[engagée, oui depuis logntemps et pour encore un petit bout de temps...
notons qu'il existe aussi d'autres opérateurs de cette "chasse"...bien connus des e-mèdien(ne)s...CB]
Médocs en toc
Au Bénin, la chasse aux médicaments contrefaits est engagée. Un fléau qui
menace tous les pays en voie de développement.
par Sandrine CABUT
QUOTIDIEN : 29 janvier 2006
Cotonou (Bénin) envoyée spéciale
http://www.liberation.fr/page.php?Article=354783
Poursuivi par l'enquêteur, le vendeur ambulant laisse tomber sa valise. Des
dizaines de boîtes de médicaments s'en échappent. Dans la salle, les rires
fusent. L'animateur interrompt la projection, et un simple «A vous les
enfants» s'affiche sur l'écran de la télévision. Plusieurs mains se lèvent
parmi la quarantaine d'écoliers en uniforme kaki. «La raison de tout ça,
c'est la pauvreté», avance une adolescente d'une voix douce. «La raison de
la pauvreté ne tient pas», rétorque l'animateur, en passant dans les rangs
pour distribuer des autocollants qui proclament : «Les médicaments
génériques, j'ai confiance.» «Vous n'allez pas vous faire coiffer chez un
maçon, ce n'est pas son métier. Alors pourquoi se faire soigner par
quelqu'un qui n'y connaît rien ? C'est risqué.»
Voilà près de deux heures que ces élèves de première d'un lycée de Cotonou,
capitale économique du Bénin, entendent marteler des informations sur le
médicament. Son circuit légal des phases de recherche à la consommation ;
les dangers des pilules vendues dans la rue ; l'existence d'une alternative,
sûre et moins chère, les génériques. Le sujet est complexe, mais l'attention
ne faiblit pas. Peut-être parce que ce n'est pas un cours ordinaire, mais un
véritable show, mettant en scène l'acteur Guy-Ernest Kaho, une célébrité au
Bénin. En duo avec Monsieur K. O., l'enquêteur novice du documentaire dont
il joue aussi le rôle, l'animateur Kaho alterne pitreries et explications
didactiques pour sensibiliser les adolescents au problème. «Je leur dis
qu'ils doivent savoir ce qui se passe ici, parce que dans cinq ou dix ans
ils ne seront plus en tenue kaki, ils auront des responsabilités dans ce
pays», explique l'acteur. Depuis mars 2005, il a conduit une centaine de
séances dans des écoles de Cotonou, devant environ 50 élèves à chaque fois,
de la quatrième à la terminale. L'une d'entre elles a été filmée et vient de
passer sur la chaîne nationale de télévision. Deux rediffusions sont
prévues.
Les médicaments non remboursés
La méthode est-elle efficace pour faire passer un message de santé publique
? Philippe Bernagou, directeur général de la fondation Pierre Fabre (1), à
l'initiative de cette opération, dans le cadre d'un vaste programme pour
favoriser «l'accès aux médicaments de qualité» au Bénin, en est persuadé.
«Kaho est très connu ici. En rentrant chez eux, les enfants vont raconter
cette rencontre à leurs parents», s'enthousiasme-t-il. Ce n'est pas un
hasard si Philippe Bernagou a choisi ce petit pays d'Afrique de l'Ouest (6,7
millions d'habitants) pour son projet, démarré en 2002. Contrefaçons de
composition fantaisiste ou contenant le principe actif, mais à une dose
aléatoire ; ou alors vrais comprimés périmés ou mal conservés, on trouve
n'importe quoi, en vente sur les marchés ou dans les rues... Au Bénin, comme
dans nombre d'autres pays d'Afrique où tous les médicaments sont payants y
compris à l'hôpital et non remboursés, le marché parallèle représente en
moyenne un quart du marché pharmaceutique. L'ex-Dahomey souffre d'un
handicap supplémentaire : 800 kilomètres de frontières avec le Nigeria,
plaque tournante du trafic et grand producteur de médicaments contrefaits.
La volonté politique de lutter contre le fléau a été affichée de longue date
par les autorités béninoises, argument de poids pour le bailleur de fonds de
la fondation Fabre. «L'ancien directeur des pharmacies, le colonel Idrissou
Abdoulaye, avait développé des actions très courageuses dès le début des
années 90, raconte Philippe Bernagou. En 1999, il a ordonné une descente de
police au grand marché de Cotonou, devant des caméras de télévision. En une
journée, une tonne de médicaments a été saisie et brûlée.» Ensuite ? Le
marché n'a mis que six mois à se reconstituer. Quelques autres saisies ont
été effectuées, de moindre ampleur. Quant au directeur des pharmacies, il a
dû engager des gardes du corps... A quelques semaines de l'élection
présidentielle, prévue le 5 mars, son successeur, en place depuis moins d'un
an, dit préférer mener des actions de répression «dans l'ombre».
«Mémé qui joue au football»
Une visite à Dantokpa, l'immense marché de Cotonou et l'un des plus
importants d'Afrique de l'Ouest , suffit à se convaincre de cette
«discrétion». Outre les nombreux marchands ambulants, les échoppes vendant
exclusivement des médicaments s'y comptent par dizaines, tenues
essentiellement par des femmes. Certaines sont de véritables boutiques où
les boîtes s'alignent sur des étagères, comme dans une pharmacie.
Antalgiques, antibiotiques, contraceptifs, antidépresseurs, antipaludéens ?
Il suffit de demander. Les pilules sont vendues à l'unité ou dans des
emballages d'allure plus ou moins authentique. Les clients qui ne
connaissent pas le nom du produit désiré peuvent toujours réclamer du
«Zemidjan» (nom en fon, le dialecte local, des taxis motos qui sillonnent
Cotonou). Ils se voient remettre du paracétamol, ainsi surnommé car il
permet, dit-on, de pouvoir faire un trajet même quand on ne se sent pas
bien. Il y a aussi le «Gnangan po bofou» («mémé qui joue au football»), en
réalité un anti-inflammatoire.
«Les populations se réapproprient les médicaments modernes pour soigner les
maladies locales», note Carine Baxerres, qui mène une enquête dans le cadre
d'une thèse d'anthropologie sur Le marché parallèle des médicaments au
Bénin. Et de citer l'exemple du paludisme qui, au Sénégal, porte différents
noms selon son stade d'évolution, comme s'il s'agissait de pathologies
distinctes.
Les consommateurs ne sont pas les seuls à se fournir au marché. Les agents
de santé (infirmiers, sages-femmes, médecins...) qui assurent les
consultations (2) seraient aussi nombreux à s'y approvisionner pour revendre
ensuite les médicaments à leurs patients, en toute illégalité. Certains
pharmaciens d'officine ont eux aussi recours à ce circuit, vendant ou au
contraire achetant auprès des commerçants de Dantokpa. C'est là aussi que
viennent se fournir la majorité des petits revendeurs de quartier, remarque
Carine Baxerres. D'après elle, certains auraient même l'impression de
s'approvisionner auprès de grossistes, tant ces commerces ont l'air de
pharmacies officielles.
Les fruits de l'éducation
Innocents ou non, les petits vendeurs ambulants sont intrusifs. En 2003,
selon une première enquête menée auprès de 600 ménages de Cotonou, huit
familles sur dix recevaient leur visite à domicile plus de trois fois par
mois. L'étude montre par ailleurs que 40 % des ménages avaient acheté au
moins une fois des médicaments au marché parallèle, bien que la majorité en
connaisse les risques. «Ils ont l'impression que c'est moins cher qu'en
pharmacie, parce qu'ils achètent en petite quantité, mais au final ce n'est
pas vrai», note Philippe Bernagou. Ne pouvant agir directement sur le
circuit illégal, la fondation Pierre Fabre multiplie les actions pour
diminuer la demande, toujours en partenariat avec les autorités nationales.
Claudine Schuster, professeur de biochimie et collaboratrice de Bernagou,
est en permanence sur le terrain à Cotonou. Outre les séances de
sensibilisation dans les écoles, des spots d'information chocs sont
régulièrement diffusés sur les radios et à la télévision, en français et
dans les principaux dialectes (en voir des exemples sur liberation.fr).
La sensibilisation et l'éducation semblent commencer à porter leurs fruits.
La dernière enquête auprès des ménages de Cotonou, en octobre 2005, montre
qu'ils achètent moins au marché, et que le message sur les génériques est
bien passé. Mais encore faut-il pouvoir garantir à la population un accès à
des médicaments bien contrôlés. Dans cette optique, la fondation Pierre
Fabre a consacré une partie conséquente du budget (d'un total de 560 000
euros) à la rénovation du laboratoire de contrôle de qualité des
médicaments. Dans un «état effrayant» au départ, il vient d'être entièrement
refait, et bien équipé en matériel et en techniciens qualifiés. L'équipe
pourra ainsi vérifier la conformité des médicaments pour lesquels est déposé
un dossier d'autorisation de mise sur le marché au Bénin. Et, au moindre
doute, effectuer des contrôles sur n'importe quel produit. De même, la
centrale d'achat des médicaments essentiels (grossiste public national qui
approvisionne hôpitaux, dispensaires, et certaines structures privées) a été
complètement rénovée, et son personnel formé. Le Bénin a désormais tous les
outils pour offrir à sa population un accès à des médicaments de qualité et
devenir un modèle en Afrique dans la lutte contre les contrefaçons.
(1) Seule fondation de l'industrie pharmaceutique reconnue d'utilité
publique.
(2) Le Bénin compte moins de 1 000 médecins, environ 1 000 sages-femmes et 2
800 infirmiers.
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Un marché juteux mais dangereux
Un faux vaccin contre la méningite a tué 2500 personnes au Niger en 1995.
par Sandrine CABUT
QUOTIDIEN : samedi 28 janvier 2006
http://www.liberation.fr/page.php?Article=354784
Médicaments de marque ou génériques, pour traiter des maladies mortelles
comme le paludisme ou lutter contre l'impuissance, aucune molécule n'échappe
à la copie. La contrefaçon peut contenir le principe actif du médicament,
mais à une dose trop faible ou au contraire trop élevée. Il peut avoir été
purement et simplement remplacé par de l'eau distillée, voire par un
toxique. Quant à l'emballage, il est plus ou moins fidèle à l'original.
Facile, pas cher, et pouvant rapporter gros, le marché pharmaceutique a tout
pour séduire les contrefacteurs, le plus souvent installés en Asie (Chine et
Inde), plus rarement en Afrique ou en Europe. La fabrication de faux
médicaments ne nécessite pas une technologie très pointue, l'imitation d'un
comprimé ou d'une gélule étant moins difficile que celle d'un billet de
banque. Surtout, les bénéfices dépassent de loin ceux des narcotiques, avec
un risque pénal bien moindre, comme le soulignait récemment un spécialiste
lors d'un colloque à Bordeaux (Libération du 29 octobre 2005). Pour 1 000
dollars d'investissement, l'héroïne en rapporte 20 000. Un médicament réputé
jusqu'à 500 000.
A l'échelle internationale, les quelques estimations disponibles sont
alarmantes. Les contrefaçons représenteraient 10 % du marché mondial, selon
la Food and Drug Administration américaine (FDA), qui évalue les recettes du
secteur à plus de 32 milliards de dollars par an. Les pays en voie de
développement d'Asie et d'Afrique sont de loin les plus touchés, pour des
raisons évidentes. «Le commerce de ces faux médicaments affecte davantage
les pays où le contrôle et l'application de la réglementation pharmaceutique
sont moins stricts, où l'approvisionnement en médicaments de base est
insuffisant et/ou irrégulier, et où les marchés ne sont pas réglementés et
les prix ne sont pas abordables», analyse l'Organisation mondiale de la
santé (OMS).
En moyenne, un quart des molécules consommées dans les pays émergents
seraient contrefaites ou de qualité insuffisante, évalue l'organisation
onusienne. La proportion atteindrait 70 % au Niger. Les conséquences sont
d'autant plus dramatiques que ces médicaments sont censés soigner des
pathologies souvent mortelles comme le paludisme, le sida ou la tuberculose.
Ainsi, lors d'une épidémie de méningite au Niger en 1995, 50 000 personnes
se sont vu administrer de faux vaccins, et 2 500 en sont mortes. Récemment,
une étude a montré que jusqu'à 40 % des produits censés contenir de
l'artésunate (1) n'avaient aucun effet thérapeutique. Au total, sur le
million de décès annuel par paludisme, 200 000 pourraient être évités, selon
l'OMS, «si les médicaments étaient efficaces, de bonne qualité et
correctement utilisés».
De fait, tout comme les faux antibiotiques la classe thérapeutique de loin
la plus contrefaite contribuent au développement de résistances
bactériennes, les contrefaçons d'antipaludéens favorisent les résistances du
parasite. Il y a aussi des exemples de faux médicaments mortels parce que
fabriqués à base de toxiques. Un sirop contre la toux contenant de l'antigel
a tué 89 personnes en Haïti en 1995, et 30 nourrissons en Inde en 1998. Si
les pays riches semblent relativement protégés de ces trafics, en raison de
l'organisation de l'accès aux soins et du contrôle très strict du circuit
des médicaments, ils ne sont pas complètement à l'abri. C'est en commandant
des molécules sur l'Internet que les consommateurs prennent le plus gros
risque.
Près de la moitié du Viagra vendu sur la toile serait par exemple
contrefaite. Le manque à gagner est évalué par Pfizer, fabricant de la
pilule contre l'impuissance, à plusieurs dizaines de millions de dollars
chaque année. Pour protéger sa célèbre pilule bleue, le laboratoire a décidé
de recourir à un système de puces électroniques à radiofréquence (RFID ou
Radio Frequency Identification). Depuis la mi-décembre, une étiquette
électronique («tag») est intégrée à chaque boîte de Viagra à destination des
Etats-Unis. Chaque «tag» contient un numéro identifiant spécifique et
unique, qui peut être lu à distance et à grande vitesse grâce à l'activation
d'une antenne. Le parcours des pilules est ainsi suivi à la trace dès la
sortie d'usine et tout au long de la chaîne d'approvisionnement, sans même
avoir besoin d'ouvrir les boîtes. Budget total de l'opération, selon la
revue informatique ZDnet : cinq millions de dollars.
(1) Dérivé de l'artémisine, un antipaludéen récent efficace dans les
paludismes résistants à la nivaquine.