[traduction et diffusion Act Up Paris]
Les essais ténofovir au banc d'essai (The trials of tenofovir trials)
The Lancet
Editorial
vol 365, 26 mars 2005, p.1111
Parmi les problèmes que posent la mise en ouvre d'essais de médicaments dans
les pays en développement, il n'y a pas de meilleur exemple que le cas du
tenofovir. Cet inhibiteur de la transcriptase inverse est utilisé, en
thérapie combinée, contre l'infection à VIH. Six essais randomisés contre
placebo étaient prévus pour tester la capacité du médicament à empêcher l'infection
à VIH. Aux Etats-Unis, les CDC (Centers for Disease Control and prevention)
avaient prévu des essais au Botswana et en Thaïlande, tandis que Family
Health International (FHI) en avaient prévu au Ghana, au Cameroun, au
Nigeria et au Malawi.
A la mi-mars, après que les chercheurs locaux ont échoué à satisfaire aux
" standards scientifiques nécessaires ", FHI a décidé d'annuler son essai
sur les prostituées nigérianes. En février, les autorités camerounaises ont
arrêté les essais de ténofovir sur des prostituées. Act Up-Paris, qui est
sans doute un des groupes de lobby sur le VIH/sida les plus énergiques, a
accusé les promoteurs de l'essai de se comporter de façon non-éthique en ne
fournissant pas de traitement après l'étude, et en choisissant de faire l'essai
sur des femmes très exposées, dans une partie du monde où une étude ne coûte
pas grand chose. On s'attend à ce que l'essai reprenne bientôt. L'essai
thaïlandais sur les usagers de drogue par voie intraveineuse a été approuvé
début mars, mais un groupe de lobbyistes sida a fustigé ses promoteurs du
fait de l'absence de fourniture d'un traitement après l'étude, et de l'absence
d'approvisionnement en seringues et aiguilles propres et gratuites.
De telles accusations ne sont pas entièrement justes. Le gouvernement
thaïlandais n'autorisera jamais la distribution de matériel d'injection
stérile et, de toute façon, le CDC n'y est pas autorisé non plus par le
gouvernement étasunien, qui s'y oppose. Les essais dans les pays en
développement sont meilleur marché et, dans le cadre d'une étude préventive,
le fait de trouver des participants avec un risque élevé d'infection par le
VIH implique bel et bien que leur nombre peut être plus réduit et que l'étude
n'en prendra que plus vite fin. De toute façon, le fabricant du ténofovir le
fournira à prix coûtant, s'il est homologué pour la prévention du VIH dans
les pays en développement.
La semaine dernière, le Wellcome Trust (Royaume-Uni) a publié des
recommandations éthiques pour les essais cliniques dans les pays en
développement. La sortie de cette publication a été volontairement
synchronisée pour accompagner un argumentaire du Nuffield Institute for
Bioethics, du même pays. L'accès aux soins après une étude est une des
différences essentielles entre les essais dans le monde occidental et ceux
dans un pays en développement, où cet accès aux soins est inexistant ou
limité. Les recommandations du Wellcome Trust incluent une " perspective
raisonnable " que cet accès aux soins existe et " encouragent " les
candidats à une subvention de réfléchir à ce sujet, tout en faisant
remarquer que " dans certains cas il peut être difficile d'estimer (.) dans
quelle mesure il est envisageable financièrement ou logistiquement d'obtenir
qu'une intervention efficace soit disponible pour les patients du
pays-hôte. "
Mais, selon l'argumentaire de l'Institut Nuffield, garantir un traitement
après un essai, surtout s'il s'agit de médicaments onéreux pour une maladie
chronique, est probablement impossible. Le document suggère ensuite que des
négociations sur les soins a posteriori aient lieu assez tôt pendant la
phase de préparation. Il pose ensuite la question de savoir qui doit décider
si un traitement est efficace, et comment faire pour le laps de temps entre
la prise de cette décision et l'habilitation donnée à l'administration du
traitement.
Le problème réside dans les différences entre les impératifs sur les soins a
posteriori dans la Déclaration d'Helsinki et les suggestions faites dans d'autres
documents sur l'éthique. La Déclaration d'Helsinki de 2000 prévoit que : " A
la fin d'un essai, l'accès aux meilleures méthodes démontrées et identifiées
au cours de l'essai en matière de prophylaxie, de diagnostic ou de
traitements thérapeutiques doit être garanti à chaque patient ayant
participé à l'essai. " L'Association Médicale Mondiale, qui est à l'origine
de la déclaration, a confirmé cette position en mai dernier, alors que des
démarches convaincues avaient été faites dans sa direction. D'autres
recommandations, par exemple celles de l'ONUSIDA en 2000, évoquent la
nécessité d'un accès au plus haut niveau de soins disponible localement pour
les participants à un essai sur un vaccin contre le VIH. L'ONUSIDA prépare
des consultations pour arriver à un accord sur l'éthique dans les essais
préventifs.
Les enquêteurs du CDC et de FHI ont bien sûr rencontré, avant de commencer
leurs essais, des groupes communautaires locaux et des participants
potentiels. Dans un commentaire sur des essais de vaccin anti-VIH dans le
Lancet d'aujourd'hui, Naihua Duan
(journal/vol365/iss9465/full/llan.365.9465.analysis_and_interpretation.32685.1)
souligne l'importance d'une étude de marché avant tout essai. " Des essais
de vaccin et de vaccin-VIH, en tant que produits de santé publique qui
requièrent l'adhésion et la participation du consommateur, ont aussi besoin
d'être fondés sur des études de marché pour être efficaces sur le marché de
la santé publique ", écrit cet auteur.
Dans un autre commentaire dans le Lancet d'aujourd'hui, Peter Lurie et
Dirceu Greco (journal/vol365/iss9465/full/ >
llan.365.9465.analysis_and_interpretation.32684.1) sermonnent la Food and
Drug Administration des Etats-Unis pour avoir essayé de contourner la
Déclaration d'Helsinki. Mais un débat dans le Journal of Medical Ethics a
montré l'an dernier qu'il n'y a pas consensus sur un " standard de soins ".
Visiblement, ce dilemme doit être résolu, en commençant par les bailleurs de
fonds. La fondation Bill and Melinda Gates a subventionné les essais de FHI
à hauteur de 6,6 millions de dollars. De tels financeurs devraient penser à
débourser aussi pour que des traitements existent et soient disponibles
après la fin d'un essai.
The Lancet, vol 365, march 26, 2005, p. 1111