Les coupes dans l’aide américaine et de l’UE menacent « des décennies de progrès » dans la lutte contre le VIH

Les coupes dans l’aide américaine et de l’UE menacent « des décennies
de progrès » dans la lutte contre le VIH
Par : Emma Pirnay | EURACTIV.com
17 avr. 2025 (mis à jour: 18 avr. 2025)
Les coupes dans l'aide américaine et de l'UE menacent « des décennies de progrès » dans la lutte contre le VIH - Euractiv FR

Les coupes budgétaires et la réduction des investissements dans la
recherche, ansi que le retard du lancement d’un médicament « miracle »
contre le VIH, pourraient mettre en danger des millions de vies d’ici
2030, selon plusieurs experts de la santé publique.

L’UE et les autres gouvernements occidentaux doivent renforcer leurs
engagements dans le financement des programmes de lutte contre le
sida, sous peine de voir s’inverser les progrès accomplis pour mettre
fin à l’urgence sanitaire du VIH d’ici 2030. C’est du moins ce qui
ressort d’une récente étude publiée le mois dernier dans The Lancet.

Mais parmi les questions concurrentes telles que la défense et les
partenariats stratégiques visant à garantir l’approvisionnement de
l’Europe en matières premières essentielles, le déploiement de
nouveaux médicaments et les efforts de prévention pourraient être
relégués au second plan, ont déclaré des experts de la santé publique
à Euractiv.

Des coupes, des coupes et encore des coupes

Le programme américain de santé mondiale le plus célèbre, le PEPFAR, a
subi des coupes budgétaires depuis l’arrivée au pouvoir du président
Donald Trump. Cette baisse de financements a entraîné le blocage du
déploiement du lenacapavir, un vaccin contre le VIH administré deux
fois par an et qualifié de « médicament révolutionnaire de 2024 », a
rapporté STAT.

Et ce n’est pas le seul pays à réduire son aide à l’étranger.

Partout en Europe, les budgets sont restructurés en faveur de la
défense. La semaine dernière à Bruxelles, le secrétaire d’État
américain Marco Rubio a appelé les pays de l’OTAN à augmenter leurs
dépenses de défense, même si cela implique des coupes dans d’autres
domaines.

Lisa Goerlitz, directrice du bureau bruxellois de l’organisation
mondiale de santé à but non lucratif DSW, a déclaré que les coupes
budgétaires de l’USAID ont entraîné la fermeture de cliniques et de
graves perturbations dans le traitement du VIH.

« Nos partenaires sur le terrain en Afrique font état de craintes
croissantes concernant la résistance aux médicaments et les décès qui
pourraient être évités », a-t-elle ajouté, faisant référence aux
acteurs qui mènent des opérations de santé sexuelle et reproductive en
Ouganda, en Éthiopie, au Kenya et en Tanzanie.

A cet égard, elle regrette que la Commission et d’autres pays
n’intensifient pas leurs efforts, et a déclaré que la tendance à la
réduction des budgets d’aide pourrait compromettre « des décennies de
progrès » dans la lutte contre le VIH.

L’étude du Lancet a prédit que les coupes budgétaires de cinq des
principaux donateurs mondiaux, la France, les Pays-Bas, les
États-Unis, le Royaume-Uni et l’Allemagne, pourraient causer 10
millions de nouvelles infections par le VIH.

En France, l’aide a été réduite de 2,1 milliards d’euros dans le
projet de loi de finances pour 2025, une réduction qui, selon le
groupe de défense Focus 2030, pourrait signifier 800 000 vies en moins
sauvées grâce au travail du Fonds mondial de lutte contre le sida. La
Belgique, désormais dirigée par Bart de Wever, souhaite réduire son
aide publique au développement (APD) de 25 %.

L’Allemagne, quatrième contributeur au Fonds mondial de lutte contre
le sida, prévoit également des coupes budgétaires dans le cadre de son
nouveau gouvernement de coalition.

Des difficultés au sein de l’Union

Outre ces obstacles, l’Europe est confrontée à ses propres problèmes
de financement pour les technologies liées à lutte contre le VIH,
telles que les vaccins et les médicaments antirétroviraux de
prophylaxie pré-exposition (PrEP).

Ce manque de fonds pourrait limiter le nombre de traitements
disponibles dans l’Union. Selon une nouvelle étude, le financement
d’un vaccin contre le VIH dans l’UE est passé de près de 70 millions
d’euros en 2008 à moins de 5 millions d’euros en 2022, en raison de sa
complexité et de son coût.

« Le VIH pose des défis scientifiques uniques, et cette lenteur des
progrès peut être décourageante », a expliqué Roger Tatoud, auteur
principal de l’étude, ajoutant que cela pourrait être l’une des
raisons de la baisse du financement.

En près de 40 ans, seuls dix essais cliniques à grande échelle (ou
essais de phase 3, qui peuvent coûter environ 100 millions d’euros)
ont été menés pour tester si les vaccins candidats contre le VIH
peuvent prévenir l’infection, a-t-il ajouté.

Le dernier rapport de surveillance de l’ECDC estime que l’infection
par le VIH continue d’affecter la santé de près de 2,6 millions de
personnes dans la région européenne de l’OMS.

Un virus invisible

En février, l’Agence européenne des médicaments a annoncé qu’elle
avait autorisé la distribution locale du lenacapavir de Gilead dans
les pays à revenu faible et intermédiaire, un processus qui pourrait
prendre entre 7 et 9 mois.

Atteindre les objectifs en matière de VIH nécessite également de
trouver un équilibre entre les traitements biomédicaux et d’autres
éléments fondamentaux tels que la prévention primaire, les obstacles
financiers et la stigmatisation, en particulier pour les communautés
marginalisées.

« Le sida n’est plus la crise de santé publique qu’il était dans les
années 1980 et 1990. Nous disposons désormais de bonnes options de
prévention et de traitement qui font du VIH une maladie chronique
gérable », a déclaré Roger Tatoud.

Cela pourrait rendre plus difficile pour les gouvernements de
justifier des investissements importants dans un vaccin préventif,
surtout après des années de recherche sans avancées significatives.

Selon la députée européenne des Verts Tilly Metz, qui siège à la
commission parlementaire de la santé, la lutte contre la
stigmatisation est un autre défi pour l’Union, car elle conduit à des
diagnostics tardifs.

Pour le député européen du PPE Tomislav Sokol, l’un des nouveaux
projets de la Commission visant à numériser les données de santé,
l’espace européen des données de santé, peut combler le manque de
données sur le VIH en améliorant « le contrôle des patients sur leur
vie privée afin de réduire la stigmatisation ».

La commissaire à l’égalité, Hadja Lahbib, a également évoqué le
lancement d’un soutien aux questions de santé sexuelle et reproductive
dans sa feuille de route pour la santé des femmes et dans une nouvelle
stratégie pour l’égalité des personnes LGBTIQ après 2025. Toutefois,
des interrogations subsistent quant à son financement, ainsi qu’à
celui de ses plans en matière de santé mondiale.

« L’UE peut combler une partie du déficit de financement, mais elle ne
peut le faire seule. Il est encourageant de constater que les pays les
plus touchés par le VIH, en particulier en Afrique, intensifient
également leurs efforts », a déclaré Roger Tatoud.