Intellectual Property Watch
25 February 2008
LInde envisage de délivrer des licences obligatoires pour lexportation de
médicaments
Posted by Catherine Saez @ 5:46 pm
http://www.ip-watch.org/weblog/index.php?p=937
Par Tatum Anderson pour Intellectual Property Watch
Lors dune audience prévue la dernière semaine de février, le gouvernement
indien va se pencher sur la question de savoir sil doit permettre que les
médicaments brevetés puissent être fabriqués et exportés sans le
consentement des détenteurs de brevets.
Sil décide de le faire, ce sera la première fois quune telle autorisation
est accordée en Inde et seulement la deuxième fois dans le monde. Cette
décision risque, par ailleurs, dêtre contestée par les entreprises
pharmaceutiques détentrices de brevets.
Laudience a été organisée suite à la demande déposée en septembre de
lannée dernière par Natco, une entreprise de médicaments génériques basée à
Hyderabad, auprès de lautorité indienne de contrôle des brevets afin
quelle lautorise à fabriquer deux médicaments destinés à être exporter au
Népal.
Une incertitude demeure sur la question de savoir si le gouvernement prendra
sa décision lors de cette audience. Selon un porte-parole de Natco : «
Lautorité de contrôle [des brevets] a le pouvoir discrétionnaire daccorder
ou non cette autorisation. Aucun délai spécifique na été fixé au
gouvernement pour quil prenne sa décision.
Lun des médicament, appelé Erlotinib, a été breveté lannée dernière en
Inde par lentreprise suisse Roche sous la marque Tarceva. Lutilisation de
ce médicament destiné à lutter contre le cancer des poumons a été approuvée
dans 87 pays. Lautre médicament, appelé Sunitinib, également destiné à
traiter le cancer du poumon, est vendu par le fabricant américain Pfizer
sous la marque Sutent.
Natco a demandé, en particulier, à bénéficier dune licence obligatoire, un
instrument juridique reconnu dans lAccord de lOrganisation mondiale du
commerce (OMC) sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui
touchent au commerce (ADPIC).
Aucune mention précise nest faite dans lAccord des cas dans lesquels les
pays membres peuvent recourir à cette disposition, le mécanisme des licences
obligatoires étant lune des flexibilités accordées aux gouvernements.
Si une licence obligatoire est accordée au titre de lurgence nationale ou
dune situation dextrême urgence, lentreprise qui la demande na pas
lobligation de négocier une licence volontaire avec le détenteur du brevet.
La demande présentée par Natco a ceci de particulier quelle invoque
lapplication de règles nouvelles par rapport à celles adoptées relativement
récemment dans le cadre de lADPIC.
Avant 2003, les licences obligatoires ne pouvaient être accordées quaux
médicaments dont la production était principalement destinée au marché
intérieur, donnant ainsi la possibilité à un pays dautoriser la fabrication
au niveau national de copies de médicaments brevetés destinées à la
population locale. Toutefois, si le mécanisme des licences obligatoires
pouvait permettre, en théorie, à de nombreux pays, daccéder rapidement à
des médicaments, il nen a rien été pour certains des pays les plus pauvres,
qui ne disposent pas dentreprises capables de fabriquer ces médicaments au
niveau national.
En 2001, la Conférence ministérielle de Doha a décidé de modifier lAccord
sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au
commerce pour faire en sorte que les pays qui ne sont pas en mesure de
fabriquer des produits pharmaceutiques puissent se procurer ailleurs des
copies moins chères en cas de besoins. Un addendum à lAccord a été adopté
en août 2003 par le Conseil général de lOMC, qui a entériné la possibilité
dexporter des copies génériques fabriquées sous licence obligatoire vers
des pays où la capacité de fabrication est inexistante ou insuffisante. En
décembre 2005, les membres de lOMC ont approuvé un amendement définitif,
qui doit être ratifié par les deux tiers des membres dici 2009 pour entrer
en vigueur.
LInde a transposé cette disposition dans sa législation, modifiant la loi
sur les brevets qui a été publié au Recueil des lois en 2005. En vertu de la
section 92A de cette loi, les entreprises peuvent demander à bénéficier
dune licence obligatoire pour exporter des copies de médicaments brevetés
vers les pays qui en font la demande. Dautres conditions définies par lOMC
doivent également être respectées tant par le pays importateur que par le
pays exportateur pour que cette disposition soit applicable (par exemple,
lentreprise exportatrice doit également bénéficier dune licence
obligatoire dans le pays importateur).
La demande présentée par Natco est importante dans la mesure où, si elle
aboutit, ce sera la première fois quune entreprise invoque lapplication de
la section 92A de la loi et la deuxième fois seulement, depuis 2003, que la
disposition de lADPIC relative aux licences obligatoires est utilisée par
lun des pays membres, beaucoup considérant la condition posée pour pouvoir
exporter les copies de médicaments comme trop contraignante.
Les premières licences obligatoires dexportation ont été accordées par le
Canada et le Rwanda. Elles ont permis à lentreprise canadienne Apotex de
fabriquer et dexporter vers le Rwanda des copies du TriAvir, un médicament
de trithérapie utilisé dans le traitement du sida dont le brevet est détenu
par GlaxoSmithKline.
Bien quil nexiste aucun indice concernant la décision qui sera prise par
le gouvernement indien, loctroi dune licence pourrait ouvrir la voie à de
nombreuses autres demandes.
Il semblerait, en effet, selon certains observateurs, notamment Shamnad
Basheer, assistant de recherches au Oxford Intellectual Property Research
Centre (OIPRC) de lUniversité dOxford, que plusieurs autres fabricants
indiens observent la situation avec beaucoup dattention et sinterrogent
sur la possibilité de demander à bénéficier de ces licences.
« Comme on peut le voir, si loctroi dune licence obligatoire devait
savérer juridiquement et administrativement coûteux, les autres entreprises
pourraient renoncer à bénéficier de cette mesure, » a indiqué Shamnad
Basheer. « Par contre, si le processus doctroi de licence obligatoire est
simple et offre des perspectives de gains intéressantes, les grandes
entreprises pharmaceutiques ont du souci à se faire. »
La perspective de gains intéressants pour les pays les moins avancés nest
peut-être pas le seul objectif des entreprises de médicaments génériques.
La loi indienne relative aux brevets interdit loctroi de licences
obligatoires autorisant la fabrication de médicaments pour le marché
intérieur pendant les trois premières années de la délivrance dun brevet.
Au terme de ces trois années, loctroi de licences obligatoires est possible
et assorti de conditions qui sont parmi les moins restrictives du monde, à
déclaré Shamnad Basheer. Ainsi, une licence obligatoire peut, en théorie,
être accordée si le médicament concerné nest pas disponible en quantité
suffisante, sil est vendu à un prix raisonnable, sil nest pas fabriqué en
Inde ou sil était fabriqué par une entreprise de médicaments génériques
avant lentrée en vigueur de la loi.
De fait, les experts pensent que les fabricants de médicaments génériques
pourraient bien commencer à demander à bénéficier de licences obligatoires
pour leurs exportations de manière à renforcer suffisamment leur capacité de
production pour pouvoir couvrir les besoins potentiellement énormes du
marché intérieur. Il est vrai, néanmoins, que rien ne garantit que le
gouvernement indien accordera facilement ce type de licences.
Quoi quil en soit, la taille de ce marché potentiel reste difficile à
évaluer car la loi nest entrée en vigueur quen 2005 et nombre de brevets
délivrés en application de cette dernière ont moins de 3 ans.
Par définition, les entreprises de médicaments génériques pourront vendre
les médicaments fabriqués moins chers que les médicaments brevetés. Bien que
Roche ait refusé de commenter le prix de lErlotinib, des activistes indiens
de la santé publique estiment quil reste inabordable pour la plupart des
indiens. Or, les entreprises de médicaments génériques pourraient produire
le même médicament pour un coût bien inférieur, sans que lon sache encore
dans quelle proportion. Si les entreprises de médicaments génériques
contournent le droit des brevets et cassent le prix des médicaments, les
entreprises pharmaceutiques détenant les brevets estiment quelles ne seront
plus en mesure de couvrir les frais liés à la recherche et au développement
des médicaments et financer de nouvelles innovations. Elles considèrent, en
effet, les licences obligatoires comme une forme de vol de la propriété
intellectuelle.
Lorsquil est apparu clairement que la Thaïlande et le Brésil étaient
susceptibles de délivrer ce type de licences, quoiquuniquement pour des
produits destinés au marché intérieur, le secteur de lindustrie
pharmaceutique a crié à linjustice.
Billy Tauzin, président et CEO de la Pharmaceutical Research and
Manufacturers of America (PhRMA), qui représente les intérêts des plus
grandes entreprises mondiales de recherche pharmaceutique et de
biotechnologie, a indiqué dans une déclaration que: « la PhRMA est très
troublée par la tendance récente qui consiste à octroyer des licences
obligatoires sur les produits pharmaceutiques. Laccent qui est mis
actuellement, de manière erronée, sur la réduction à court terme des coûts
de la santé peut savérer très coûteux à long terme, en limitant
potentiellement les initiatives visant à favoriser la recherche et le
développement qui sont nécessaires pour améliorer lexistence de millions de
patients dans le monde.
On ne sait pas quelle sera la réaction de lindustrie si lInde délivre une
licence obligatoire. Lentreprise Roche, par exemple, a refusé dindiquer
quelles mesures elle envisageait de prendre. Pour lheure, elle est engagée
dans une action contre lentreprise indienne Cipla, qui a commencé à
fabriquer de lErlotinib pour le marché indien sans avoir déposé de demande
de licence obligatoire. Laction est toujours en cours.