[e-med] Médicaments, l'évaluation médico-économique s'installe en France

(Comment mieux maitriser les prix des médicaments? Quelques pistes
intéressantes pour vos pays ? CB)

Médicaments, l¹évaluation médico-économique s¹installe en France
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La médico-économie vient de faire son entrée parmi les paramètres de
fixation des prix des médicaments. Objectif recherché : réguler le prix
par l'efficience. En pratique, aura-t-elle un véritable poids dans la
négociation des prix ? En tout état de cause, cet impact à l¹étranger se
serait révélé mineur.

Depuis le 3 octobre 2013, les critères d¹évaluation des prix des
médicaments ont changé en France. Désormais, la Commission d'évaluation
économique et de santé publique (CEESP) de la HAS prend un rôle
d¹évaluateur médico-économique pour toute nouvelle inscription ou demande
de renouvellement des produits de santé, conformément au décret du 2
octobre 2012 relatif à la loi de financement de la Sécurité sociale 2012.
« La France abandonne une position assez isolée pour rejoindre une
tendance mondiale qui place la médico-économie au c¦ur des décisions de
remboursement ou de fixation des prix », explique Robert Launois,
directeur scientifique de Rees France (Réseau d¹évaluation en économie de
la santé).

La CEESP assurera ce travail sur la base d¹un dossier soumis par
l¹industriel. Son évaluation sera conduite simultanément à celle du SMR
(service médical rendu) et de l¹ASMR (amélioration du service médical
rendu) faite par la Commission de transparence (CT), évitant de ce fait un
allongement du délai avant son entrée sur le marché. La CEESP remettra
ensuite un avis d¹efficience finalisé dont la conclusion constituera un
nouveau paramètre de négociation entre le Comité économique des produits
de santé (CESP) et l¹industriel, au même titre que les volumes de vente,
l¹ASMR, et le prix des comparateurs. La procédure CEESP-CT puis CEPS doit
durer au maximum 180 jours.

Restrictions

Depuis la date d¹entrée en vigueur de cette nouvelle mission, la CEESP a
reçu trois dossiers seulement. Car l¹évaluation médico-économique qu¹elle
doit conduire n¹est pas exhaustive : « Le législateur a souhaité
restreindre l¹obligation de cette évaluation aux médicaments pour lesquels
l¹industriel revendique un ASMR important et qui sont susceptibles d¹avoir
un impact significatif sur les dépenses de l¹assurance maladie », explique
Catherine Rumeau-Pichon, adjointe à la direction de l'évaluation médicale,
économique et de santé publique. En clair, ceux revendiquant d¹un ASMR I à
III et dont le chiffre d'affaires prévisionnel est de 20 millions d¹euros
TTC annuels après deux années de commercialisation. D¹autres, dont
l¹impact financier serait inférieur, pourront avoir malgré tout
l¹obligation de déposer un tel dossier si des éléments suggèrent un impact
potentiel sur l¹organisation des soins, les pratiques professionnelles ou
les modes de prise en charge des malades.

Cette restriction limitera-t-elle la portée de la réforme ? « On peut
regretter de ne pas voir intégrer les ASMR IV dont le prix mériterait
d¹être discuté », réagit Francis Fagnani, directeur de Cemka Eval.
Catherine Rumeau-Pichon n¹exclut pas que le dispositif, que la CEESP rôde
depuis un an en concertation avec le CEPS et le Leem, soit ultérieurement
élargi. Mais pour l¹heure, une vingtaine de dossiers environ seront
éligibles chaque année à cette évaluation.

Schématiquement, l¹industriel déposera un dossier formalisé auprès de la
CEESP contenant notamment la méthodologie et les données sur lesquelles il
fonde la modélisation du rapport coût-efficacité attendu du produit de
santé. « L¹idée est de déterminer si le delta d¹efficacité apporté est en
rapport avec le delta de coût engendré », précise Lise Rochaix, présidente
de la Commission. Tous ces aspects seront évalués par la CEESP qui émettra
un avis sur l'efficience du nouveau médicament, c¹est-à-dire le delta
d¹efficacité rapporté au delta de coût par rapport aux stratégies
thérapeutiques existantes. L¹analyse prendra en compte à la fois les coûts
mais aussi les bénéfices attendus ou observés pour la santé et la qualité
de vie des personnes concernées. Lors de la primo-inscription,
l¹évaluation portera sur les données attendues. Lors de la réévaluation du
médicament, l¹évaluation visera à vérifier la validité de ce premier pari
sur les données en vie réelle.

La médico-économie à la française

« Notre modèle a été établi dans la concertation et revendique la nature
pluridisciplinaire de sa prise de décision. Il se veut pragmatique. Mais
nos avis reposeront sur des outils scientifiques internationaux, comme
les QALY, décrit Lise Rochaix. Cependant, nous ne fondons pas notre avis
sur des seuils de coût-utilité ou de coût-efficacité, mais sur
l¹expression d¹un niveau de confiance et d¹un niveau d¹incertitude dans
les données présentées par le laboratoire. Nous aurons donc matière à
considérer les données apportées comme conformes ou non, avec ou sans
réserves. Ce type de conclusion est très attendu par le CEPS. »

Mais pour certains observateurs, l¹articulation entre les deux structures
n¹est pas claire : alors que d¹autres pays s¹appuient sur une même
instance pour évaluer et négocier, l¹option de la France est de rester sur
deux instances distinctes. « Ce qui ne va pas clarifier la façon dont les
prix sont fixés en France, un système autour duquel il y a beaucoup
d¹incompréhension »,remarque Francis Fagnani. Quid de l¹efficacité ? On
peut se demander si le poids de la médico-économie sera suffisant dans la
décision, par rapport aux autres paramètres. Elle aura aussi un poids tout
relatif dans les premières années de commercialisation, dans la mesure où
le prix d¹un médicament à ASMR élevé est par définition fondé sur le
niveau des prix pratiqués dans d¹autres pays européens. Enfin, sans seuil
d¹efficacité défini, comment sera garantie la cohérence de l¹ensemble des
prix négociés avec la conclusion des avis d¹efficience ? « Le prix facial
des médicaments peut être très différent des prix après ristournes, qui
eux restent confidentiels », ajoute-t-il. « Nos évaluations apporteront
justement des arguments au CEPS pour discuter aussi de ces remises »,
insiste la présidente de la CEEPS.

Et le modèle a d¹autres vertus : la France conserve un cadre de décision à
la fois pragmatique et éthique. « En restant un paramètre parmi d¹autres,
la médico-économie ne règle pas la définition de l¹accès à un panier de
soins, comme l¹a fait le Royaume-Uni, mais seulement le niveau de prix, ce
qui est très différent philosophiquement et plus facile à assumer
collectivement et politiquement, explique Eric Baseilhac, directeur des
affaires économiques du Leem. « L¹analyse coût-efficacité doit rester un
paramètre parmi d¹autres, assure Lise Rochaix, distinct mais
complémentaire de l¹évaluation médico-technique. Il permettra certainement
in fine de faciliter le travail de mémoire et la lisibilité des décisions
du CEPS. » Il faut maintenant attendre les premiers avis qui seront rendus
pour se faire une idée.

Beaucoup de bruit pour rien ?

Alors que la médico-économie fait couler beaucoup d¹encre depuis plusieurs
années, un récent rapport de l¹OCDE apporte l¹occasion d¹en relativiser la
portée. Intitulé Value in Pharmaceutical Pricing1, le document compare
comment quatorze pays de l¹OCDE utilisent la valeur ajoutée des
médicaments dans la fixation du prix ou du taux de remboursement. Et la
conclusion surprend : « La comparaison entre pays ayant ou non recours à
la médico-économie ne met en évidence aucune vraie différence sur les
niveaux de prix apportés par l¹innovation », décrit Valérie Paris,
coauteure de ce rapport. En clair, pas de différence notable entre pays à
prix libres, négociés, avec ou sans évaluation de l¹efficience. « Même
ceux qui intègrent des paramètres sociétaux dans leurs évaluations, comme
les pays nordiques, ne se distinguent pas au plan international,
explique-t-elle. On a le sentiment qu¹il y a un prix international du
médicament, et que son infléchissement par la médico-économie se fait à la
marge. » En revanche, les pays ayant intégré la médico-économie dans leur
mode de fonctionnement semblent plus stricts lorsque le niveau
d¹incertitude qui accompagne les données d¹évaluation est trop important.
Ils penchent alors plus facilement vers un refus de remboursement.

Pour Lise Rochaix, ces conclusions sont trop hâtives : « Le modèle que
nous avons choisi est peu représenté au niveau international : il est bien
moins fréquent d¹utiliser la médico-économie pour déterminer les prix,
comme nous le faisons, que pour déterminer le taux de remboursement.
Conclure à l¹inutilité de ces évaluations, c¹est passer à côté des
dimensions de visibilité et de transparence dans la fixation des prix qui
n¹existaient pas jusqu¹à présent. D¹ici cinq ans, les premiers avis
d¹efficience en réévaluation seront disponibles : j¹invite tous les
observateurs à se pencher sur l¹évolution des prix sur données de vie
réelle par rapport au pari fait lors de la primo-inscription. »

Rapprochement instances-industriels

Pour les industriels, la gymnastique est délicate : s¹ils n¹ont qu¹une
administration interlocutrice pour mettre leur médicament sur le marché
européen, ils en rencontrent 27 pour ce qui est des modalités de
commercialisation. Le mécanisme européen est lourd et il se complexifie
régulièrement, d¹autant que les exigences sont souvent révisées. « Les
industriels doivent s¹adapter et le rapprochement avec les tutelles est à
la fois de plus en plus indispensable et formalisé, ajoute le représentant
du Leem. Cela nous permet d¹avoir suffisamment de prédictibilité. Reste
que la stabilité nous serait aussi nécessaire. » En matière d¹efficience,
des avis précoces pourront être sollicités par l¹industriel auprès du CEPS
pour déterminer le modèle et les données cliniques et économiques les plus
pertinentes à recueillir.

Finalement, si la tendance à utiliser la médico-économie pour orienter ces
dépenses de santé s¹est largement développée au niveau international, elle
reste clairement pondérée par d¹autres facteurs, pas toujours
identifiables. Robert Launois explique : « Le poids de l¹évaluation du
médicament en vie réelle par rapport aux essais randomisés plus
³théoriques² est de plus en plus important à bon escient. » En attendant,
seule évidence relative au modèle actuel : « L¹analyse des prix montre que
les pays de l¹OCDE sont en général prêts à payer plus pour des maladies
rares ou pour les maladies cancéreuses », précise Valérie Paris. Si le
poids de l¹efficience dans la négociation des prix de médicaments peu
innovants ne semble pas si évident, celui de l¹éthique reste encore le
facteur le plus influent.

1. Consultable gratuitement sur www.oecd-ilibrary.org
Information du 09.01.14 17:28