RETRAIT DU PEPFAR: JUSQU’À 56.000 DÉCÈS SUPPLÉMENTAIRES EN AFRIQUE DE L’OUEST
2.04.25
Frédérique Prabonnaud
L’arrêt comme la suspension du programme américain PEPFAR entraînera
des conséquences sur l’épidémie de VIH en Afrique de l’Ouest : c’est
la conclusion d’une modélisation dont les résultats préliminaires ont
été présentés lors des journées scientifiques de l’ANRS-MIE. Des
résultats particulièrement alarmants pour le Sénégal et la Côte
d’Ivoire.
L’épidémie de VIH/Sida va redémarrer, que l’aide américaine apportée
par le PEPFAR soit suspendue trois mois ou définitivement arrêtée :
les courbes présentées dans l’étude Modéliser l’impact d’un retrait du
PEPFAR en Afrique de L’Ouest lors des journées scientifiques de
l’ANRS-MIE par Romain Silhol, épidémiologiste à l’Imperial College de
Londres, remontent en Côte d’Ivoire et au Sénégal alors qu’au Mali, le
déclin de l’épidémie est stoppé. Pour ces trois pays d’Afrique de
l’Ouest, différents modèles mathématiques permettent d’évaluer les
conséquences du gel ou de l’arrêt des financements américains.
Selon les résultats préliminaires de cette étude, la Côte d’Ivoire est
le pays le plus impacté. Premier pays francophone à bénéficier du
PEPFAR, il reste très dépendant des fonds américains (contribution
d’environ 60 % au budget national de lutte contre le VIH) : en cas de
retrait total du bailleur étatsunien, les projections estiment à
140.000 les nouvelles infections (+126 %) et 50.000 (+50 %) les décès
supplémentaires d’ici 2034, par rapport à ce qui se passerait avec le
maintien du programme d’aide.
Même avec une suspension de trois mois, il faut craindre des
conséquences graves : +11.000 nouvelles infections, +5.000 décès et
160.000 années en bonne santé perdues. « Si on baisse, même
provisoirement, les actions de prévention, de diagnostic et même un
peu les traitements, cela entraîne des transmissions qui elles même
vont en entraîner d’autres, surtout que si l’arrêt peut être immédiat,
la reprise elle prend du temps », explique Romain Silhol.
Au Sénégal, l’épidémie risque, selon la modélisation, de redémarrer
rapidement en cas de retrait du PEPFAR, avec 10.000 nouvelles
infections de plus (+56 %) et +3.000 décès (+31 %), toujours sur la
période 2025-2034. Une pause d’un trimestre suivi d’une reprise
progressive coûterait un millier d’infections et 300 morts.
Au Mali, troisième pays d’Afrique de l’Ouest étudié, le retrait du
bailleur entraînerait la fin du déclin du VIH (+6000 infections,
+3.000 décès). La contribution du PEPFAR y est moins importante que
celle du Fonds Mondial explique Romain Silhol et « le niveau d’accès
aux traitements étant plus faible, moins de gens sont au final
impactés ».
« DANS L’HYPOTHÈSE OÙ LE TRAITEMENT ET LA PRISE EN CHARGE REDÉMARRENT
MAIS PAS LA PRÉVENTION NI LE DÉPISTAGE, LES ÉPIDÉMIES REDÉMARRENT
AUSSI » PRÉVIENT JOSEPH LARMARANGE
Au total, 56.000 personnes supplémentaires risquent de mourir dans ces
trois pays qui sont pourtant loin d’être les plus touchés par le VIH
en Afrique. Comme si en dix ans, des villes comme Bayonne ou Vannes
étaient rayées de la carte.
400 $ pour sauver un an de vie
Les chercheurs ont aussi modélisé des scénarios alternatifs, notamment
l’hypothèse d’une reprise de l’aide sauf pour les populations clés,
travailleuses du sexe et hommes ayant des relations sexuelles avec des
hommes (HSH), que l’administration Trump veut exclure des programmes.
« L’épidémie repart alors au Sénégal, détaille Joseph Larmarange,
co-auteur de l’étude, démographe en Santé publique (IRD), pays où la
prévalence est élevée chez les HSH, mais aussi en Côte d’Ivoire où
l’épidémie reste dynamique en population générale ». « Elle redémarre
à l’échelle du pays, précise Romain Silhol, pas seulement à l’échelle
des populations clés. Vu les impacts en cascade, protéger les
populations clés ce n’est pas seulement les protéger elles mais toute
la population ».
Une autre donnée intéressante de cette étude concerne les coûts :
elle estime qu’en Côte d’Ivoire, une année en bonne santé pourrait
être sauvée pour 400 dollars, 450 au Sénégal. « Trois ans de vie d’un
Africain c’est le prix d’un iPhone pour le président Donald Trump »
calcule Joseph Larmarange. « Finalement, complète Romain Silhol, ça ne
coûte pas cher de maintenir ces programmes quand on voit l’impact que
ça a de ne pas le faire ».
Conclusion depuis Abidjan de Serge Niangoran, co-auteur de l’étude,
chercheur du programme ANRS de Côte d’Ivoire (PAC-CI) : « Ces coupes
budgétaires vont fragiliser les systèmes de santé en Afrique. C’est 20
ans de lutte contre le VIH perdus ! ».