Tuberculose : après la pandémie de Covid-19, l’ONU cherche à revitaliser le combat
La déclaration politique adoptée vendredi à New York, lors du sommet contre la tuberculose, fixe de nouveaux objectifs alors que les précédents n’ont pas été atteints. Car le Covid-19 a capté l’attention et les ressources, selon l’Organisation mondiale de la santé.
Par Julien Lemaignen
Publié le 23 septembre 2023 à 09h01, modifié le 23 septembre 2023 à 09h16
Il s’agit d’écrire le « dernier chapitre » d’une histoire qui dure depuis « des millénaires ». Vendredi 22 septembre à New York, le directeur général de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), Tedros Adhanom Ghebreyesus, a tenté de montrer la lumière au bout du tunnel aux représentants réunis lors du sommet contre la tuberculose, dans le cadre de l’Assemblée générale des Nations unies qui s’est ouverte mardi. L’OMS et tous les experts martèlent que cette infection pulmonaire peut être prévenue et soignée ; elle a pourtant encore tué 1,6 million de personnes en 2021, essentiellement dans les pays à revenu faible ou intermédiaire.
Les pays membres ont approuvé une déclaration politique fixant plusieurs objectifs, notamment la mise à disposition de traitements préventifs et curatifs pour au moins 90 % des malades et le soutien à la recherche pour disposer d’un nouveau vaccin. Ils veulent par là revitaliser un combat majeur pour la santé mondiale, que le Covid-19 a fait passer au second plan en éloignant les objectifs adoptés lors du sommet précédent, en 2018.
D’après un rapport de l’OMS paru en octobre 2022, le Covid-19 a effacé quatre ans de progrès. En accaparant les ressources, la pandémie a provoqué une chute de 18 % pour les cas de tuberculose détectés, passant de 7,1 millions en 2019 à 5,8 millions en 2020. L’OMS évoque un « rattrapage partiel » en 2021, à 6,4 millions, soit le niveau enregistré en 2017. On estime que 40 % des cas de tuberculose, sur 10,6 millions en 2021, ne sont pas diagnostiqués ou pas notifiés aux autorités. La mortalité a augmenté entre 2019 (1,4 million de morts) et 2021, signant un retour, là encore, au niveau de 2017.
Manque de traitements
La plupart des objectifs de traitement fixés en 2018 n’ont pas été atteints, ni pour la tuberculose « pharmacosensible » – qu’on peut soigner avec les traitements de première intention – ni pour la tuberculose « pharmacorésistante », qui demande des soins plus lourds. En 2022, tous types de tuberculose et tous âges confondus, il aura manqué 6 millions de traitements pour un objectif fixé à 40 millions. Concernant la tuberculose pharmacorésistante, il aura manqué 675 000 traitements pour adultes sur la cible fixée à 1,5 million. Le Fonds mondial contre le sida, la tuberculose et le paludisme parle en revanche pour 2022 d’un « net rétablissement » dans les 110 pays où il opère, avec 6,7 millions de malades sous traitement, contre 5,8 millions en
L’objectif financier n’est pas mieux tenu : prévu à 13 milliards de dollars (12,2 milliards d’euros) par an, le financement pour la lutte opérationnelle a plafonné à 5,8 milliards de dollars en 2022, selon l’OMS. Le financement de la recherche n’a atteint que 1 milliard de dollars l’an dernier, contre 2 milliards attendus.
Dans ce contexte morose, la déclaration politique approuvée vendredi par les Etats laisse à Christian Lienhardt, médecin épidémiologiste à l’Institut de recherche pour le développement, une « impression de déjà-vu ». Christophe Perrin, pharmacien chez Médecins sans frontières (MSF), déplore un « delta ennuyeux entre de jolis mots et la prise en charge sur le terrain ». Mais ce sont précisément de tels écarts qui rendaient le sommet de vendredi important pour « réaffirmer les engagements de la communauté internationale », selon Françoise Vanni, la directrice des relations extérieures du Fonds mondial, qui ajoute qu’en marge de la déclaration politique, « beaucoup de conversations à New York ont relancé l’élan ».
Produire des médicaments génériques
L’approche du sommet a réveillé la mobilisation sur la question cruciale de l’accès aux traitements. Deux campagnes portées par la société civile ont enregistré des avancées pour faire baisser le prix de produits essentiels contre la maladie : les tests de dépistage GeneXpert de la société californienne Cepheid, et la bédaquiline du laboratoire américain Johnson & Johnson, une molécule-clé dans la lutte contre la tuberculose pharmacorésistante.
Lire aussi : Le nombre de morts liés à la tuberculose en hausse en raison du Covid-19
Ajouter à vos sélections Ajouter à vos sélections
Trois jours avant le sommet, le Fonds mondial et Danaher, la société mère de Cepheid, ont annoncé un accord pour la fourniture à prix coûtant de cartouches de test à moins de 8 dollars, soit une baisse de 20 % par rapport au prix pratiqué jusqu’alors. Stijn Deborggraeve, conseiller au diagnostic des maladies infectieuses chez MSF, a salué un « pas important dans la bonne direction » tout en disant « regretter » que Danaher maintienne le prix (14,90 dollars) de son test spécifiquement conçu pour détecter la tuberculose pharmacorésistante.
Concernant la bédaquiline, le Partenariat Halte à la tuberculose (Stop TB Partnership) a annoncé le 13 juillet un accord avec Johnson & Johnson, selon lequel des appels d’offres pour la production de médicaments génériques peuvent désormais être lancés dans cent pays, soit « la plupart des nations à revenu faible ou intermédiaire ». MSF déplore qu’une dizaine de nations en Europe de l’Est et en Asie centrale ne soient pas concernées. De manière générale, selon Christophe Perrin, « les prix restent élevés parce que les politiques de brevets demeurent très agressives ».
Les efforts se poursuivent aussi pour une solution préventive à long terme : le vaccin. Le BCG, seul disponible depuis cent deux ans, est efficace contre les formes graves chez l’enfant mais perd de son efficacité chez les adultes. Parmi la quinzaine de candidats-vaccins sur les rangs pour prendre la relève, le M72 développé par le géant de l’industrie pharmaceutique GSK a montré une efficacité de 50 % chez l’adulte lors d’un essai de phase II, selon la fondation Bill et Melinda Gates, qui a obtenu une licence de GSK pour conduire une étude de phase III incluant 26 000 personnes en Afrique et dans le Sud-Est asiatique.
Une « bactérie compliquée »
Jérôme Salomon, sous-directeur général de l’OMS, a fait part jeudi d’un « fort espoir » pour « de nouveaux vaccins efficaces d’ici cinq à dix ans ». L’échéance peut sembler lointaine au regard du développement des vaccins contre le Covid-19, disponibles en quelques mois. C’est que le bacille de Koch, qui provoque la tuberculose, est une « bactérie compliquée », comme l’a rappelé Olivier Neyrolles, le directeur de l’Institut de pharmacologie et de biologie structurale (université Toulouse-III-Paul Sabatier/CNRS), jeudi, lors d’un point de presse de l’Agence nationale de recherche sur le sida et les maladies infectieuses émergentes. Il comporte « plusieurs milliers d’antigènes » et « on ne comprend toujours pas très bien quelles sont les réponses immunitaires qui protègent de la maladie », d’après le chercheur.
Selon Françoise Vanni, le vaccin restera un outil parmi d’autres, qu’il faudra combiner avec des systèmes de santé solides, équipés et formés. En attendant, la représentante du Fonds mondial souligne les facteurs socio-économiques d’un mal qui atteint et tue en général « des personnes pauvres, marginalisées, stigmatisées, déplacées ou incarcérées ». A ses yeux, « si on fait avancer l’équité, on fera avancer la lutte contre la tuberculose ».