Point de vue
L'attention aux malades du sida, baromètre de l'humanité
LEMONDE.FR | 05.04.11 | 09h22 . Mis à jour le 05.04.11 | 14h07
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Le sida, au début "maladie des homosexuels et des drogués", puis des "pays
pauvres qui n'auraient jamais les moyens d'y faire face", est devenu un des
symboles du combat universel pour l'accès aux soins. Parce que son équation
initiale paraissait insoluble - comment traiter à vie des dizaines de
million de personnes, avec des médicaments chers, dans des pays à ressources
limitées - le sida a décuplé les énergies militantes. Son émergence en
pleine mondialisation et sa position au carrefour d'autres grandes maladies
infectieuses a fait le reste, cristallisant autour de ce fléau une nouvelle
forme de lutte.
Avec ses acquis évidents - la levée de fonds internationaux, la mise en
place rapide de grands programmes, l'accès aux médicaments génériques, la
lutte contre les discriminations, la création de réseaux associatifs sans
frontières. -, et malgré ses échecs et ses doutes, cette lutte a ouvert une
brèche dans le sacro-saint raisonnement du "chacun dans son pays et selon
ses moyens, et la charité fera le reste". Désormais, on rêve de mécanismes
de solidarité internationale pérennes pour les maladies chroniques. Qu'on ne
s'y trompe pas : il s'agit bien là d'un embryon de sécurité sociale
mondiale, au nom d'une vision humaniste du droit à la santé.
La Côte d'Ivoire a été à la pointe de ce processus. En ce moment, elle le
piétine. Les malades y perdent leurs droits. Certains sont terrés chez eux
ou fuient leur domicile, de peur d'être ciblés sur leur patronyme, et tués.
Quand ce n'est pas le cas, ils accèdent à des centres de soins qui se
dégradent à grande vitesse, où un personnel brave des difficultés sans nom
pour venir travailler sans salaire. Le système est désorganisé, les
commandes non faites, la peur du lendemain constante.
La prévention est stoppée et les femmes enceintes séropositives ne peuvent
plus recevoir les traitements qui éviteraient la transmission du VIH à leur
futur bébé. Une minorité d'idéologues populistes a réussi à créer en
quelques semaines les conditions d'une gigantesque et cynique partie d'échec
dans laquelle les malades sont des pions. Ceux qui vivent avec le VIH ont un
besoin vital de renouveler leur traitement et font partie des plus fragiles,
donc des plus intéressants : après les déplacés de guerre, les civils morts
ou blessés à l'arme lourde, on s'envoie ainsi maintenant à la figure les
malades privés de médicaments, comme autant de chair à canon médiatique.
C'est l'occasion de le dire haut et fort : l'humanité se mesure à
l'attention qu'on porte aux faibles, aux enfants, aux aînés et aux malades.
Les femmes, les hommes et les enfants vivant avec le VIH sont vulnérables
parce que leur traitement ne souffre aucune interruption et que la moindre
perturbation dans la chaîne des soins les met en difficulté. Il serait
indécent d'assister à leur calvaire actuel en se bornant à constater que
"c'est la guerre" ! Un malade qui a peur de franchir un barrage de miliciens
en raison de son origine, ce n'est pas "la guerre", c'est le retour de la
bête immonde.
Les politiciens aventuriers jouent avec le feu, en se disant "tout rentrera
dans l'ordre, on oubliera". L'héroïsme quotidien - le mot n'est pas trop
fort - constaté en ce moment chez le personnel de santé en Côte d'Ivoire
permet de conforter l'idée que le pays s'en sortira et que le circuit de
soins repartira. Mais pour tous les séropositifs, les séquelles seront là.
Aux morts pendant la crise vont s'ajouter ceux qui petit à petit vont
mourir, au fil des années, en raison des conséquences à long terme de ces
interruptions de traitement intempestives.
Ce qui se passe actuellement en Côte d'Ivoire doit donc servir de leçon. A
ceux, minoritaires, qui ici ou ailleurs voudraient se servir des malades
comme d'une arme politique, et se permettent de remettre brutalement en
question des années d'efforts et de progrès, il faut une réponse basée sur
la justice. On a tout dit sur la nécessaire protection des civils pendant
les conflits, et sur les crimes de guerre que constituent les atteintes aux
plus faibles. Parmi les crimes à sanctionner doit figurer en bonne place
l'entrave à l'accès aux soins.
Xavier Anglaret, médecin (Abidjan) ; Françoise Barré Sinoussi, docteur ès
sciences, lauréate 2008 du prix Nobel de médecine, administratrice de
Sidaction (Paris) ; Renaud Becquet, docteur ès sciences, administrateur de
Sidaction (Bordeaux, Abidjan) ; Christine Danel, médecin (Abidjan) ; Eric
Fleutelot, directeur général adjoint international de Sidaction (Paris).
Xavier Anglaret, Françoise Barré Sinoussi, Renaud Becquet, Christine Danel,
Eric Fleutelot