Sida et tuberculose, cocktail fatal
JEAN-MICHEL BADER.
Publié le 02 novembre 2007
Actualisé le 02 novembre 2007 : 07h46
http://www.lefigaro.fr/sciences/20071102.FIG000000014_le_vih_et_la_tuberculo
se_allies_mortels.html
L'OMS se mobilise pour lutter contre des cas de coïnfection, de plus en plus
nombreux.
SUR LES 8,8 MILLIONS de personnes estimées atteintes d'une infection par la
tuberculose, l'Organisation mondiale de la santé (OMS) note que 1,6 million
de ces sujets décéderont dans l'année. Parmi ces morts, il y aurait quelque
195 000 personnes ayant une coïnfection avec le virus du sida.
Une réunion de l'Agence nationale de recherches sur le sida (ANRS), de la
Fondation Gates, des National Institutes of Health et de l'OMS s'est tenue
en juillet 2007 à Sydney pour accélérer la détection et la lutte contre la
première cause d'infection opportuniste chez les sidéens sous traitement
antirétroviral. C'est également la première cause de mort chez les patients
infectés par le VIH.
Plus de 50 % des nouveaux cas de tuberculose observés en Afrique de l'Ouest
et de l'Est sont désormais aussi des malades du sida. Une épidémie
particulière de tuberculose ultrarésistante (TBUR) à quatre des
antibiotiques antituberculeux majeurs fait aujourd'hui irruption sur le
continent africain. Une bouffée épidémique à l'hôpital de Tugela Ferry, au
Kwazulu-Natal en Afrique du Sud en 2006 a touché 53 malades, dont 52 sont
morts. Tous étaient infectés par le VIH et tous avaient un bacille
tuberculeux résistant à six antituberculeux majeurs ! « La moitié des
malades à Tugela Ferry n'avait jamais pris de traitements contre la
tuberculose auparavant, confirme le professeur Willem Sturm, de la faculté
de médecine de l'université du Kwazulu-Natal. Un tiers n'avait même jamais
été hospitalisé : ils ont donc été contaminés dans leur communauté par une
personne déjà infectée, qui a toussé ou respiré près d'eux dans un lieu
confiné. »
Par la suite, la souche ultrarésistante a été détectée dans 28 des 50
hôpitaux et cliniques du Kwazulu-Natal. Depuis, on a comptabilisé 450 cas de
tuberculose multirésistante à Tugela Ferry, dont 55 % (une proportion énorme
selon les spécialistes) ont une variété ultrarésistante.
Monopole de laboratoire
Lors de la réunion de Sydney, l'exemple de Western Cape Town (Afrique du
Sud) a été donné. Entre 1996 et 2004, dans ce ghetto de 13 000 habitants, le
dispensaire local a vu multiplier par six le nombre de cas de tuberculoses
annuelles, particulièrement difficiles à diagnostiquer. Plus de la moitié
des malades ont une tuberculose extrapulmonaire. Ce ne sont pas des «
cracheurs de bacille de Koch » : or, dans les pays démunis, c'est surtout
l'examen direct au microscope des crachats qui permet de diagnostiquer la
présence du bacille tuberculeux.
La proportion de malades obligés de suivre un second traitement (après
l'échec du premier) a également augmenté de 3 à 24 %. Il faut dire que les
traitements antituberculeux sont longs (24 mois au minimum), comportent
souvent 13 comprimés, un sachet, une injection tous les jours. Les arrêts,
abandons, traitements mal prescrits, sous-dosés, les ruptures de stock, sont
légion. Les industriels renâclent aussi à fournir des marchés réduits, à des
pays à faibles revenus, donc peu attractifs. Parfois un seul laboratoire est
en situation de monopole pour ces médicaments antituberculeux qui ont
jusqu'à quarante, voire cinquante ans ! Et les « génériqueurs » n'ont pas
non plus envahi le marché.
«La menace est là»
Pour le Forum for Collaborative HIV Research, un partenariat indépendant
entre fondations privées et agences officielles, « cette coépidémie
galopante est favorisée dans cette partie de l'Afrique par un manque de
connaissances, de recherches, de données, de ressources financières et des
systèmes de santé défaillants ».
La difficulté de traiter conjointement les deux maladies est immense dans ce
type d'environnement : la moitié des patients recevant au dispensaire local
un traitement antirétroviral contre le VIH avaient déjà reçu au moins un
traitement antituberculeux. Mais l'échec est patent, puisqu'un quart de ces
malades avaient toujours une maladie tuberculeuse active. Et l'épidémie
continue à flamber : un malade sur dix a été contaminé par le bacille de
Koch pendant sa première année de traitement anti-VIH.
« L'oeil du cyclone se trouve actuellement en Afrique subsaharienne où la
moitié des nouveaux cas de tuberculose est coïnfectée par le VIH, et où une
forme de la maladie résistante aux médicaments se propage insidieusement,
estime Veronica Miller, coauteur du rapport et directrice du Forum for
Collaborative HIV Research. Contrairement à la grippe aviaire, la menace
VIH-tuberculose au niveau mondial n'est nullement hypothétique. Elle existe,
elle est là. Mais la science et la coordination nécessaires pour l'arrêter
sont largement insuffisantes. »