[e-med] Sida : la bataille mondiale des médicaments

PANDÉMIE Les organisations non gouvernementales dénoncent l'accès
insuffisant des populations les plus touchées aux traitements
Sida : la bataille mondiale des médicaments
http://www.lefigaro.fr/sciences/20041201.FIG0063.html

C'est une hécatombe. Plus de vingt ans après le début de la pandémie de
sida, qui a déjà tué 23 millions de personnes dans le monde, 40 millions
d'adultes et d'enfants sont aujourd'hui infectés par le virus, dont les deux
tiers en Afrique subsaharienne (nos éditions du 24 novembre 2004). Alors
qu'est célébrée aujourd'hui la traditionnelle journée mondiale, les
organisations non gouvernementales critiquent la gestion des fonds gérés par
l'Onusida. A Paris, hier, des militants d'Act Up ont «dénoncé le mélange
d'inaction et d'hypocrisie du président de la République», après avoir
répandu du faux sang (à base de peinture rouge) sur les grilles du palais
présidentiel, action choc qui leur a valu d'être mis en garde à vue. Jacques
Chirac a proposé hier qu'«une fraction» de la taxe internationale pour le
développement, dont il est l'avocat, soit affectée au Fonds mondial contre
le sida.

Catherine Petitnicolas (Avec Eric de La Chesnais)
[01 décembre 2004]

C'est un «massacre par indifférence, voire par racisme», a dénoncé le
Canadien Stephen Lewis, l'envoyé spécial du secrétaire général des Nations
unies pour le sida en Afrique, dans un entretien à l'hebdomadaire allemand
Die Zeit. «L'Onusida a versé l'an dernier 4,3 milliards de dollars contre le
VIH et le sida alors que 200 milliards de dollars vont être dilapidés
jusqu'à la fin de l'année pour la guerre et la reconstruction en Irak»,
poursuit-il.

Cinq millions de malades au stade de sida avéré (par opposition au stade de
séropositivité) ont en effet un besoin urgent d'antirétroviraux pour ne pas
mourir à très court terme. Mais, pour l'instant, seuls 440 000 personnes
vivant dans des pays à faible revenu sont traitées. Et l'initiative de
l'Organisation mondiale de la santé (OMS) «Three by five» de mettre sous
traitement trois millions de patients dans les pays du Sud d'ici à 2005
semble bien compromise.

Pour Randall Tobias, ex-PDG du géant Eli Lilly, aujourd'hui à la tête du
Pepfar, le plan d'urgence américain pour l'aide contre le sida, «cet
objectif nous semble d'ores et déjà irréalisable. Notre but aujourd'hui,
c'est de pouvoir traiter deux millions de personnes d'ici à 2008», précise
l'«ambassadeur sida» des États-Unis, ajoutant que «le Pepfar va débloquer
des moyens financiers énormes, 15 milliards de dollars sur cinq ans, dont
2,4 milliards de dollars rien que pour cette année. Ce plan d'urgence va
fournir directement des traitements, des moyens de prévention et des soins
dans plus de cent pays, en se concentrant sur les quinze pays les plus
durement touchés».

Mais cette initiative est très contestée par de nombreuses organisations non
gouvernementales qui mettent en cause la croisade du Fonds américain plutôt
en faveur de l'abstinence sexuelle et des antirétroviraux des géants
pharmaceutiques que de la promotion du préservatif et des génériques. Pour
Médecins sans frontières, qui réussit à traiter aujourd'hui gratuitement 23
000 personnes avec des médicaments antirétroviraux dans vingt-sept pays,
«les États-Unis font pression pour réduire le budget du Fonds global contre
les pandémies (1) au profit d'accords bilatéraux privilégiant l'utilisation
de médicaments de marque. Par ailleurs, les grands laboratoires
pharmaceutiques multiplient les offensives pour restreindre la possibilité
de produire des versions génériques des antirétroviraux ou pour jeter le
discrédit sur celles déjà utilisées». Tout récemment, deux producteurs de
génériques indiens, Cipla et Ranbaxy, ont vu la certification de leurs
produits remise en cause par l'OMS pour non-conformité.

Certes, les grandes firmes ont développé des programmes «access» de prix
préférentiels dans une centaine de pays, mais leur mise en place est très
variable d'un pays à l'autre. La trithérapie la moins chère, sous forme de
générique, financée par la Fondation Clinton, revient à 140 dollars par an
et par malade. «Mais la simple distribution de médicaments ne suffit pas à
sauver des vies. Tout programme qui ne parvient pas à aider par tous les
moyens les patients à suivre très régulièrement leur traitement est voué à
l'échec», souligne Sebastian Weber, de MSF-Hollande au Nigeria. «Car trop
souvent les patients arrêtent d'acheter les médicaments faute d'argent, ou
bien se soignent à tour de rôle lorsqu'ils vivent en couple.»

Pour le Dr Elizabeth Szumilin de MSF, avec une expérience de trois ans de
recul dans la mise sous traitement des malades des pays du Sud, «il nous
semble indispensable de simplifier les prises en charge par rapport à ce qui
se fait dans nos pays industrialisés. Le fait de disposer de combinaisons de
trithérapies génériquées sous forme d'un seul comprimé matin et soir (et non
pas des prises multiples, NDLR), outre leur prix bas, facilite la prise
régulière du traitement et retarde ainsi l'apparition de résistances».

Enfin, la mise en application des accords de l'Organisation mondiale du
commerce, le 1er janvier prochain, devrait considérablement réduire l'accès
aux génériques pour les nouvelles molécules commercialisées après 2005 et
même pour celles développées après 1995. «L'accord du 30 août 2003, censé
contourner cette difficulté, va en fait se révéler inapplicable en raison de
sa complexité», estime MSF, pour qui ces accords vont poser d'énormes
difficultés d'approvisionnement en termes de nouveaux médicaments.

(1) Contre le sida, la tuberculose et le paludisme. Les Etats-Unis, l'Europe
et le reste du monde s'étaient engagés à fournir un «effort de guerre» de 10
milliards de dollars dans ce fonds créé en 2001 à l'initiative de l'ONU.