[e-med] L’accès au traitement contre la douleur est un droit de l'Homme

Bonjour,

Human Rights Watch a publié un rapport “Please, do not make us suffer any more…”, Access to Pain Treatment as a Human Right
March 3, 2009 47 pages
dont voici ci-dessous le résumé en français
Les médicaments contre la douleur, ne sont-ils essentiels parmi les médicaments essentiels ?
Que faire pour améliorer la situation ?
Carinne Bruneton

Résumé
http://www.hrw.org/sites/default/files/reports/health0309frsumandrecs.pdf

« Pendant deux jours, j’ai eu une douleur atroce dans le dos et aussi sur le
devant du corps. J’ai cru que j’allais mourir. Le docteur a dit qu’il n’y
avait pas besoin de me donner des médicaments pour la douleur, que c’était
juste un hématome et que la douleur disparaitrait toute seule. J’ai crié
toute la nuit. »
– Un Indien décrivant son séjour à l’hôpital immédiatement après un accident
survenu sur un chantier de construction, au cours duquel il a subi un
traumatisme de la moelle épinière.1

« Le cancer nous tue. La douleur me tue parce que depuis plusieurs jours je
n’ai pas pu trouver de morphine injectable nulle part. S’il vous plait Mr.
Le Secrétaire à la Santé, ne nous laissez plus souffrir… »
– Petite annonce publiée dans un journal colombien en septembre 2008 par la
mère d’une femme atteinte d’un cancer du col de l’utérus.2

« Les médecins ont peur de la morphine… Les docteurs [au Kenya] sont
tellement habitués aux patients qui meurent dans la douleur (…) qu’ils
pensent que c’est comme ça qu’on doit mourir. Ils sont méfiants si vous ne
mourrez pas comme ça – [et pensentl]que vous êtes mort prématurément. »
– Un médecin d’un hospice du Kenya.3

En 1961, la communauté internationale a adopté un accord international —la
Convention unique sur les stupéfiants de 1961 — qui proclamait que « les
stupéfiants sont…indispensables pour soulager la douleur et les souffrances
» et demandait aux pays de prendre les mesures nécessaires pour garantir
leur disponibilité à des fins médicales.

Aujourd’hui, près de cinquante ans plus tard, la promesse contenue dans cet
accord demeure largement non tenue, en particulier —mais pas seulement— dans
les pays à faibles et moyens revenus. En septembre 2008, l’Organisation
mondiale de la Santé (OMS) estimait qu’environ 80 pour cent de la population
mondiale avait un accès nul ou insuffisant au traitement de douleurs
modérées à sévères, et que chaque année des dizaines de millions de
personnes dans le monde entier, dont environ quatre millions de personnes
atteintes de cancer et 0,8 million de malades du VIH/SIDA en fin de vie,
souffraient de douleurs non traitées.

L’insuffisance de l’accès au traitement de la douleur est à la fois
déconcertante et inexcusable. La douleur cause de terribles souffrances et
pourtant les médicaments pour la traiter sont peu onéreux, sûrs et efficaces
et généralement simples à administrer. En outre, le droit international
oblige les pays à rendre accessibles des médicaments adéquats pour
le traitement de la douleur. Au cours des vingt dernières années, l’OMS et
l’Organe international de contrôle des stupéfiants (OICS), l’organe de
contrôle chargé de surveiller l’application des traités de l’ONU relatifs au
contrôle des drogues, a rappelé à maintes reprises aux Etats leur
obligation.

Mais dans nombre de pays, peu de progrès ont été faits.
Selon le droit international des droits humains, les gouvernements ont
l’obligation de répondre à une crise de santé publique majeure qui affecte
des millions de personnes chaque année. Ils doivent prendre des mesures pour
garantir que les personnes ont un accès adéquat au traitement de leur
douleur. Au minimum, les Etats doivent garantir l’accès à la morphine, la
principale drogue pour le traitement des douleurs modérées à sévères, parce
qu’elle est considérée comme un médicament essentiel qui devrait être
accessible à toutes les personnes qui en ont besoin et qu’elle est peu
onéreuse et largement disponible. Ne pas rendre disponibles les médicaments
essentiels ou ne pas prendre de mesures raisonnables pour rendre disponibles
les services de gestion de la douleur et de soins palliatifs reviendra à une
violation du droit à la santé.
Dans certains cas, ne pas garantir que les patients ont accès au traitement
de douleurs sévères reviendra aussi à une violation de l’interdiction de
traitements cruels, inhumains et dégradants.

Il existe de nombreuses raisons expliquant l’énormité de l’écart entre les
besoins de traitement de la douleur et les médicaments délivrés, mais la
toute première de ces raisons est la volonté choquante de nombreux
gouvernements à travers le monde d’attendre passivement tandis que les gens
souffrent. Peu de gouvernements ont mis en place des systèmes efficaces de
fourniture et de distribution de morphine ; ils n’ont pas de politiques de
gestion de la douleur et de soins palliatifs, ni de directives pour les
praticiens ; ils ont des réglementations excessivement strictes de contrôle
des drogues qui empêchent inutilement l’accès à la morphine ou établissent
des pénalités excessives pour son utilisation abusive ; ils ne garantissent
pas que les professionnels de santé reçoivent des instructions sur la
gestion de la douleur et les soins palliatifs dans le cadre de leur
formation ; et ils ne font pas suffisamment d’efforts pour garantir que le
prix de la morphine est abordable.

Les craintes que la morphine médicale puisse être détournée dans des buts
illicites sont un facteur décisif qui bloque l’amélioration de l’accès au
traitement de la douleur. Si les Etats doivent prendre des mesures pour
empêcher ce détournement, ils doivent le faire de façon à ne pas empêcher
inutilement l’accès à des médicaments essentiels. L’OICS a déclaré que ce
type de détournement est relativement rare.4

En maints endroits, ces facteurs se combinent pour créer un cycle vicieux de
traitement insuffisant : du fait que le traitement de la douleur et les
soins palliatifs ne sont pas des priorités pour le gouvernement, les
professionnels de santé ne reçoivent pas la formation nécessaire pour
évaluer et traiter la douleur. Ceci mène à un traitement insuffisant de la
douleur largement répandu et à une faible demande de morphine. De même, des
réglementations complexes d’acquisition et de prescription, ainsi que la
menace de sanctions sévères pour utilisation abusive de la morphine,
découragent les pharmacies et les hôpitaux de la stocker et les
professionnels de santé de la prescrire, ce qui encore aboutit à une faible
demande. Ceci, en retour, renforce la faible priorité donnée à la gestion de
la douleur et aux soins palliatifs.
Cette faible priorité n’est pas fonction de la faible prévalence de la
douleur, mais de l’invisibilité de ceux qui la subissent.

Pour rompre ce cycle vicieux, les gouvernements et la communauté
internationale doivent remplir leurs obligations au regard du droit
international des droits humains. Les gouvernements doivent agir pour
éliminer les barrières barriers qui entravent l’accessibilité de la prise en
charge médicale de la douleur. Ils doivent développer des politiques en
matière de gestion de la douleur et de soins palliatifs ; introduire des
formations destinées aux professionnels de santé, y compris pour ceux qui
sont déjà en exercice ; modifier les réglementations qui entravent
inutilement l’accàs aux médicaments contre la douleur ; et prendre des
mesures pour garantir un coût abordable. Si cette tâche est considérable,
divers pays, comme la Roumanie, l’Ouganda et le Vietnam, ont montré qu’une
approche aussi globale est réalisable dans des pays de faible et moyen
revenu et qu’elle peut réussir. En prenant des mesures pour améliorer le
traitement de la douleur, les pays devraient s’appuyer sur l’expertise et
l’assistance de l’OICS et du Programme d’accès aux médicaments sous contrôle
de l’OMS.

La communauté internationale devrait de toute urgence traiter la question du
peu de disponibilité de traitement de la douleur. La Session spéciale sur
les drogues de l’Assemblée générale de l’ONU qui se déroulera à Vienne en
mars 2009 est une occasion unique de commencer ce travail. Au cours de cette
réunion, qui conclura une année d’examen portant sur les dix dernières
années de politiques en matière de drogue, les pays établiront les priorités
de la politique mondiale en matière de drogue pour les dix années à venir. A
Vienne, la communauté internationale devrait renouveler son engagement
envers le mandat de la Convention unique de 1961 demandant aux Etats de
garantir une disponibilité suffisante des médicaments sous contrôle pour
soulager la douleur et la souffrance. Depuis trop longtemps, le débat
portant sur la politique mondiale en matière de drogue a été a été fortement
axé sur la prévention de l’usage et du commerce des drogues illicites,
faussant l’équilibre qui était envisagé par la Convention. En mars 2009, la
communauté internationale devrait fixer des objectifs ambitieux et
mesurables pour améliorer de façon significative l’accès aux analgésiques
opiacés —médicaments antidouleur composés d’opiacés — et autres médicaments
contrôlés dans le monde entier pour les dix années à venir.

Après mars 2009, les acteurs de la politique mondiale en matière de drogue,
tels que la Commission des stupéfiants de l’ONU et l’OICS, devraient
régulièrement examiner les progrès réalisés par les pays vers une
disponibilité suffisante des médicaments du traitement de la douleur, en
analysant attentivement les mesures prises pour faire avancer cette question
importante. Les agences et les pays bailleurs de fonds, notamment le Fonds
mondial de lutte contre le sida, le paludisme et la tuberculose, et le Plan
d’urgence de lutte contre le sida du président des Etats-Unis (« U.S.
President’s Emergency Plan for AIDS Relief »), devraient encourager
activement les pays à prendre des mesures globales pour améliorer l’accès
aux médicaments antidouleur et soutenir ceux qui le font, notamment par le
biais du Programme d’accès aux médicaments sous contrôle de l’OMS. Les
organismes régionaux et de l’ONU chargés des droits humains devraient
régulièrement rappeler aux pays leur obligation selon le droit relatifs aux
droits humains de garantir une disponibilité suffisante des médicaments
antidouleur.

Recommandations

L’écart dans le traitement de la douleur est une crise internationale des
droits humains qui doit être traitée de toute urgence, tant au niveau
national qu’international. Par conséquent, Human Rights Watch formule les
recommandations suivantes :

Aux gouvernements du monde entier

Recommandations générales
• Mettre en place, là où cela n’a pas encore été fait, un groupe de travail
sur les soins palliatifs et la gestion de la douleur. Ce groupe de travail
devrait comprendre tous les acteurs concernés, à savoir les autorités
sanitaires, les responsables du contrôle des drogues, les fournisseurs de
soins de santé, les fournisseurs non gouvernementaux de soins palliatifs et
les universitaires, et élaborer un plan d’action concret pour la mise en
place de services du traitement de la douleur et de soins palliatifs.

• Evaluer la disponibilité et les besoins des services de gestion de la
douleur et de soins palliatifs.

• Elaborer un plan d’action global qui s’attaque aux diverses barrières
empêchant l’accessibilité aux services de gestion de la douleur et de soins
palliatifs, notamment la politique gouvernementale, l’éducation et la
disponibilité de médicaments.

• Inviter le Programme d’accès aux médicaments sous contrôle de l’OMS à les
aider dans l’application des recommandations ci-dessus.

• Des commissions nationales des droits humains ou des bureaux d’ombudsman
devraient, là où c’est possible, enquêter sur les obstacles à la
disponibilité de services de gestion de la douleur et de soins palliatifs,
et demander que leurs
gouvernements prennent des mesures urgentes pour y répondre.

Garantir un système d’approvisionnement efficace

• Soumettre sans tarder à l’OICS des estimations réalistes des besoins en
médicaments contrôlés.

• Garantir un système efficace de distribution pour les médicaments
contrôlés. Si les réglementations en matière d’acquisition, de transport et
de stockage devraient être capables d’empêcher les abus potentiels, elles ne
devraient pas compliquer arbitrairement ces processus.

• Les pays doivent garantir que dans chaque région au moins un minimum de
pharmacies et d’hôpitaux stockent de la morphine.

Elaborer et appliquer des politiques de gestion de la douleur et de soins
palliatifs

• Reconnaître l’obligation de chaque gouvernement, au regard des droits
humains, de fournir des programmes efficaces et suffisants de soins
palliatifs.

• Elaborer des politiques officielles sur la gestion de la douleur et les
soins palliatifs, notamment dans le cadre des programmes de contrôle du
cancer et du VIH/SIDA.

• Elaborer des directives pratiques sur la gestion de la douleur et les
soins palliatifs pour les professionnels de santé.

• Inclure la morphine par voie orale et autres médicaments essentiels au
traitement de la douleur dans les listes nationales de médicaments
essentiels.

• Garantir que les réglementations et les lois portant sur le contrôle des
drogues reconnaissent la nature indispensable des opioïdes et autres
médicaments contrôlés pour soulager la douleur et la souffrance, ainsi que
l’obligation de garantir que leur accès est suffisant.

Garantir la formation des professionnels de santé

• Garantir une formation suffisante des professionnels de santé, notamment
les docteurs, les personnels infirmiers et les pharmaciens, tant au niveau
des étudiants que des diplômés.

• Une formation devrait aussi être proposée aux professionnels en exercice
dans le cadre de la formation continue en médecine.

Modifier les réglementations sur les drogues

• Examiner les réglementations en matière de contrôle des drogues pour
évaluer si
elles entravent inutilement l’accès aux médicaments antidouleur. Les
fournisseurs
de soins de santé devraient participer à la réalisation de cet examen.

• S’il s’avère que les réglementations entravent l’accès aux médicaments
antidouleur, elles devraient être modifiées. Les recommandations de l’OMS et
des fournisseurs de soins de santé devraient déterminer le fondement des
réglementations révisées du contrôle des drogues.

• Exiger des licences spéciales pour que les fournisseurs ou les
institutions de soins de santé manipulent la morphine devrait être évité
autant que possible. Dans d’autres cas, des procédures simples et
transparentes devraient être établies pour obtenir de telles licenses.

• Les procédures spéciales de prescription pour les médicaments contrôlés
devraient être évitées autant que possible. Là où elles sont cependant en
place, elles devraient être le moins laborieuses possible.

• Les limitations sur la quantité de morphine pouvant être prescrite par
jour devraient être abolies.

• Les limitations inutiles sur la quantité de morphine qui peut être
prescrite ou délivrée en une seule fois devraient être abolies.

Garantir un coût abordable pour les médicaments

• Les pays devraient faire en sorte de garantir un coût abordable de la
morphine et autres analgésiques opiacés.

Aux décideurs mondiaux en matière de politique relative aux drogues
• Rétablir l’équilibre entre l’accessibilité des médicaments contrôlés et la
prévention de leur utilisation abusive, comme stipulé par les conventions de
l’ONU sur le contrôle des drogues, dans les débats mondiaux sur les
politiques en matière de drogues. L’accès aux médicaments contrôlés devrait
être un élément central et récurant à l’ordre du jour de la Commission des
stupéfiants et dans d’autres réunions portant sur la politique mondiale en
matière de drogues.

• Lors de la Session spéciale de l’Assemblée générale de l’ONU sur les
drogues en mars 2009, les pays devrait accorder la priorité à l’amélioration
de la disponibilité des médicaments servant au traitement de la douleur, et
des médicaments contrôlés en général. Ils devraient établir des objectifs
ambitieux et mesurables pour améliorer de façon significative l’accès à ces
médicaments au niveau mondial dans les dix années à venir.

• Après mars 2009, les agences internationales concernées, telles que la
Commission des stupéfiants et l’OICS, devraient examiner régulièrement les
progrès réalisés par les pays vers une disponibilité suffisante des
médicaments utilisés dans le traitement de la douleur, en analysant
attentivement les mesures prises pour faire avancer cette question
importante.

• L’OICS devrait accroître significativement ses efforts pour encourager et
assister les Etats dans l’amélioration de la disponibilité des analgésiques
opiacés.

• L’ONUDC devrait amender les réglementations et lois modèles qu’elle a
élaborées afin d’inclure la reconnaissance de la nature indispensable des
stupéfiants et des substances psychotropes à des fins médicales et
scientifiques, ainsi que l’obligation pour les Etats de garantir leur
disponibilité.

A l’OMS, l’ONUSIDA et la communauté des bailleurs de fonds

• L’OMS devrait continuer à traiter l’accès aux médicaments contrôlés avec
urgence par le biais de son Programme d’accès aux médicaments sous contrôle.

• Les agences et les pays bailleurs de fonds, notamment le Fonds mondial de
lutte contre le sida, le paludisme et la tuberculose et le Plan d’urgence de
lutte contre le sida du président des Etats-Unis (« U.S. President’s
Emergency Plan for AIDS Relief »), devraient encourager activement les pays
à adopter des mesures globales pour améliorer l’accès aux médicaments
antidouleur et soutenir ceux qui le font, notamment par le biais de leur
appui au Programme d’accès aux médicaments sous contrôle de l’OMS.

• L’ONUSIDA devrait travailler avec les gouvernements pour identifier et
supprimer les obstacles à la disponibilité et à l’accessibilité des services
de gestion de la douleur et de soins palliatifs.

A la communauté mondiale des droits humains

• Les organismes régionaux et de l’ONU chargés des droits humains devraient
régulièrement rappeler aux pays leur obligation au regard du droit en
matière de droits humains de garantir une disponibilité suffisante des
médicaments antidouleur.

• Les groupes de défense des droits humains devraient inclure l’accès au
traitement de la douleur et aux soins palliatifs dans leur travail,
notamment en soumettant des rapports de suivi aux organismes des traités de
l’Onu, apportant des informations aux Rapporteurs spéciaux de l’ONU sur le
niveau de santé atteignable le plus élevé, ainsi que sur la torture, et
autres peines ou traitements cruels, inhumains et dégradants, et au Conseil
des droits de l’homme.

1 Entretien de Human Rights Watch, Kerala, Inde, 20 mars 2008. Le nom du
patient n’est pas mentionné de façon à protéger sa
vie privée.
2 L’annonce est parue dans le journal El Pais à Cali, Colombie, le 12
septembre 2008.
3 Entretien de Human Rights Watch avec le Dr. Weru de l’Hospice de Nairobi,
Nairobi, Kenya, juin 2007.
4 Organe international de contrôle des stupéfiants, « Rapport de l’Organe
international de contrôle des stupéfiants pour
2008 », Nations Unies, 2009.