Sida: la propriété intellectuelle menace l'accès pour tous aux
traitements MEXICO, 5 août 2008 (AFP)
L'objectif des pays de l'Onu, la distribution gratuite pour tous des
traitements contre le sida dès 2010, est sérieusement mis en péril par les
règles sur la propriété intellectuelle, ou ADPIC, selon un chercheur en
économie de la santé.
"Agir partout maintenant" : c'est sur ce thème que se déroule depuis
dimanche à Mexico la 17ème conférence mondiale sur le sida, avec en toile
de fond la promesse de l'Onu, faite en 2006.
Lors de la séance inaugurale, dimanche, Pedro Cahn, président de la
société internationale du sida, a admis que le monde ne semblait pas prêt
à tenir cet engagement. Mais "on ne peut pas permettre que cela arrive",
"la victoire est encore à notre portée", assurait-il.
Rien n'est moins sûr, en dépit des sommes considérables -dix milliards de
dollars cette année- consacrées à la pandémie.
Selon le Pr Benjamin Coriat, chercheur en économie de la santé à l'Agence
française des recherches sur le sida (ANRS), les règles sur la propriété
intellectuelle menacent la réalisation de cet engagement.
"Depuis 2005, explique-t-il, le cadre légal s'est resserré en matière de
propriété intellectuelle". Les ADPIC (accords sur les aspects du droit de
la propriété intellectuelle), signés en 1994 dans le cadre de l'OMC,
sont devenus à cette date pleinement applicables.
Or ces accords rendent obligatoires les brevets pour les nouveaux
produits de santé, et interdisent selon M. Coriat "la fabrication locale,
l'exportation ou l'importation de copies de ces produits", c'est à dire
les génériques, fabriqués par les pays en développement et disponibles à
des prix réduits. La règle ne vaut que pour les nouveaux produits de
santé, mais, comme l'a rappelé le Pr Coriat, 10% de patients par an
doivent changer de traitement, devenu inefficace ou plus supporté, et
passer à ce qu'on appelle des traitements "de deuxième ligne",
impliquant des médicaments nouveaux.
Les médicaments brevetés sont proposés à tarif réduit dans les pays en
développement. Cela n'empêche que les trithérapies de première ligne
(contenant seulement une moitié de médicaments brevetés) coûtent quelque
100 dollars par an, celles de deuxième ligne (avec plus de 90% de
médicaments brevetés) 1.300 dollars par an, et même 3.400 pour les pays
dits "intermédiaires". Compte tenu du passage progressif et quasi
inévitable aux médicaments de deuxième ligne, les chercheurs ont estimé
la hausse des coûts d'ici 2010 à 250%. "Les sommes considérables
mobilisées vont apparaître insuffisantes pour faire face à la demande",
a indiqué le Pr. Coriat.
Et demander aux malades des pays en développement de payer une partie des
médicaments entraîne déjà, là où c'est le cas, nombre d'abandons de
traitements.
Le Pr Coriat estime que l'argument des laboratoires pharmaceutiques selon
lequel les médicaments doivent couvrir le coût des recherches n'est pas
recevable : "ce coût est couvert par la sécurité sociale des pays riches,
ils n'ont pas besoin pour le rembourser de vendre à prix prohibitif dans
les pays du sud", dit-il.
Comment sortir de ce problème ? Il y a certes des "flexibilités" dans
l'application de la règle, notamment le système des "licences
obligatoires", qui, en cas d'"urgence nationale", autorise les fabricants
locaux à produire eux-mêmes des médicaments brevetés en versant des
royalties minimes. Une procédure complexe qui ne peut être que
ponctuelle, selon le chercheur et son équipe. Une solution plus pérenne,
dit-il, pourrait être de "repenser l'outil des licences obligatoires" en
définissant une liste d'antirétroviraux "essentiels" bénéficiant
d'office de ce système.