[e-med] Les miracul�es de Nairobi

E-MED: Les miracul�es de Nairobi
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[pour ceux qui n'ont pas acc�s � Jeune Afrique, stup�fiant...CB]

Les miracul�es de Nairobi
http://www.jeuneafrique.com/gabarits/articleJAI_online.asp?art_cle=LIN11014l
esmiiboria0
L'intelligent
Kenya
12 janvier 2004

Une poign�e de prostitu�es k�nyanes font l'objet d'�tudes scientifiques,
car, malgr� de nombreux rapports sexuels � risque, elles sont rest�es
s�ron�gatives.

Au d�tour des ruelles du bidonville de Majengo, l'un des plus pauvres de
Nairobi, on croise Munyiva, 52 ans. Elle est l� comme d'autres femmes,
assise devant sa porte sur un petit tabouret. Elle s'est drap�e dans un
kanga, tissu color� traditionnel de la c�te k�nyane, qui d�voile ses �paules
potel�es. Un oeil non averti supposerait qu'elle discute tranquillement avec
ses voisines. Pourtant, elle est l'une des prostitu�es de ce quartier chaud
de la ville. Elle attend ses clients, des routiers, mais surtout des
commer�ants et acheteurs du march� d'occasion tout proche. Ce dernier
s'�tale sur plusieurs hectares. Vendeurs de v�tements, de rideaux ou encore
de ferraille s'y c�toient dans un joyeux brouhaha. Au coeur du bidonville,
Munyiva travaille chez elle, pour moins de 1 euro la passe. Anonyme parmi
ses coll�gues, elle est n�anmoins bien connue de la communaut� scientifique
: elle est r�sistante au VIH. Sur ce continent qui compte trente millions de
s�ropositifs, soit 75 % du total mondial, les quarante � soixante
r�sistantes k�nyanes font figure de miracul�es du sida. Munyiva est toujours
s�ron�gative, elle qui re�oit depuis plus de trente ans entre quatre et sept
clients par jour, g�n�ralement sans utiliser de pr�servatif !

Depuis le milieu des ann�es 1980, les chercheurs tentent de percer le secret
de celles que l'on nomme commun�ment � les r�sistantes �, ou encore les �
expos�es non infect�es �.
Leur immunisation serait naturelle. La plupart d'entre elles ont dans le
sang des lymphocytes CD8 cytotoxiques, c'est-�-dire tueurs de cellules. Ils
d�truiraient le virus d�s son entr�e dans l'organisme. Pourquoi sont-elles
les seules � �tre �pargn�es ? Selon le docteur Kimani, responsable de la
clinique o� le cas de ces femmes est �tudi�, � il s'agit l� de la s�lection
naturelle. Certaines personnes sont "programm�es" pour r�sister aux
maladies, alors que d'autres en meurent. � D'ailleurs, le cas des
r�sistantes de Nairobi n'est pas unique en Afrique. Des ph�nom�nes
similaires ont �t� observ�s par des scientifiques anglais et fran�ais en
Gambie et en C�te d'Ivoire. Ph�nom�ne encore plus �trange, apr�s avoir �t�
consid�r�es pendant des ann�es comme r�sistantes, certaines prostitu�es sont
devenues s�ropositives.
Leur seul point commun : elles ont arr�t� un temps la prostitution. Les
scientifiques en ont conclu que leur r�sistance s'acquiert, et qu'elle peut,
par cons�quent, se perdre. �

L'interpr�tation la plus simple se r�sume � ce constat : tout se passe comme
si en �tant expos�es r�guli�rement au VIH elles se vaccinaient, entretenant
une r�ponse immunitaire qui les prot�ge �, commente le Fran�ais Michel
Kazatchkine, directeur de l'Agence nationale de recherche sur le sida
(ANRS). Le contact avec le virus renforce ainsi toujours plus leur
r�sistance. Mais il existe une contrepartie majeure : � Quand elles ne sont
plus stimul�es par le VIH, cette r�action immunitaire diminue et ne les
prot�ge plus �, poursuit le scientifique.
Pour conserver cette r�sistance, les femmes n'ont alors qu'une solution : ne
jamais se prot�ger contre le virus. Mais elles l'ignorent. M�decins et
scientifiques ne leur ont pas r�v�l� cette particularit�, pourtant vitale.

Les � r�sistantes �, qui sont au moins au courant de leur statut, ne se
vantent pas de leur miraculeuse exception. Bien au contraire, elles la
cachent. � Je n'en parle jamais � mes clients ou � mes voisins. Une fois,
j'en ai parl� � d'autres prostitu�es. Elles sont devenues tr�s agressives,
et m'ont assur� que personne ne pouvait �tre r�sistant ! � raconte Nancy, 43
ans. Lorsque ces femmes apparaissent � la t�l�vision, leurs voisins ne
comprennent pas vraiment de quoi il s'agit. � Ils m'ont vue � la t�l�, mais
n'ont pas entendu le commentaire. Ils ont cru que j'�tais s�ropositive. �

Tout a commenc� en 1983. Un Canadien de l'universit� du Manitoba, le
professeur Plummer, d�cide d'ouvrir un centre m�dical dans le bidonville le
plus � chaud � de la capitale k�nyane, pour y �tudier les maladies
sexuellement transmissibles (MST). Avec l'apparition du sida, il d�cide de
suivre plus de quatre cents prostitu�es, pour conna�tre leur taux de
contamination.

Quelques ann�es plus tard, il a bien fallu se rendre � l'�vidence. On �tait
en pr�sence d'un ph�nom�ne inconnu : une r�sistance naturelle au VIH. � J'ai
appris que j'�tais r�sistante au d�but des ann�es 1990. J'�tais tr�s
heureuse et troubl�e, car j'ai cru pendant des ann�es que j'�tais
s�ropositive. J'avais eu des relations sans pr�servatif avec des clients qui
m'avaient cach� leur contamination. D'ailleurs, certains sont d�j�
d�c�d�s �, confie Nancy.

Cette d�couverte n'a pu �tre d�voil�e aussit�t, comme l'explique le docteur
Kimani, responsable du centre m�dical : � Nous avons voulu publier ce
rapport d�s 1991, mais je pense que c'�tait impossible. Le monde n'�tait
alors pas pr�t � entendre parler de r�sistance au VIH. � Il a donc fallu
attendre que de telles remarques soient formul�es par d'autres
scientifiques, ailleurs dans le monde.

Le professeur Plummer pensait rester deux ans au Kenya. Mais ses fabuleuses
d�couvertes l'ont finalement pouss� � y s�journer pendant dix-sept ans. Car
les scientifiques prennent le ph�nom�ne tr�s au s�rieux. Un moment
sceptiques sur sa v�racit�, ils s'accordent aujourd'hui � le reconna�tre et
sont m�me all�s beaucoup plus loin. Puisque cette r�sistance
                    est immunitaire, ils doivent pouvoir la reproduire !
Forts de cette d�couverte, ils ont �labor� un candidat vaccin devant
provoquer dans l'organisme le m�me type de r�ponse que celui des
r�sistantes. Il est actuellement test� dans plusieurs pays d'Afrique, dont
le Kenya. Il faudra encore de longues ann�es pour conna�tre les r�sultats
concernant son efficacit�. Le vaccin d�clenchera-t-il une r�action
immunitaire suffisante pour contrer le virus ? Une question qui a son
importance pour les milliers de volontaires qui participeront � la troisi�me
phase de tests, sur l'homme.

L'Afrique ne serait-elle pas, une fois de plus, le terrain
d'exp�rimentations des scientifiques occidentaux ? Le docteur Omu Anzala,
responsable de la Kenya Aids Vaccine Initiative (KAVI), qui m�ne le
programme de tests au Kenya, r�pond par la n�gative : � L'Afrique est le
continent le plus concern� par le VIH. Au Kenya, 13 % � 15 % de la
population est s�ropositive. Sept cents personnes en meurent
quotidiennement. La seule solution est de trouver un vaccin. Pour les
m�dicaments antir�troviraux, nous sommes rest�s assis � attendre que
quelqu'un nous aide.
R�sultat : ils ne sont toujours pas accessibles. Mais si nous participons �
la d�couverte et � l'�laboration du vaccin, alors nous avons l'espoir que
tous les Africains puissent un jour y avoir acc�s. � Ce projet k�nyan, dont
la deuxi�me phase de tests a demand� des investissements colossaux, est loin
d'�tre le seul. La concurrence est rude et les scientifiques se livrent
entre eux une v�ritable course.

La clinique des prostitu�es du bidonville de Majengo, elle, vivote. Ces
femmes sont � la base des recherches sur le vaccin antisida ; pourtant,
pour elles, rien n'a chang�. Les voisins continuent � les m�priser. Rose
Mary, s�ropositive depuis pr�s de vingt ans et patiente de la clinique,
dresse un bilan amer de ces recherches. � Je me demande ce qu'il adviendra
de celles qui, comme moi, sont d�j� s�ropositives, car personne ne nous
sauvera, nous ! � Nancy, l'une des r�sistantes, esp�re mettre suffisamment
d'argent de c�t� pour ouvrir un salon de coiffure. � Je d�teste ce que je
fais. Et puis, je suis trop vieille maintenant, je suis fatigu�e. Je n'ai
plus envie de passer mes nuits en ville. � L'origine de sa r�sistance reste
pour elle un myst�re : � Pourquoi moi ? Je n'ai pas �t� plus m�ritante que
mes amies qui sont mortes du sida. � Elle remercie Dieu pour cette chance,
mais attend autre chose de la vie.
Apr�s avoir �t� des objets pour les hommes, des sujets d'�tude pour les
scientifiques, une curiosit� pour les journalistes, les r�sistantes de
Nairobi continuent de vivre dans des conditions d�plorables. Le vaccin, s'il
existe un jour, sauvera peut-�tre des vies, mais n'aura pas am�lior� la
leur.

Kar�ne Bassompierre
Laur�ate de la bourse Jeune reporter de l'Union des clubs de la presse de
France et francophone

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