E-MED: Comment piller la biodiversit� au sud?
[Lu pour vous sur le site http://www.rio.net/solagral
et transmis par Carinne Bruneton]
Pirates belges aux Philippines : la bioprospection en question
Ou "Comment piller la biodiversit� du Sud ?"
SEARICE1, une organisation partenaire d'Oxfam-Solidarit� aux Philippines,
nous a interpell�s derni�rement concernant un contrat de bioprospection
entre
une entreprise belge et une universit� philippine. Depuis, SEARICE nous a
fait
parvenir une copie du contrat en question : les parties concern�es sont
Janssen Pharmaceutica NV de Beerse d'une part, et le College of Arts and
Sciences de la West Visayas State University (ILOILO) d'autre part. Il y a
�galement un troisi�me acteur important dans ce dossier, qui intervient au
nom
de Janssen mais qui est "guest researcher" � l'Universit� de Gand, un
certain
M. Luc Van Puyvelde.
Il s'agit d'un contrat de bioprospection qui concerne plus pr�cis�ment la
collecte de mat�riaux d'origine v�g�tale tels que fruits, bois, fleurs,
feuilles, racines, etc. � des fins m�dicales. A l'issue d'une enqu�te
locale
men�e sur base de t�moignages, SEARICE a constat� qu'en septembre 1997, M.
Van
Puyvelde s'�tait rendu sur place et avait entam� un travail de prospection
en
collaboration avec le Dr Penecilla, repr�sentant de l'universit� des
Philippines.
"Nous recherchons principalement des plantes m�dicinales, connues
localement,
mais qui ne font encore l'objet d'aucune publication scientifique",
explique-
t-on au laboratoire de Luc Van Puyvelde. "Quand il y a eu publication, cela
ne
nous int�resse plus car nous ne pouvons plus obtenir de brevet par la
suite".
Selon les termes du contrat, Janssen Pharmaceutica paye 10 dollars par
�chantillon au Dr Penecilla, en �change de quoi l'entreprise belge acquiert
les droits exclusifs sur l'ensemble du mat�riel v�g�tal r�colt� ainsi que
sur
tous ses d�riv�s possibles, ses parties constitutives, ses versions
synth�tiques et les diverses applications possibles de l'ensemble de ces
produits.
Le laboratoire de Luc Vanpuyvelde nous apprend que ce contrat fait partie
d'un
grand programme de bioprospection particuli�rement actif au Vietnam, en
Chine,
en Russie, en Bulgarie, au Kenya et dans d'autres pays africains. En
juillet
98, Janssen Pharmaceutica se retire du programme pour laisser la place �
une
autre soci�t� flamande qui lui est li�e : TIBOTEC NV (institut de recherche
antivirale � Gand), en maintenant M. Van Puyvelde comme personne contact.
Janssen Pharmaceutica affirme que ce contrat avec les Philippines n'a
jamais
�t� mis en application, Luc Van Puyvelde esp�re cependant que sa nouvelle
version (avec TIBOTEC) sera sign�e tr�s prochainement.
Un contrat unilat�ral
Il s'agit d'un contrat fonci�rement unilat�ral o� une partie est consid�r�e
comme un simple fournisseur de mati�res premi�res et l'autre, comme un
acheteur qui n'est soumis � aucune obligation. Nous avons cinq objections
tr�s
concr�tes � formuler en rapport avec les clauses du contrat.
1.10 $, soit environ la r�mun�ration d'une heure de travail en Belgique,
voil�
ce que l'entreprise priv�e occidentale paye en �change non seulement de la
mati�re premi�re (l'�chantillon), mais aussi de toutes les connaissances
qui
s'y rapportent (la valeur m�dicinale de la plante) et qui ont �t� test�es,
am�lior�es et transmises de g�n�ration en g�n�ration par les populations
locales. C'est un bien maigre salaire pour un travail de recherche,
largement
sous-�valu� par rapport � la recherche dans les laboratoires occidentaux.
2.De plus, avec cette somme d�risoire, l'entreprise acquiert �galement les
droits exclusifs sur tous les d�veloppements ult�rieurs des mat�riaux et/ou
des connaissances r�colt�(e)s. Le contrat stipule explicitement que la
soci�t�
Janssen Pharmaceutica peut d�cider seule et souverainement de l'�ventuelle
commercialisation des r�sultats des recherches. Autrement dit, elle peut
les
faire breveter si cela lui semble commercialement int�ressant. Il n'y a par
ailleurs pas la moindre obligation de commercialiser les r�sultats ou, �
d�faut, d'au moins les publier, m�me au cas o� leur application pourrait se
r�v�ler utile � certaines populations. Nous estimons qu'un tel contrat
appauvrit les pays du Sud car ceux-ci perdent d�finitivement le contr�le et
la
gestion de leurs propres ressources. Ce contr�le est pourtant une condition
indispensable � un d�veloppement structurel durable.
3.Il n'y a par ailleurs pratiquement aucune retomb�e positive pour
l'universit� partenaire, et absolument aucune pour les communaut�s locales.
Ce
n'est qu'en cas de commercialisation d'un produit que, aux termes du
contrat,
un montant plafonn� sera vers� � l'universit� � titre compensatoire,
celle-ci
pouvant d�cider de mani�re souveraine de transf�rer ou non une part
"correcte"
de ce produit � d'�ventuelles collectivit�s locales. Cette disposition est
totalement en contradiction avec la Convention sur la Biodiversit�2. Dans
le
cas de tels contrats de bioprospection, la Convention pr�voit en effet une
coop�ration claire et un �change � la fois de connaissances scientifiques
et
technologiques et des r�sultats des recherches. Elle souligne en outre la
n�cessit� de prendre en compte la position vuln�rable des pays en
d�veloppement et de veiller � assurer des retomb�es positives pour les
communaut�s locales.
4.L'universit� partenaire se voit en outre imposer une loi du silence de
pas
moins de 10 ans sur les dispositions du contrat. Or, comme il s'agit d'une
universit� d'Etat, ce document tombe, selon le droit philippin, sous le
coup
de la r�glementation relative aux documents publics, lesquels doivent �tre
accessibles.
5.Janssen fait porter par l'universit� partenaire l'enti�re responsabilit�
de
se conformer � toutes les exigences du droit international et philippin3.
Il
s'agit l� d'une mani�re pour le moins douteuse de se d�gager de certaines
obligations l�gales d�coulant du droit international et du droit philippin.
De
plus, au moment de l'importation de toute mati�re v�g�tale, les autorit�s
belges sont tenues de vrifier que la l�gislation du pays exportateur a �t�
respect�e.
La convention sur la biodiversit� bafou�e
La Belgique a pourtant sign� et ratifi� la Convention sur la diversit�
biologique (CBD) qui pr�voit un partage �quitable des b�n�fices issus de la
biodiversit�. Selon les termes de la CBD, les Etats disposent d'un droit
souverain de r�glementer l'acc�s � leurs richesses naturelles et de
prot�ger
les droits des collectivit�s locales contre les int�r�ts du secteur priv�.
Dans le cas des Philippines, il existe une l�gislation nationale tr�s
pr�cise
et tr�s restrictive en la mati�re (EO 2474). Selon SEARICE, cette
l�gislation
est n�anmoins sans cesse bafou�e par les entreprises tant philippines
qu'�trang�res.
Il se peut tr�s bien que le contrat entre Janssen Pharmaceutica et
l'universit� philippine ne soit pas ill�gal, mais nous soutenons que m�me
s'il
est en accord avec la lettre de la loi, il ne l'est certainement pas avec
l'esprit de la Convention (CBD).
Une nouvelle colonisation
Ce contrat est pour nous un exemple de plus de l'injustice sociale qui
marque
profond�ment les rapports Nord-Sud en ce qui concerne le partage des
richesses
de la plan�te. Nous assistons � une nouvelle colonisation : apr�s les
mati�res
premi�res, les pays riches, forts de leur sup�riorit� �conomique, font �
pr�sent main basse sur le mat�riel biologique et g�n�tique des pays du Sud,
dans l'intention manifeste de leur faire payer les r�sultats. D�s lors, le
foss� entre riches et pauvres, entre le Nord et le Sud, ne peut que
s'accro�tre.
Ce que nous demandons
1.Au gouvernement belge, nous demandons qu'il prenne les dispositions
l�gales
n�cessaires afin d'appliquer la CBD qu'il a sign�e. Nous demandons aussi
aux
autorit�s belges qu'elles s'opposent au brevetage des organismes vivants5
aussi bien au niveau europ�en qu'� l'�chelle mondiale. Les brevets sur les
semences, les plantes et les animaux impliquent une privatisation du
patrimoine g�n�tique de l'humanit�, au profit de quelques grandes soci�t�s
commerciales. Nous suivons en cela l'exemple philippin de SEARICE qui m�ne
�
l'�chelon national le m�me combat que le n�tre.
2.Aux soci�t�s priv�es, nous demandons le respect de la CBD, ainsi que le
respect des lois nationales, comme celle des Philippines sur l'acc�s aux
ressources naturelles. En cela elles doivent reconna�tre la souverainet�
des
Etats sur leurs ressources naturelles. De plus, les contrats de
bioprospection
doivent garantir aux populations locales un juste retour des b�n�fices
issus
de leurs connaissances et de leurs richesses.
3.Aux universit�s du Nord, nous demandons en outre de garder leur
ind�pendance
par rapport aux soci�t�s commerciales aussi bien dans les objectifs de la
recherche que dans les pratiques de prospection. En tant qu'institutions
publiques ind�pendantes, elles devraient � notre avis veiller � ne pas
abuser,
� des fins purement commerciales, de leur position privil�gi�e dans les
n�gociations avec d'autres universit�s situ�es dans les pays en
d�veloppement.
1- South East Asia Regional Institute for Community Education - R�seau
d'organisations bas�es aux Philippines, en Indon�sie, en Malaisie, �
Singapour
et en Tha�lande dont l'objectif est d'aider au d�veloppement de la soci�t�
civile et de contribuer � la recherche d'un nouveau mod�le de
d�veloppement.
Par son travail de formation et d'information, Searice entend renforcer le
contr�le qu'exercent les communaut�s rurales sur leurs propres ressources
et
technologies.
2- La Convention sur la Biodiversit� date de 1992 et a �t� sign�e par plus
de
150 pays lors du Sommet de Rio.
La Belgique l'a sign�e en 1992 et l'a ratifi�e en 1996. La Convention
constitue un accord contraignant sur le plan juridique.
3- Section 5 du Republic Act 6713, Code of Conduct and Ethical Standards
for
Public Officials and Employees.
4- Loi philippine : " Prescribing guidelines and establishing a regulatory
framework for the prospecting of biological and genetic resources, their
by-
product and derivatives, for scientific and commercial purposes and for
other
purposes ". Cette loi confirme qu'il est de la " responsabilit� de l'Etat
de
r�glementer la prospection des ressources biologiques et g�n�tiques de
mani�re
� en assurer la protection et la conservation ainsi que le d�veloppement,
et
de mani�re aussi � ce que leur usage durable soit mis au service de
l'int�r�t
g�n�ral. " (section 1) ; la loi pr�voit en outre que toute prospection doit
pr�alablement faire l'objet d'une demande d'autorisation adress�e � la
population locale (section 2) et avoir pour cadre un contrat de recherche
auxquels participent des scientifiques philippins (section 3). Aucune
substance biologique ne peut par ailleurs quitter le pays sans le d�p�t
pr�alable d'un �chantillon au Mus�e National (section 5). Cette loi met en
outre l'accent sur la n�cessit� d'un partage, avec les communaut�s locales,
des gains �ventuels g�n�r�s par de telles recherches;
5- Brevets sur les organismes vivants : en 1998, l'UE a accept� le principe
du
brevetage des organismes vivants (plantes, animaux et parties du corps
humain)
de fa�on � se rapprocher de la l�gislation am�ricaine en la mati�re. Les
Pays-
Bas et l'Italie contestent la l�galit� de cette directive (98/44/CEE) et
ont
introduit un recours aupr�s de la Cour europ�enne de Justice. Le d�bat se
poursuit dor�navant � l'�chelon international (accords TRIPS de l'OMC).
Pour plus d'information :
En Belgique : Isabelle Delforge, Oxfam Solidarit�
T�l : 02/501.67.48
Aux Philippines : Neth Dano, SEARICE, t�l : (63-2) 433-7182 ou 922-6710.
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Pour en savoir plus sur le sujet,
consulter les publications de Solagral sur le th�me.