Pr Laurent Bélec, virologue : " Le Cameroun est un exemple à suivre "
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Le Messager (Douala)
INTERVIEW
20 Avril 2005
Publié sur le web le 20 Avril 2005
Par Réalisé par Souley ONOHIOLO
En quoi peut consister une séance de monitoring biologique de l'infection à
Vih en Afrique et pourquoi des exercices d'application à la prévention et à
la gestion de l'échec thérapeutique ?
A chaque fois qu'on traite un malade par les médicaments antirétroviraux, il
y a un risque que le traitement antirétroviral ne fonctionne pas. Ce risque,
on l'évalue entre un quart ou un tiers des malades. Pour gérer ce risque-là,
on est obligé d'avoir une attitude médicale vigilante, avec une
investigation clinique systématique, avec la nécessité de maintenir ce qu'on
appelle une observance au traitement antirétroviral, et surtout avec
l'utilisation de marqueurs biologiques. En particulier, la mesure du taux de
lymphocytes de CD4, également dans certains cas la mesure de la charge
virale.
Quels sont à cet effet les grandes notions et les différents contours
explorés durant ces exercices d'application ?
La première notion, c'est que pour traiter les gens, il y a une attitude
médicale et une attitude de santé publique. Dans le cadre de l'attitude de
santé publique, on traite le plus de gens possible, avec des traitements
simplifiés, sans faire beaucoup appel à la biologie ; alors que dans
l'attitude médicale, on fait un traitement très rapproché avec des visites
médicales, et des examens biologiques, dont certains sont très onéreux. Et
comme on ne peut pas traiter tout le monde, très souvent on a tendance à
privilégier l'approche de santé publique à celle de santé médicale. Dans un
pays comme le Cameroun par exemple, il faut évidemment une approche de santé
publique pour traiter le plus de monde. Mais il faut également qu'il y ait
des laboratoires de référence, des centres de traitement de référence, pour
pouvoir en plus gérer et prévenir les problèmes d'échec thérapeutique.
La deuxième chose, c'est que j'ai surtout fait un exposé de biologie, car la
biologie est assez mal connue des cliniciens. Ils ont trouvé l'exposé très
intéressant, parce qu'on parle peu des marqueurs biologiques, des tests
rapides pour le dépistage, des techniques dites alternatives pour la mesure
de lymphocytes du CD4, des techniques de charge virale dites encore
alternatives Tous ces marqueurs évoluent énormément, et l'Oms depuis
décembre 2004 est entrain d'établir des recommandations internationales pour
essayer d'introduire à la fois : la formation de biologiste dans les pays du
Sud, également des critères opérationnels d'utilisation des marqueurs
biologiques. Parmi ces critères, il y a probablement 15 à 20 % des malades
sous traitement depuis 6 mois à un an. Ils devraient bénéficier d'une
exploration biologique plus approfondie.
Quelle différence faites-vous entre le Vih1 et celui du type 2 ?
Ce sont deux génotypes différents. Ce sont donc deux virus très différents.
C'est-à-dire que le Vih I et le Vih II n'ont que 60 % d'homologie entre eux,
et 40 % de différence. Donc ce sont deux êtres virologiques qui sont très
différents. La variation du taux de CD4 entre les deux infections est très
différente. En particulier au cours d'une infection par le Vih de type I, on
assiste à un effondrement de CD4, beaucoup plus rapide qu'au cours de
l'infection par le Vih de type II. Le Vih de type II donne certes le Sida,
mais l'incubation de la maladie dure de 18 à 20 ans, alors qu'elle ne dure
que de 10 à 11 ans pour le Vih de type I. Il y a donc des différences
majeures entre les deux types de virus.
Qu'est-ce qui engendre le peu de fiabilité au niveau des résultats des tests
?
Il y a eu des erreurs de laboratoire d'une part, ça existe. C'est pour cela
qu'on recommande et c'est absolument formel, que tout individu déclaré
séropositif doit être confirmé par un deuxième prélèvement indépendant,
utilisant des réactifs différents. On ne déclare pas quelqu'un séropositif
si on n'a pas vérifié au moins une fois. Cela évite les erreurs
d'appréciation. Si on est deux fois trouvé séropositif avec des tests
différents, on l'est forcément. Il y a souvent en Afrique centrale, des
problèmes de sérum considéré comme difficile sur le plan biologique, parce
qu'il y a des réactivités creusées. C'est-à-dire que par exemple, quand on
fait un accès palustre, on peut avoir des fausses positivités en Vih et
qu'en ce moment-là, le travail de biologiste consiste à confirmer ou à
infirmer cette positivité par un 2ème test, au lieu de parler d'un test
faussement positif. Il faut donc savoir interpréter le test. C'est pour
cette raison qu'en amont de tout il y a une urgence à insister sur la
formation des biologistes.
Au cours de la séance de monitoring biologique, on a surtout insisté sur la
nécessité de choix du médicament le plus puissant, le plus efficace en
première ligne du traitement.
En première ligne du traitement, cela dépend du stade de la maladie. Si on
n'est pas trop atteint, il y a des régimes simples qu'on peut utiliser et
qui donnent des succès francs. Maintenant, si on est très avancé dans la
maladie, il faut probablement utiliser une caste thérapeutique qu'on appelle
les anti-protéases parce qu'à ce moment-là, il est question d'un traitement
antirétroviral majeur. Donc le clinicien, en fonction du stade de la
maladie, du taux de lymphocytes en CD4, sait s'il doit utiliser un
traitement allégé ou un traitement extrêmement puissant. Les antirétroviraux
sont bien connus ; il y a en gros deux classes : les analogues nucléidiques
comme l'Azt, la nevirapine, les farvirinces et bien d'autres. Il y a donc
deux grandes classes thérapeutiques en fait.
Etes-vous au courant des essais sur le Ténofovir qui ont défrayé la
chronique il y a quelque temps au Cameroun ?
Oui. On a été au courant de ce qui se disait sur le Ténofovir. Le Ténofovir
a un rationnel scientifique extrêmement fort, qui est celui de la chimio-
prophylaxie contre l'acquisition hétéro- sexuelle de l'infection par le vih
chez la femme. Personnellement, je pense que c'est un bon essai ; parce
qu'on a peu de moyens de prévention contre le Sida, chez les femmes à risque
en particulier, et surtout que c'est la femme qui s'infecte le plus et
transmet le plus. Il faut absolument prévenir le sida chez la femme ; on
sait que les barrières physiques, les préservatifs fonctionnent mais sont
sous-utilisés. Il n'y a pas de vaccin prophylactique ; donc la
chimioprophylaxie c'est une voie de recherche, il n'y a pas encore de
microbicide, c'est évident et sur ce qu'il faut faire des essais de ce type
; c'est urgent. Savez-vous qu'il y a une femme qui s'infecte toutes les huit
secondes en Afrique ? On ne peut pas dire que ces essais ne sont pas
inintéressants, au moment où la communauté scientifique attend les
résultats.
Ces essais se font-ils dans la norme et respectent-ils le protocole
scientifique classique ? Les résultats qui en sortent sont-ils susceptibles
d'être homologués ?
J'avoue qu'à ce niveau-là, il y a eu des critiques pour et contre. N'ayant
pas lu exactement le protocole, je ne suis pas à même de répondre de manière
détaillée. Vu de loin, de l'extérieur, ce n'est pas un mauvais protocole. Le
Ténofovir est une molécule très puissante, qui a une demi-vie
intracellulaire longue. Et par conséquent, le Ténofovir protège pendant très
longtemps. C'est donc une molécule très intéressante. En plus, c'est une
molécule qui est très active contre le virus à l'hépatite B, et dont
potentiellement très intéressante, mais qui est encore très chère. Sa durée
de vie est de 50 heures. Un comprimé reste donc 50 heures dans le corps.
Le virologue que vous êtes peut-il se pencher sur les différentes mutations
du Vih :Sida en Afrique Sub saharienne ?
C'est un vrai problème. Il y a des observatoires de surveillance des
suggéras résistantes qui circulent ; j'avoue qu'il n'y a pas encore beaucoup
de résultats publiés. Mais on sait que dans des corps thérapeutiques
ponctuels, avec un petit nombre de malades, il y a des suggéras résistantes
qui commencent à s'accumuler. C'est la partie inhérente du traitement. Le
traitement antirétroviral fait une pression de sélection, donc forcément va
non pas créer, mais va sélectionner des variantes, c'est-à-dire des suggéras
résistantes aux antirétroviraux. C'est la partie inhérente du traitement.
Comme il y a de la résistance aux antibiotiques, qui s'est accrue, il y aura
aussi de la résistance aux antirétroviraux. Et c'est pour cela qu'il faut
être vigilant sur le traitement antirétroviral.
On parle de plusieurs souches et sous-souches dans les deux types de Vih. La
communauté scientifique camerounaise est-elle éclairée sur le sujet.
Si vous parlez du Vih de type II, il est plus présent en Afrique de l'Ouest.
Pour le Vih de type I, il y a effectivement plusieurs sous-types. Il y en a
neuf qui ont été identifiés et sont connus. Et des formes recombinantes
circulantes. Il y a également des sous-types complexes et borderline qui
sont des sous-types O ou N. C'est des sous-types rares, qu'on trouve surtout
en Afrique centrale et en particulier au Cameroun.
En échangeant avec les spécialistes camerounais, pensez-vous qu'ils ont fait
des progrès dans la lutte contre la maladie ?
Le Cameroun, en matière de lutte et de bien d'autres aspects est finalement
un exemple à suivre dans toute la sous-région, en Afrique centrale. Cela se
vérifie par le nombre des malades traités d'abord, par le nombre des centres
de traitement agréés pour le traitement, par les moyens qui ont été mis en
oeuvre quand même, même s'il y a encore notamment dans la biologie, des
efforts à faire et des éléments à consolider. Le Cameroun a aussi pris une
longueur d'avance sur les autres par les choix thérapeutiques qui sont
corrects, et puis par les publications internationales de certaines études
pilotes qui ont été faites à l'intérieur du pays et qui ont été bien
publiées. Le Cameroun garde aussi sa longueur d'avance par la volonté des
autorités camerounaises, d'intégrer de la recherche opérationnelle dans les
stratégies, les orientations et les problèmes de santé publique. Ce n'est
pas parfait soit, mais par rapport à la situation d'il y a dix ans, où il
n'y avait pas quasiment de traitement, ou on disait que c'était utopique,
beaucoup de chemin a été parcouru dans ce pays. Quand on voyage dans toute
l'Afrique centrale et les pays limitrophes, il est clair que le pays qui
s'en sort le mieux, sans que cela soit trop parfait, c'est le Cameroun.