris et lUniversité McGill de Montréal, sest déroulé à Paris du 13
au 14 novembre 2008.
« La crise de confiance que connaît le système des brevets dans le domaine
des biotechnologies a commencé il y a sept ans, avec laffaire Myriad
Genetics », a expliqué Richard Gold, professeur à lUniversité McGill et
président de Partenaires dans linnovation, un groupe international de
spécialistes sur les biotechnologies, linnovation et la propriété
intellectuelle, avant de qualifier cette affaire d« ouragan politique ».
Lentreprise biopharmaceutique américaine Myriad Genetics avait déposé des
demandes de brevets auprès de lOffice européen des brevets (OEB) sur deux
gènes responsables des cancers du sein et de lovaire et une technique
didentification des prédispositions génétiques à ces cancers. LOEB lui a
accordé quatre brevets entre 2001 et 2002.
Alors que les décisions de Myriad sur lutilisation et la mise en
application de ses brevets ont provoqué langoisse chez les gouvernements,
les hôpitaux et les chercheurs du monde entier (due à la crainte que les
recherches sarrêtent, que les coûts des soins augmentent et que les
femmes soient privées de soins adaptés), le système des brevets a plongé
dans une crise de confiance, a expliqué M. Gold. Ces inquiétudes nétaient
pas toutes fondées mais les gouvernements se sont sentis obligés dagir,
a-t-il ajouté. Par exemple, lAllemagne et la France ont adopté des lois
réduisant le champ dapplication des brevets sur les gènes. La France a
par ailleurs établi un système de licences obligatoires pour les
techniques de dépistage.
LOrganisation de coopération et de développement économiques a adopté des
directives sur les licences appliquées aux inventions génétiques.
Lattribution de ces brevets a finalement été rejetée par six opposants,
parmi lesquels lInstitut Curie (France), le gouvernement hollandais et
Greenpeace Allemagne. Les brevets ont été révoqués mais Myriad a fait
appel de cette décision. Or, selon le site Internet de lOEB (en anglais),
suite à une audience publique à Munich le 19 novembre, une chambre de
recours technique a maintenu lun des brevets lié à une « technique
didentification des prédispositions génétiques aux cancers du sein et de
lovaire » sous une forme modifiée.
Daprès M. Gold, cette crise, qui dure depuis plusieurs années, aurait pu
être évitée. Elle a été causée par trois facteurs déchec majeurs : une
mauvaise communication, des défaillances institutionnelles et un manque de
confiance entre les différents acteurs. La stratégie de Myriad a échoué
car lentreprise nest toujours pas en mesure dutiliser ses brevets.
Pourtant, dautres entreprises ont suivi cette stratégie. « Toutes les
erreurs commises par Myriad sont reproduites », a expliqué M. Gold. « Et
lhistoire va se reproduire elle aussi ».
Pour Alain Gallochat, consultant et spécialiste de la propriété
industrielle pour lOrganisation du Traité de lAtlantique Nord, « il ne
sagissait pas dune question de brevetabilité mais plutôt de
lutilisation qui allait être faite de ces brevets ». En effet,
lentreprise a tenté de les faire appliquer de manière déraisonnable,
a-t-il expliqué.
Pour les intervenants du séminaire, le problème ne vient pas du fait que
les inventeurs cherchent à protéger leur invention par des brevets, mais
plutôt de la manière dont ces derniers sont accordés et surtout celle dont
les droits sur ces brevets sont exercés. « Les brevets sont essentiels
pour les universitaires », a déclaré Frédéric Foubert, du service
Transferts de technologies du Centre National de la Recherche Scientifique
(CNRS) à Paris. « Si les découvertes nétaient pas brevetées, les
technologies resteraient dans les laboratoires, a-t-il ajouté. Lindustrie
est le partenaire de la recherche universitaire ».
Et la confiance entre deux partenaires est un élément crucial. Vincent
Jouhanneaud, responsable de la propriété intellectuelle au Centre
dimmunologie Pierre Fabre, a précisé que les brevets ne représentent
quun aspect de la propriété intellectuelle. Parfois, il vaut mieux faire
le choix dun contrat efficace que déposer une demande de brevet. Par
exemple, les brevets déposés en amont des recherches pour protéger
déventuels résultats peuvent savérer dangereux pour leur titulaire et se
retourner contre ce dernier si les industries rechignent à investir dans
une phase si précoce. Selon M. Gallochat, ces brevets précoces, qui sont
généralement les témoins dun manque de confiance, peuvent être
complètement contreproductifs pour toutes les parties.
« Lobjectif serait un équilibre entre le brevet et lintérêt général »,
a-t-il expliqué. « Le rôle de loffice de brevets nest pas daccorder des
brevets mais bien de sassurer quun brevet peut être accordé », a-t-il
précisé, avant dajouter que lOEB naccepte dorénavant plus de demandes
spéculatives. « À lheure actuelle, le fait de sopposer à un brevet est
un moyen de faire comprendre aux offices de brevets que leur système de
délivrance nest pas approprié, a expliqué M. Jouhanneaud. Par exemple,
que le champ dapplication des demandes est trop vaste ».
Les droits de propriété intellectuelle peuvent-ils protéger les savoir
traditionnels ?
La propriété intellectuelle nest peut-être pas la meilleure solution pour
protéger les savoirs traditionnels. « Il existe une incompatibilité entre
le cadre des droits de propriété intellectuelle et les savoirs
traditionnels », a indiqué Tania Bubela, professeur adjoint à lUniversité
dAlberta, au Canada. Le fait que les droits de propriété intellectuelle
sont limités dans le temps constitue le principal problème. Lune des
conditions pour breveter un savoir traditionnel est la divulgation de
lobjet du brevet. Or la plupart des savoirs traditionnels sont basés sur
des croyances culturelles et spirituelles qui vont parfois à lencontre de
la divulgation. Il est également très difficile de savoir qui détient le
savoir traditionnel. Nous devons trouver un équilibre entre les intérêts
économiques nationaux et les besoins des communautés qui sont le berceau
ces savoirs traditionnels, a-t-elle expliqué.
Denis Bohousoou, directeur de lOffice de la propriété intellectuelle de
Côte dIvoire, a énoncé les trois principales menaces qui pèsent sur les
savoirs traditionnels : le défi lié à leur préservation (car ils sont
étroitement liés aux changements de lenvironnement social et physique),
le danger de lexploitation illicite et la difficulté de les promouvoir.
La connaissance antérieure doit également être reconnue, a-t-il ajouté.
Les savoirs traditionnels devraient être utilisés comme des leviers pour
le développement, a confié M. Bohousoou. Une grande partie de la
technologie en provenance du Nord ne peut pas être utilisée par les pays
du Sud car elle ne trouve pas sa place dans le quotidien de ces pays. En
Côte dIvoire, il existe des centres de formation de médecine moderne qui
font appel à des soigneurs traditionnels pour promouvoir les savoirs
traditionnels.
Daprès David Vivas Eugi, du Centre international pour le commerce et le
développement durable (International Centre for Trade and Sustainable
Development), la confiance constitue un défi majeur car les peuples
autochtones se méfient des étrangers et les savoirs traditionnels ne font
pas partie de leurs priorités, contrairement au droit au sol et à
lautodétermination.
Questions de réglementation
On note lapparition de nouveaux comportements, comme le dépôt de listes
de demandes de brevet multiples extrêmement longues et déraisonnables
(concernant parfois plus de 100 brevets), ainsi quune tendance consistant
à déposer des demandes de brevets divisionnaires (contenant des éléments
ayant déjà fait lobjet de dépôts de brevet par le passé), a expliqué
Denis Dambois de la Direction générale du Commerce de la Commission
européenne. La réglementation ne prévoit aucune sanction pour ce type de
comportement et les entreprises qui souhaitent sassurer quelles
nenfreignent aucun brevet ont des difficultés à le faire.
Les transferts de technologie des pays développés vers certains pays
émergents comme la Chine ou le Mexique peuvent comporter des risques pour
les titulaires de brevets de lUnion européenne, a ajouté M. Dambois. En
effet, certains contrats commerciaux ou de marché public contraignent des
entreprises européennes à donner un accès plus étendu à leur technologie
et à leur savoir-faire que dans le cadre de relations commerciales
habituelles.
En outre, la législation sur les normes pourrait être influencée par une
récente décision de la Cour suprême chinoise, a-t-il indiqué. Cette
décision sous-entend que si une entreprise accepte que sa technologie soit
transférée selon les normes chinoises, lentreprise naura plus la
possibilité dengager des poursuites à lencontre des utilisateurs de
cette technologie. Elle pourra réclamer un dédommagement financier, mais
celui-ci sera beaucoup moins important que le montant des redevances.
Lacceptation des normes chinoises présente un risque pour la propriété
intellectuelle des entreprises européennes, a-t-il conclu.
De nouveaux outils pour la gestion des brevets
Actuellement, partout dans le monde, les brevets connaissent une
inflation, a indiqué Frédéric Caillaud, responsable des transferts de
technologie chez lOréal. Selon lui et dautres spécialistes, nous allons
assister à un « big-bang de la propriété intellectuelle » dici à 2010,
lorsque la première bourse des brevets ouvrira ses portes à Chicago. « Le
visage de la propriété intellectuelle va changer », a-t-il ajouté.
Nous assistons à larrivée de nouveaux outils qui vont transformer la
manière dont les brevets sont obtenus et utilisés. Les marchés en ligne,
la vente aux enchères, les regroupements de brevets, la cartographie des
brevets, le classement des brevets et la bourse des brevets font partie de
ces nouvelles tendances, a-t-il affirmé. Les fonds de placements
investissent dans la propriété intellectuelle (lannée dernière, 5 000
brevets ont été achetés), et le regroupement de brevets est une activité à
la mode et lucrative pour les nouveaux arrivants en raison de lémergence
des outils informatisés.
Le principal problème auquel doivent faire face les pays en développement
est le manque de connaissances en matière de propriété intellectuelle, a
confié Charles Molinier de lOrganisation africaine de propriété
intellectuelle (OAPI). Certains résultats de recherches menées dans des
universités ou des instituts ne sont pas brevetés. LOAPI a pour vocation
de promouvoir les connaissances dans ce domaine au travers de la formation
duniversitaires, de chercheurs et davocats afin que les droits de
propriété intellectuelle accordés dans ces pays soient solides, que ces
derniers attirent des investissements étrangers et quils fassent
appliquer le droit de manière efficace. LOAPI espère pouvoir mettre en
place des partenariats avec dautres offices de propriété intellectuelle.
Traduit de langlais par Griselda Jung
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