E-MED:(4)Gilead organise la contamination des travailleuses du sexe
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[vous pouvez consulter les anciens e-med sur le sujet � la fin de
celui-ci.CB]
En r�ponse � Edouard Gu�vart et Jean-Loup Rey, vos mails du mois d'ao�t sont
rest� sans r�ponses, suite � un d�placement � l'�tranger et � l'interruption
estivale d'E-med. Pour ce qui ai de la demande de documentation �toff�e,
nous sommes en possession du protocole de l'�tude 9780 de Gilead, de la
notice d'information patient et du consentement �clair�. Je vous confirme
que le point le plus critique et le plus critiquable de cette essai est bien
le fait que les participantes ne sont pas assur�es d��tre trait�es par ARV,
si n�cessaire, pour un tel essai, c�est anormal et c'est pourquoi nous nous
battons.
Deux aspects � ce d�bat : d�une part l�avancement de l�essai de Gilead sur
le Tenofovir� et d�autre part la question globale de l�int�r�t de tels
essais, et s�il y en a un, comment les conduire de fa�on �thique. Pour
m�moire, c�est lors de la mission en juin au Cameroun que l�on a eu
connaissance de cet essai Tenofovir� l�-bas (ainsi qu�au Nig�ria et au
Ghana) sur une population de 1 200 prostitu�es s�ron�gatives, dont la moiti�
recevra le Tenofovir� et l�autre moiti� un placebo ; des essais similaires
sont conduits au Cambodge et au Malawi, ainsi qu�� Atlanta et San Francisco
aupr�s d�homosexuels, sur la base des r�sultats encourageants publi�s � l�
IAS, il y a un an, sur le singe et la transmission du SIV.
Ces essais ont �t� d�nonc�s lors de la conf�rence de Bangkok, d�abord en
raison d�un volet pr�vention nettement insuffisant (par exemple seulement 5
travailleurs sociaux sont pr�vus pour travailler au Cameroun sur la
pr�vention, les pr�servatifs propos�s sont uniquement des pr�servatifs
masculins et les prostitu�es ne doivent utiliser que ceux mis � disposition
dans le cadre de l�essai), ensuite en raison de l�absence de prise en charge
des personnes infect�es durant l�essai ou d�pist�es infect�es lors des
examens de pr� inclusion : les responsables de l�essai, Gilead et la
Fondation Bill Gates ne pr�voyant rien de sp�cifique et se reposant sur les
structures locales d�acc�s aux ARV, lesquelles sont d�j� insuffisantes.
Un autre aspect a aussi �t� d�nonc�, il s�agit de la prise en charge des
�ventuels effets secondaires, r�put�s peu nombreux mais dont on ne conna�t
pas la gravit� : les prostitu�es cambodgienne r�clamaient � Gilead leur
prise en charge par la souscription d�une assurance sant� sur 30 ans.
Premi�re mise au point intervenue dans le d�bat : le vocable � pr�ventif �
est ici inappropri�, car il s�agit en fait de techniques prophylactiques. Le
Tenofovir� est ainsi cens� ouvrir une 3�me voie en termes de prophylaxie, le
vaccin en constituant la 1�re et les microbicides ou virucides la 2�me.
Sur la question de la pr�vention, il est rappel� que les prostitu�es
constituent une population pr�caris�e, pas � proprement parler en position
de force pour imposer le pr�servatif (il faut gagner sa vie, et parfois le
prix importe peu) ; ainsi au Cameroun, 60 % des rapports sexuels tarif�s
sont r�put�s �tre non prot�g�s. En outre, il appara�t que lorsque est
introduit un facteur pr�sent� comme protecteur (ici le Tenofovir�), la
vigilance en termes de protection est r�duite, d�o� risque accru de
contamination ; ce ph�nom�ne a d�j� �t� observ� lors des essais de vaccin et
c�est d�ailleurs cette prise de risque qui permet ensuite de quantifier le
succ�s. D�o� la possibilit� de d�clarer que ce type d�essais est � la base
non �thique puisqu�il faut bien qu�il y ait prise de risque et que cela peut
�tre assur� par une incitation � la pr�vention r�duite. N�anmoins, il est
clair qu�un essai vaccinal ne pourrait �tre conduit dans les conditions de l
�essai Tenofovir�, et une des principales raisons en est que ces essais
vaccinaux sont pris en charge par des structures �tatiques, - faute d�
int�resser l�industrie pharmaceutique. Ces structures �tatiques sont
beaucoup plus soucieuses du respect de l��thique que ne l�est l�industrie.
Pour recadrer un peu les choses, l�enjeu est en fait aussi ailleurs. A l�
issue des manifestations lors de la conf�rence de Bangkok d�non�ant cet
essai, le Premier Ministre du Cambodge a annonc� le 4 juillet un moratoire
sur les essais prophylactiques au Cambodge, suite � quoi l�essai Tenofovir�
y a �t� arr�t�. Cet encha�nement d��v�nements nous a attir� les foudres de
la moiti� des activistes �tatsuniens nous taxant d�� inconscients pour avoir
fait arr�ter un essai aussi prometteur �. A Bangkok, Gilead s�est engag� �
un rendez-vous t�l�phonique avec les activistes � la rentr�e et
effectivement un responsable scientifique a appel� Aides qui n�a pas voulu
�tre le seul interlocuteur et a demand� que soient associ�es � ce
rendez-vous d�autres associations et en particulier celles issues des
communaut�s dans lesquelles sont conduits ces essais. Ce qui veut dire qu�
aujourd�hui, suite � l�arr�t de l�essai au Cambodge, nous sommes en mesure
de pouvoir obtenir l�arr�t �galement au Cameroun, mais au risque d�entrer en
conflit ouvert avec une partie des activistes �tatsuniens, avec lesquels
nous travaillons par ailleurs (Health Gap par exemple).
Ce d�bat rappelle �tonnamment celui intervenu, il y a quelques ann�es, dans
le cadre d�essais sur les microbicides, o� nous avions d� affronter les
foudres d�activistes d�fendant de tels essais, les m�mes ayant ensuite
chang� d�avis et nous ayant accus�s de ne plus d�noncer assez fort ces
essais. Et qu�est-ce que cela a donn� aujourd�hui ? Par ailleurs, il serait
quand m�me important de fournir au d�bat les raisons qui font que des
activistes d�fendent ces essais. En r�ponse, il faut d�abord souligner que c
�est justement l�ONG qui avait tremp� dans les essais du microbicide
Nonoxynol-9 (d�ailleurs essai au cours duquel les femmes contamin�es �taient
2 fois plus nombreuses dans le bras Nonoxynol-9 que dans le bras placebo)
qui a �t� sollicit�e par les investigateurs pour en assurer le suivi�
Ensuite, les activistes d�fenseurs de cet essai se positionnent par rapport
� l�Histoire, en l�occurrence cet essai ouvre une nouvelle voie en termes de
prophylaxie et rien que cela est d�j� prometteur, on ne doit donc pas
arr�ter l�Histoire ; ils nous accusent d�ailleurs d�avoir la m�me position
que l�administration Reagan en son temps. Quant � l�absence d��thique, les
�tatsuniens sont moins regardants que nous. A cela il est r�pondu que, m�me
si effectivement nous disposons d�j� d�un outil on ne peut plus efficace, le
pr�servatif, disposer d�un autre mode de protection ne peut �tre qu�
int�ressant pour nous, sauf que si le Tenofovir� est efficace, encore une
fois il sera r�serv� aux pays du Nord, ceux du Sud n�ayant servi que de
cobayes pour nous-m�mes ; ensuite, on peut quand m�me se poser laquestion
des effets secondaires (le fait que la prise est ponctuelle permet d�
imaginer que les effets secondaires pourraient �tre quasi inexistants, mais
bon�)ainsi que de son efficacit�dans le temps, puisque plus le temps passe,
plus les virus mutent : le Tenofovir� sera-t-il toujours aussi efficace
contre ces nouvelles formes du virus ? Et donc en corollaire,
pourquoi abandonner le pr�servatif, z�ro effets secondaires et 100 % d�
efficacit�, pour un m�dicament peut-�tre � effets secondaires et pas 100 %
efficace (car il faut rappeler que de toutes les techniques prophylactiques,
aucune n�a la pr�tention d��tre efficace � 100 %, � l�image de ce qu�est par
exemple aujourd�hui le vaccin de la grippe, qui n�emp�che pas � l�occasion
quelques contaminations) ? Sur la question des mutations, il faut savoir qu�
un m�me m�dicament peut �tre utilis� � des fins diff�rentes en utilisant des
m�canismes diff�rents : il en va de l�AZT qui utilise un m�canisme viral
diff�rent dans le cadre de la transmission de la m�re � l�enfant que dans
celui de la r�plication du virus chez une personne s�ropositive.
Pour en revenir � l�essai camerounais, en fait, l�arr�t de cet essai n�est
pas du tout certain ;
d�abord, les prostitu�es qui y participent ne sont pas du tout organis�es
comme le sont les cambodgiennes, lesquelles se revendiquent comme sex
workers, alors que les camerounaises se voient juste en � filles l�g�res � ;
ensuite, compte tenu de la corruption au Cameroun et de la manne financi�re
que repr�sente cet essai, tous ceux qui se sucrent au passage ont tout
int�r�t � ce que l�essai ne soit pas arr�t�. Il appara�t donc que ce que l�
on peut n�anmoins gagner, c�est que les conditions dans lesquelles est (sera
? serait ?) conduit l�essai soient plus proches de nos standards d��thique.
Et ce sera un peu notre conclusion : Le d�bat sera poursuivi sur la question
plus large des essais de prophylaxie, et quant � l�essai Tenofovir� au
Cameroun, nous allons poursuivre notre strat�gie de sensibilisation des
autorit�s sanitaires et des participantes de l�essai afin que les conditions
d��thique propos�es re�oivent l�assentiment de touTEs, en particulier que le
travail de pr�vention soit effectu� par une structure ind�pendante disposant
des moyens ad�quats et que la prise en charge des personnes malades soit
effective. C�est aussi l�occasion de relancer les structures
internationales, OMS et ONUSIDA, afin qu�elles expriment clairement leur
position sur un tel sujet.
R�gis Samba-Kounzi
Commission Nord-Sud
Act Up-Paris