[e-med] "L'institution qu'était l'Afssaps est finie", selon Dominique Maraninchi

Médicaments : "L’institution qu’était l’Afssaps est finie", selon Dominique
Maraninchi
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u-etait-l-afssaps-est-finie-selon-dominique-maraninchi_1620372_3224.html

LEMONDE | 19.12.11 | 10h46 • Mis à jour le 19.12.11 | 11h56

Nommé à la tête de l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de
santé (Afssaps), le 22 février, pour éteindre l'incendie allumé par le
scandale du Mediator, le professeur Dominique Maraninchi a voulu instaurer
des changements pour démontrer qu'il y avait une rupture avec la période
précédente. Il a aussi essuyé quelques polémiques sur la nomination en
interne d'une ancienne experte pour le laboratoire Servier ou sur la
démission d'experts d'un groupe de travail sur les anti-infectieux.

Le projet de loi relatif au renforcement de la sécurité sanitaire du
médicament et des produits de santé, rejeté par le Sénat, devait être
examiné en lecture définitive lundi 19 décembre dans la soirée par
l'Assemblée nationale, dans l'état où elle l'avait adopté et sans
possibilité d'amendement. L'occasion pour le directeur de la future Agence
nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) de
dresser un bilan de son action, près de dix mois après son arrivée.

Quel regard portez-vous sur les changements intervenus depuis votre arrivée
à la tête de l'Afssaps ?

Dominique Maraninchi : J'ai un regard positif. Il est possible de changer la
posture de l'Agence. Nous agissons pour la sécurité des patients au nom de
l'Etat et non pour la sécurité du commerce ou des produits. La claque reçue
avec le Mediator posait la question: pourquoi a-t-on laissé sur le marché un
médicament qui n'était pas bon ? C'est parce qu'on ne l'avait pas assez
regardé. Le travail moderne des agences de sécurité sanitaire n'est pas que
d'enregistrer un produit, mais de se demander si le produit fait du bien au
patient dans la vraie vie et de suivre le produit tout au long de sa vie.

Nous avons pu prendre de nombreuses décisions grâce à la mobilisation de
l'expertise interne et publique : ainsi, grâce à l'assurance-maladie, nous
avons obtenu rapidement des données imposant la suspension d'utilisation de
l'antidiabétique Actos (pioglitazone), qui accroît le risque de cancer de la
vessie.

Les réunions de commissions sont à présents filmées puis mises en ligne, les
opinions contradictoires sont mentionnées, les ordres du jour sont publics.
Le personnel a fait ce virage : il est très engagé, malgré la tension, et
impatient de changements.

Le projet de loi du gouvernement relatif au renforcement de la sécurité
sanitaire du médicament et des produits de santé met l'accent sur la lutte
contre les conflits d'intérêts. Qu'avez-vous déjà fait en pratique ?

Nous avons adopté des règles déontologiques exigeantes : pas de conflits
d'intérêts des experts avec l'industrie pharmaceutique. Il doit exister une
barrière totale entre le régulateur et l'industrie. Aucun doute ne doit être
permis.

Quand l'Agence prend une décision, elle prend en compte l'existence
d'éventuels liens d'intérêts. Les experts remplissaient des déclarations
d'intérêts, mais l'important est de se servir de ces déclarations pour
s'assurer que la décision que prendra une commission ne soit pas entachée
par le doute. Il pouvait encore arriver que certains participants ne
sortent pas lors de la discussion sur un produit pour lequel existait un
lien d'intérêt. Ce n'est plus acceptable.

Votre refus d'endosser comme une recommandation de l'Agence le rapport du
groupe de travail sur les anti-infectieux en raison de l'existence de liens
d'intérêts a provoqué la démission collective d'une bonne partie de ses
membres, qui vous accusent d'avoir anticipé sur les règles que fixera la
nouvelle loi…

Cette crispation des experts ne se produit pas par hasard, alors que nous
traversons une période de transition. Il est sûr que les choses vont changer
et se moderniser.
Ces experts voulaient démissionner dès le mois d'avril, estimant qu'ils
étaient montrés du doigt ou traînés dans la boue. Ce groupe de travail
comprend 40 personnes : certains restent et sont très engagés pour répondre
aux questions posées par l'Agence sur les produits évalués et sans liens
d'intérêts.

En effet, s'il existe des conflits d'intérêts pour certains participants à
une recommandation de l'Agence, la décision sera annulée, comme l'a montré
la décision récente du Conseil d'Etat sur une recommandation de la Haute
Autorité de santé sur le diabète. Nous appliquons les règles anciennes et
nous nous préparons aux règles à venir.

L'argument "on ne trouve pas de bons experts sans aucun lien avec
l'industrie pharmaceutique" est souvent utilisé contre les positions
radicales sur les conflits d'intérêts. Aurez-vous du mal à trouver des
experts externes dénués de tels liens ?

Ce sera peut-être plus long mais nous y parviendrons en restant simples. Les
experts qui touchent beaucoup d'argent de l'industrie pharmaceutique feront
mieux de continuer à travailler pour elle. Les experts qui n'ont que des
liens mineurs, voire dérisoires devraient y renoncer sans grande difficulté
pendant la période où ils travailleraient comme experts externes pour
l'Agence.

Les leaders américains payent à présent leur venue aux congrès de leur
discipline sur les financements publics qu'ils reçoivent pour leur équipe.
Il est donc nécessaire de donner aux experts travaillant pour l'Agence les
moyens de faire plus de recherche publique indépendante, y compris pour
présenter leurs travaux aux congrès importants.

Est-ce à dire que vous vous priverez du concours d'experts qui servent de
référents à l'industrie pharmaceutique ?

Non. Nous pouvons les auditionner, leur poser des questions précises sur un
aspect d'un dossier, mais ils ne feront pas partie d'un groupe de travail
qui aide à la prise de décision et ne participeront pas à la discussion
générale. Nous pouvons auditionner les experts salariés d'un laboratoire
pharmaceutique et nous leur posons régulièrement des questions auxquelles
les firmes doivent répondre.

Il ne doit y avoir aucun doute sur l'indépendance des décisions de l'Agence
et lorsqu'il existe un doute sur un médicament, il doit profiter au patient;
c'est la feuille de route que m'a donnée le ministre pour l'Agence.

La désignation parmi les "préfigurateurs" des futures directions de l'Agence
d'une cadre qui avait travaillé pour le laboratoire Servier a déclenché une
polémique qui vous a amené à revenir sur cette nomination. Quelle leçon en
avez-vous tirée ?

Qu'on ne peut pas faire les choses à moitié. J'ai présenté le 14 décembre au
conseil d'administration les règles de sélection pour les recrutements : la
déontologie, la compétence, les capacités managériales. La déontologie
impose qu'il n'y ait aucun lien d'intérêt, qu'il soit personnel ou familial.
Je suis sûr que nous aurons des candidats qui répondront à nos appels
d'offres qui seront publics.

Je ne veux pas jeter les candidats en pâture. Il est sain qu'il n'y ait
aucun flou dans les règles de gestion de l'Agence. J'ai aussi indiqué que
les deux conseillers scientifiques auprès de mon prédécesseur ne seraient
plus en poste à l'issue de la fin de leur contrat.

L'Agence est-elle en état de bien fonctionner ?

Oui. Mais nous devons rapidement renforcer l'expertise interne indépendante
: le ministre et le législateur nous en ont donné les moyens et nous avons
maintenant des règles claires de sélection. Nous avons déjà entrepris la
réévaluation de la pharmacopée d'avant 2005. En 2012, le rapport
bénéfice/risque de centaines de médicaments sera ainsi analysé. Nous allons
embaucher une équipe consacrée au soutien de cette tâche. Nous utilisons un
algorithme pour repérer, parmi les 5 000 médicaments autorisés, les classes
présentant des risques justifiant un examen en priorité.

La crise que nous traversons actuellement est une crise institutionnelle et
non plus une crise morale ou de sécurité sanitaire, comme au moment où le
scandale du Mediator a éclaté. L'institution qu'était l'Afssaps est finie et
celle à venir n'est pas encore complètement installée. C'est naturellement
source de tensions internes, mais il nous fallait répondre en priorité à ce
que l'on attend de nous, comme avec l'alerte générale que nous avons lancée
à propos des implants mammaires de la marque PIP.

Propos recueillis par Paul Benkimoun et Laetitia Clavreul