Chers e-médiennes et e-médiens,
J’aimerai partager avec vous cet article intéressant sur la participation citoyenne (2014) incluant les aspects d’entraide et de solidarité communautaire http://journals.sagepub.com/doi/pdf/10.1177/1757975913512160
De nombreuses déclarations internationales reconnaissent la participation citoyenne comme un levier important de succès des politiques de santé. Cependant, la mise en œuvre de ce principe tarde dans la plupart des pays. Des phénomènes bien connus, comme celui du vieillissement, et les coûts qu’ils engendrent, devraient pourtant inciter les décideurs à s’appuyer davantage sur les citoyens, en faire des alliés du système, en leur accordant un peu de pouvoir et de responsabilité. Cette responsabilité s’exerce d’abord dans la prévention et la promotion de la santé. Elle s’étend à l’entraide communautaire. Elle est sollicitée dans la détermination des nouvelles normes sociales. Elle est reconnue par la participation des citoyens aux instances décisionnelles du système de soins. Et elle s’applique lorsque vient le temps choisir quels services de santé seront couverts par le régime public et lesquels seront renvoyés à la prévoyance personnelle. Les raisons de faire une place aux citoyens dans nos systèmes de santé sont nombreuses. Les moyens pour le faire existent. Il faut une volonté politique et des ressources. (Global Health Promotion, 2014; 21 Supp. 1: 50–53).
Trois phénomènes récents rendent essentielle la participation citoyenne La conjugaison d’au moins trois phénomènes force à revoir le partage des responsabilités entre les individus, les familles, les communautés et le système public de santé et de services sociaux :
• la hausse de la prévalence des « maladies de civilisation » (hypertension, stress, obésité, maladies pulmonaires) liées aux mauvaises habitudes de vie et à l’environnement naturel, social et culturel ;
• le vieillissement de la population et l’accroissement du nombre de personnes qui, au cours des prochaines décennies, auront besoin de services pour compenser leur perte graduelle d’autonomie et pour prendre en charge les maladies chroniques dont elles sont affligées. Ces services seront d’autant plus nécessaires que la solitude est le fait d’un nombre important d’aînés ;
• la révolution technologique permanente, y compris le développement de nouveaux médicaments, qui engendre une hausse exponentielle des coûts.
Ces trois phénomènes nous obligent à envisager diverses réponses qui passent par une forme ou une autre de participation des citoyens.
1. La responsabilité individuelle. La première réponse consiste à responsabiliser les individus à l’égard de leur propre santé et de celle de leurs proches. J’évoque deux dimensions de cette forme de participation, il y en a d’autres : l’adoption de saines habitudes de vie et le rôle du patient comme agent actif dans le traitement de sa maladie. Un moyen pour freiner la hausse des coûts des soins de santé est de garder les personnes en santé plus longtemps. La solution réside dans la prévention. Si des politiques publiques bien ciblées (comme on l’a vu dans le cas du tabagisme) peuvent influencer les comportements, l’efficacité des mesures de prévention dépend largement de la participation des citoyens. L’État peut donner un coup de pouce par des mesures fiscales appropriées et en rendant accessible l’information requise pour faire des choix éclairés. Mais personne ne peut à la place des individus adopter de saines habitudes de vie ni se soumettre au suivi médical nécessaire pour prévenir et combattre la maladie. Le patient est souvent traité par le système de santé comme un client. On préfère encore trop souvent lui simplifier la tâche en lui prescrivant un médicament ou en lui imposant une chirurgie. La participation du patient comme un agent actif du traitement de sa maladie est une voie encouragée par maintes déclarations officielles. Elle requiert que le patient ait accès sur une base continue à l’information pertinente et à jour sur sa santé et sur le traitement des maux dont il souffre. L’organisation des soins doit prendre en compte la capacité et la volonté des patients de se prendre en charge eux-mêmes.
2. L’entraide et la solidarité communautaire. La seconde réponse comporte un défi d’entraide et de solidarité. La famille est certes le lieu par excellence de l’appui réciproque, mais dans un contexte d’éclatement de l’institution familiale, la participation des citoyens sera requise pour soutenir les membres d’une communauté vivant seuls ou qui, à cause de leur âge ou d’une condition physique ou mentale, ont besoin d’un soutien régulier. Nous pourrions nous inspirer des coopératives de santé du Japon (9), notamment de l’expérience des « groupes Hans ». Les groupes Hans sont formés de 5 à 20 personnes bénévoles qui reçoivent de l’information sur les saines habitudes de vie, apprennent à mesurer leur état de santé (pression, taux de glycémie, etc.) et à s’entraider pour acquérir de meilleures habitudes par diverses activités (clubs de marche, groupes de proches aidants pour les personnes en perte d’autonomie, etc.).
3. Influencer les normes sociales. La responsabilité individuelle est certes importante pour se maintenir en santé. Cette responsabilité s’étend à la communauté par l’entraide et la solidarité. Mais les changements de comportement individuel dépendent de l’adoption de nouvelles normes sociales qui définissent ce que la société estime être bon : ne pas fumer, faire de l’exercice physique, bien s’alimenter, terminer ses études secondaires, fonder une famille. Or, ces normes ne peuvent être définies d’en haut. Elles découlent d’un débat public permanent dans lequel les points de vue s’entrechoquent et les consensus émergent progressivement. Les citoyens sont appelés à participer à ces débats. C’est en s’appuyant sur ces nouvelles normes sociales que l’on peut ensuite adopter des politiques publiques qui soient favorables à la santé : lutte contre la pauvreté, sécurité publique, aménagement urbain, transport en commun, réduction de la pollution, fiscalité verte.
4. Participer à la gouverne, à la planification et à l’évaluation du système. Plus une activité participative s’approche du pouvoir, plus elle stimule la participation des citoyens. Plus un citoyen participe, sur une base régulière, à la prise de décisions concrètes qui trouvent leur application dans une organisation ou dans la société, plus ce citoyen est stimulé à participer, à prendre des responsabilités et à assumer du leadership. La participation stimule la participation. Le pouvoir est la récompense de la participation. Il importe d’intégrer des citoyens dans la planification des services disponibles, dans la gouverne du système et dans son évaluation. Les conditions à réunir (10) pour réussir ont un rapport avec les méthodologies, le choix des dates et des lieux de rencontre, la disponibilité d’information pertinente, la coïncidence entre le moment de la délibération et une décision politique imminente, la reconnaissance par les pouvoirs publics de la démarche, la crédibilité de l’organisateur. Il revient au gestionnaire public de mettre en place les conditions de cette participation qui doit être institutionnalisée et bien soutenue financièrement, au même titre que toute autre activité de gestion et de prestation de soins car la participation citoyenne est à la fois un outil pour améliorer les soins et pour améliorer la gestion du système. Elle est essentielle. Ce n’est pas un luxe. Les mécanismes sont nombreux. Ils incluent des sièges réservés aux citoyens dans les instances décisionnelles des systèmes de santé. Les citoyens doivent être accompagnés, formés et dédommagés sur le plan financier pour l’effort qui leur est demandé dans le cadre de ces responsabilités. On peut aussi créer, au-delà des mécanismes de traitement des plaintes, des comités d’usagers dans les établissements, des comités de citoyens dans les communautés, ou organiser des forums et des démarches ponctuelles de consultation sur les services offerts ou sur l’appréciation des services disponibles.
5. Faire des choix. Enfin, il faudra apprendre à choisir. La demande pour les soins de santé est en théorie illimitée et les progrès technologiques laissent entrevoir que l’éventail des outils thérapeutiques pour répondre à cette demande est également sans limites. À l’avenir, aucun pays au monde, même le plus riche, ne sera en mesure d’offrir à toute sa population tout ce que la science et la technologie permettront d’offrir. La société ne pourra jamais répondre à toute la demande de soins, et d’ailleurs, elle ne l’a jamais pu. Toutes les sociétés doivent déterminer quels services de santé seront couverts par le régime public et lesquels relèveront de la prévoyance personnelle. Dans son rapport de juin 2000, l’Organisation mondiale de la santé souligne qu’un système national de santé doit forcément faire des choix et établir des priorités : « tous les pays doivent […] veiller à ce que leurs ressources, dont le montant est limité, soient affectées à des domaines considérés hautement prioritaires » (11). Dans plusieurs pays européens, et particulièrement dans les pays scandinaves, on établit les priorités et on révise le panier de services assurés depuis déjà près de vingt ans. C’est au milieu des années 1980 que l’on a cherché une façon de faire. La réflexion engagée plus récemment aux Pays-Bas, au Danemark et en Norvège, nous permet de tirer quelques enseignements. À partir de 1996 au Danemark et depuis 1997 en Norvège, les autorités ont voulu s’éloigner de la méthode, jugée simpliste, qui consistait à établir des listes de critères et de s’y tenir. Elles ne cherchent plus à établir des principes dans l’absolu. Elles sont plutôt à la recherche de processus équitables et légitimes (12) qui s’appuient sur des données probantes et sur le dialogue public (voir les expériences du Conseil d’éthique du Danemark ou du National Institute for Health and Care Excellence au Royaume-Uni).
Très cordialement.
Isabelle Wachsmuth
Service Delivery and Safety Department
Health Systems and Innovation
World Health Organization
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